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Adolescence

Publié le 31 oct 2023Lecture 6 min

Dysthyroïdies et troubles psychiatriques chez l’adolescent

Laura DANELUZZO, Unité de médecine de l’adolescent, CHU Ambroise-Paré (AP-HP), Boulogne-Billancourt

Cette nouvelle rubrique consacrée à la médecine de l’adolescent est l’occasion de présenter une pratique intégrative et systémique centrée sur l’adolescent mais explorant en même temps les interactions avec la famille, les pairs, les soignants. Le corps de l’adolescent y prend une place importante. Cette rubrique a vocation à accueillir les observations d’internes, chefs de clinique, assistants, pédiatres ou médecins d’adolescents qui le souhaitent, en collaboration avec le responsable (renaud.detournemire@aphp.fr). Aujourd’hui, deux observations cliniques commentées.

CAS CLINIQUE 1 Charlotte, 12 ans, est hospitalisée à la demande de sa psychiatre pour explorer une fatigue qui se majore depuis plusieurs semaines alors qu’elle est traitée depuis 3 mois par sertraline, antidépresseur inhibiteur de la recapture de la sérotonine. Charlotte est suivie depuis 2 ans pour syndrome dépressif. Elle prend également, depuis 1 an, du méthylphénidate pour un trouble du déficit de l’attention (TDAH).   Charlotte présente des troubles du sommeil avec des difficultés d’endormissement. Elle a du mal à se réveiller et peine à se concentrer la journée. Son médecin traitant l’a dispensée de sport devant des douleurs diffuses et un essoufflement. Elle ne présente pas d’autre plainte somatique. En dehors de cicatrices de scarifications sur les bras, l’examen clinique est sans particularité. En l’espace de quelques mois, Charlotte, 59 kg (+ 2,5 DS sur la courbe d’IMC), a pris 5 kg. Comment expliquer alors cette fatigue chronique ? S’agit-il d’un symptôme du trouble dépressif caractérisé (la fatigue est un des critères du DSM-V) ou d’une affection intercurrente ? L’aggravation récente nécessite une exploration active. Seront notamment recherchés : une carence martiale avec ou sans anémie (NFS, ferritine) ; une infection récente (sérologie EBV) ou en cours (CRP) ; une pathologie auto-immune (MICI, diabète, hypothyroïdie) ; une pathologie tumorale ; un trouble du sommeil (retard de phase, SAOS). Charlotte se plaint d’un essoufflement mais n’est pas pâle, et ne présente pas de tachycardie compensatrice. Elle n’est pas réglée alors que les hémorragies utérines fonctionnelles représentent la première cause d’anémie ferriprive de l’adolescente. La reprise de l’interrogatoire ne retrouve pas d’épisode infectieux particulier. Charlotte ne ronfle pas pendant le sommeil. Elle n’a pas de réveils répétés mais présente une énurésie nocturne primaire non explorée. Le bilan biologique de Charlotte révèle une TSH très supérieure aux normes (> 100 mUI/L), vérifiée systématiquement par un deuxième prélèvement pour exclure une erreur du laboratoire. Les taux de T3L et T4L normaux permettent de poser le diagnostic d’hypothyroïdie périphérique. Les anticorps anti-TPO sont positifs. Une échographie thyroïdienne montre un goitre thyroïdien isolé, avec une hypertrophie du lobe droit qui avait échappé à l’examen clinique initial. S’il a été remarqué dans de rares cas que le méthylphénidate augmente un peu les taux de TSH (< 10 mUI/L) et que la sertraline peut diminuer les hormones thyroïdiennes, la présence des anticorps et du goitre thyroïdien permet d’écarter un effet iatrogène isolé chez Charlotte. En évoquant le diagnostic de maladie d’Hashimoto, la mère de Charlotte ressort un bilan biologique réalisé 8 mois plus tôt pour agitation et troubles de la concentration : la TSH était alors effondrée. À ce moment, Charlotte venait d’être récemment traitée pour un trouble de l’attention… L’hypothyroïdie primaire acquise ou hypothyroïdie périphérique, aussi appelée maladie d’Hashimoto, est l’une des maladies auto-immunes les plus fréquentes (et en augmentation dans le monde) avec une prévalence de 1,3 pour 1 000 chez l’enfant et l’adolescent. Elle est plus fréquente chez les filles. Le diagnostic est biologique avec la présence d’un taux de TSH très élevé, par rétrocontrôle positif sur l’hypophyse et des anticorps antiTPO, marqueurs de l’atteinte de la glande thyroïde. On retrouve parfois également des anticorps antithyroglobulines. Il est à noter que dans la population adolescente, des anticorps antithyroidiens peuvent être retrouvés dans 5 % des cas, plus souvent chez les filles. Une échographie est réalisée en cas de palpation d’un