Publié le 24 mar 2025Lecture 6 min
Le danger d’une carence martiale précoce sur le développement cérébral de l’enfant
Denise CARO, d’après les communications de Julie Lemale et de Patrick Tounian

Les répercussions cliniques d’une carence martiale chez l’enfant dépendent de l’âge à laquelle elle intervient, de sa durée, de son intensité, de la présence ou pas d’une anémie et d’éventuelles comorbidités. Une anémie par déficit en fer précoce peut engendrer des troubles irréversibles, d’où l’importance d’assurer des apports en fer suffisants et en adéquation avec l’âge de l’enfant.
Une baisse des réserves en fer peut rester asymptomatique ou se traduire par une fatigue ou une fatigabilité anormale à l’effort. En cas de carence avérée sans anémie, le tableau clinique comportera, en plus des symptômes déjà cités, des difficultés de concentration, des vertiges, des acouphènes et des céphalées. Lorsque la carence s’accompagne d’une anémie avec une microcytose et une hypochromie, on notera une pâleur et éventuellement des signes de retentissement cardiovasculaire (tachycardie, dyspnée d’effort, malaise, souffle systolique, angor, instabilité hémodynamique, syncope).
Une carence martiale prolongée engendre une atteinte des cellules épithéliales, qui peut se traduire par : une peau sèche et rugueuse, une sécheresse buccale, une chéilite, une glossite atrophique avec une dysgueusie, des cheveux secs, cassants et qui chutent, un syndrome de Plummer-Vinson (atteinte de la membrane œsophagienne) et une koïlonychie.
Le fer, indispensable au cerveau
Le fer est un minéral essentiel à de nombreuses fonctions cérébrales, en particulier à la myélinisation des fibres nerveuses dont dépend la vitesse de conduction de l’influx nerveux, ainsi qu’au métabolisme énergétique du cerveau.
Une carence en fer durant le 3e trimestre de la grossesse est responsable d’une immaturité cérébrale à la naissance et durant la 1re année de vie, avec une hypotonie, un retard de développement cognitif et moteur, des troubles mnésiques, un déficit visuel et auditif, et plus tard une diminution des performances scolaires. La sévérité de l’atteinte neurologique est maximale si la carence martiale débute durant la vie fœtale ; elle est corrélée à la durée et l’intensité de la carence en fer(1-4).
Une étude qui a comparé des enfants avec un antécédent d’anémie par carence martiale dès la période néonatale à des témoins a montré un allongement du temps de conduction des réponses à un stimulus auditif à 6 mois, 1 an, 18 mois et 4 ans, cela en dépit d’une supplémentation en fer de l’âge de 6 mois à 1 an(5).
De même, à l’âge de 10 ans des enfants ayant eu une carence martiale dans leur 1re année de vie avec ou sans anémie et qui n’ont pas été supplémentés en fer, ont des temps d’exécution de certains mouvements plus lents que des enfants du même âge sans déficit en fer(6). Or, les symptômes liés à ces carences martiales très précoces (in utero ou durant la première année de vie) sont irréversibles car non améliorés par une supplémentation en fer.
Des troubles psycho-comportementaux
Le fer est le cofacteur d’une réaction enzymatique qui conduit à la production de dopamine et de sérotonine. Ainsi, plusieurs publications ont suggéré un lien entre carence martiale et trouble du déficit de l’attention et hyperactivité (TDAH). La réalisation d’IRM fonctionnelles a permis de mettre en évidence une réduction de la concentration de fer dans le thalamus chez les enfants avec un TDAH. De même, une métaanalyse incluant plus de 2 000 patients a montré un taux de ferritine globalement diminué chez les patients atteints de TDAH(7). D’autres troubles psychiatriques semblent être associés à un déficit en fer. À partir d’un registre de santé taïwanais, 2 957 enfants ou adolescents avec un diagnostic d’anémie par carence martiale ont été comparés à 11 828 témoins non carencés, appariés sur l’âge. Les auteurs ont observé que les enfants avec un trouble autistique avaient plus souvent une carence martiale que les témoins et que les adolescents avec une carence martiale et avaient davantage de troubles bipolaires et de troubles anxieux que les jeunes non carencés(8).
Autre conséquence de la carence martiale impliquant la dopamine, le syndrome des jambes sans repos touche près de 2 % des enfants d’âge scolaire et 6 % des adolescents avec un terrain génétique prédisposant. Contrairement aux troubles du développement neurologique consécutifs à la carence martiale, la correction du déficit améliore le syndrome des jambes sans repos(9).
Enfin, une métanalyse a montré une association entre carence martiale et PICA (ingestion de composés non nutritifs), sans que l’on sache si c’est la cause ou la conséquence du déficit en fer(10).
Les besoins en fer recommandés selon l’âge
Afin de s’assurer d’apports suffisants en fer, on doit tenir compte non seulement de la quantité de fer ingérée mais surtout de la quantité de fer absorbée. En effet la biodisponibilité du fer dépend largement de la nature de l’aliment consommé ; la biodisponibilité du fer héminique des produits dits carnés (abats, viande ou poisson), égale à 20 à 30 %, est 7 à 8 fois plus importante que celle du fer non héminique contenu dans les végétaux et le lait de vache (2 à 5 %). La biodisponibilité des laits infantiles qui contiennent des sels ferreux et de la vitamine C est de 10 à 20 %, celle du fer du lait maternel est de 50 %. En outre, les phytates et les polyphénols diminuent l’absorption du fer non héminique et la vitamine C et la viande l’augmentent(11).
Les apports recommandés en fer ingéré et absorbé varient en fonction de l’âge. Les doses de fer ingérés et absorbés par jour sont respectivement : de 0,38 mg et 0,20 mg de 0 à 6 mois, de 11 mg et 1,1 mg de 7 à 11 mois, de 7 mg et 0,7 mg de 1 à 6 ans, de 11 mg et 1,1 mg de 7 à 11 ans, et de 11 mg et 1,8 mg chez le garçon de 12 à 17 ans et de 13 mg et 2,4 mg chez la fille de 12 à 17 ans. Les besoins en fer chez le nourrisson avant l’âge de 4 ou 6 mois sont limités car ils bénéficient du stock de fer in utero et la baisse de l’hémoglobine de 17 à 12 g/dL. Ainsi, 270 ml/j de lait 1er âge suffisent à couvrir les besoins chez l’enfant les 6 premiers mois de vie. À partir de 6 mois, en cas d’allaitement maternel exclusif ou majoritaire, il faut une supplémentation en fer. Entre 6 et 12 mois, 730 ml/j lait 2e âge couvrent les besoins en fer, à condition de choisir un lait 2e âge avec un taux de fer au moins égal à 1 mg/100 ml. À noter que 10 g de viande est équivalent à 40 ml de lait 2e âge. Après un an, il faut opter pour du lait de croissance avec un taux de fer au moins égal à 1,1 mg/100 ml. Le lait de croissance doit être poursuivi jusqu’à ce que l’enfant soit en mesure d’ingérer au moins 100-150 g de produits carnés par jour, c’est-àdire à l’âge de 3 à 6 ans(11). « Il faut donner tôt l’habitude aux enfants de manger des produits carnés midi et soir, cela dès la diversification », a souligné Patrick Tounian (hôpital Trousseau, Paris) lors de son intervention. Enfin, une étude française récente confirme le risque de carence martiale associé à la non-consommation de lait de croissance(12).
D’après les communications de Julie Lemale et de Patrick Tounian (hôpital Trousseau Paris), lors des 29es Rencontres de Pédiatrie Pratique
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