goitre et/ou d’un nodule. Une thyroïde hypervascularisée au Doppler signe la thyroïdite. Un traitement par Lévothyrox® a été débuté à doses progressives chez Charlotte. Il faut prendre soin d’éviter de commencer le traitement à une dose d’emblée élevée pour limiter les troubles dysthymiques. Le traitement est ensuite ajusté selon le dosage de la TSH obtenue au bout de 4 à 6 semaines. À l’état d’équilibre, la TSH est dosée tous les 6 mois jusqu’à la fin de la croissance, puis annuellement. La thyroïdite d’Hashimoto peut être responsable dans sa phase initiale d’une hyperthyroïdie, différente de la maladie de Basedow. Charlotte a été successivement traitée pour TDAH et syndrome dépressif dans un contexte de dysthyroïdie pouvant expliquer tout ou partie des symptômes. L’amélioration psychique attendue n’était cependant que modérée après quelques semaines.   CAS CLINIQUE 2 Noémie, 15 ans, est hospitalisée pour idées suicidaires dans un contexte de syndrome dépressif. Elle est suivie depuis 4 ans par un psychiatre. Alors que l’hospitalisation se prolonge dans un contexte familial compliqué, il est constaté une tachycardie isolée constante au cours du nycthémère. Noémie est apyrétique, non algique et le seul traitement prescrit est de la cyamémazine (Tercian®).   Elle présente des troubles du sommeil à type d’insomnie, un asthme à l’effort et des ménométrorragies depuis 3 ans avec une anémie corrigée par supplémentation en fer. Le bilan biologique met en évidence une TSH effondrée, avec une augmentation du taux de T4L reflétant la sévérité de l’hyperthyroïdie. La présence d’anticorps TRAK et l’aspect de thyroïdite à l’échographie confirment l’hyperthyroïdie périphérique, aussi appelée maladie de Basedow. Comme dans 50 % des cas, Noémie ne présentait pas de goitre clinique. La scintigraphie ne serait utile que si un goitre était palpé à la recherche d’un nodule. La maladie de Basedow a un pic d’incidence entre 10 et 15 ans et prédomine chez les femmes, avec une prévalence de 1 pour 5 000 chez l’enfant et l’adolescent. Les formes prépubères et celles touchant des non Caucasien sont plus sévères. En pédiatrie, le délai diagnostique est relativement court de l’ordre de quelques semaines. Si le diagnostic tarde, une accélération de la vitesse de croissance et une avance de maturation osseuse peuvent s’observer. La tachycardie est présente dans 80 % des cas, nécessitant souvent l’introduction d’un traitement initial par β-bloquant. Les symptômes rentrent rapidement dans l’ordre en 4 à 6 semaines de traitement par antithyroïdiens de synthèse, en même temps que la normalisation des taux de T3L et T4L. La TSH restant longtemps freinée, en moyenne 3 à 6 mois, le traitement est à adapter aux hormones thyroïdiennes. Il existe un risque faible d’agranulocytose sous antithyroïdiens de synthèse. L’adolescente et ses parents seront prévenus de la nécessité de contrôler en urgence la numération formule sanguine en cas de fièvre. Figure. Liens mal expliqués entre thyroïdite d’Hashimoto et maladie de Basedow, d’après Milo T. Autoimmune thyroid diseases as a cost of physiological autoimmune surveillance. Trends Immunol 2023. Ces deux cas cliniques illustrent l’intrication des symptômes de dysthyroïdies et des troubles psychiatriques. Au niveau cérébral, les hormones thyroïdiennes sont impliquées dans la synthèse de neurotrophines, favorisant le développement cérébral, mais aussi dans la modulation de la neurotransmission de la sérotonine et de la dopamine. De nombreuses études se sont intéressées au lien entre dysthyroïdies et troubles psychiatriques. Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer la co-occurrence de ces troubles, dont une principale : une inflammation chronique systémique. Le challenge repose sur la rapidité d’une prise en charge adaptée : la réversibilité des troubles psychiatriques après traitement des dysthyroïdies n’est pas systématique, et fonction de la sévérité et de l’ancienneté des troubles. Ce problème de santé publique est d’autant plus important que ces pathologies sont en augmentation chez les adolescents. Une étude récente comparant le niveau de TSH chez 1 122 patients de 12 à 18 ans, hospitalisés en psychiatrie à celui d’un groupe témoin, a montré qu’une hypothyroïdie infraclinique (taux de T3L et T4L normaux avec une TSH un peu élevée, entre 4 et 10 mUI/L) était significativement plus fréquente chez les adolescents atteints de troubles bipolaires ou de syndrome dépressif.

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