Publié le 29 déc 2010Lecture 13 min
Vaccins du futur : les pistes pour endiguer trois grands fléaux
J. GAUDELUS, Service de pédiatrie, CHU Jean-Verdier, Bondy, Université Paris 13
La route est encore longue vis-à-vis des trois grands fléaux de l’humanité. Un vaccin contre le paludisme a donné des premiers résultats qui, même modestes, sont une avancée. Pour la première fois, de nouveaux vaccins contre la tuberculose ont fait mieux que le BCG chez l’animal. Ils doivent confirmer ces résultats chez l’homme. Il n’y a pas dans l’immédiat de vaccin contre le VIH, et il est nécessaire de mieux appréhender les aspects fondamentaux de ce virus.
Vaccin contre le paludisme Le paludisme est une des trois priorités de l’OMS en matière de maladie infectieuse avec la tuberculose et le sida. En 2005, il avait été estimé qu’en 2010 la moitié de la population mondiale (3,5 milliards d’individus) vivrait dans une zone où le paludisme est transmis. On estime que chaque année de 700 000 à 1,6 million de morts sont dues au paludisme, essentiellement chez l’enfant de moins de 5 ans. La mise au point d’un vaccin serait un progrès considérable avec pour cible les très jeunes enfants. On estime chaque année de 700 000 à 1,6 million les morts dues au paludisme, essentiellement chez l’enfant de moins de 5 ans. Compte tenu de la difficulté à immuniser contre Plasmodium falciparum aux différents stades du cycle parasitaire, plusieurs stratégies peuvent être envisagées. Les approches pour l’élaboration d’un vaccin antipalustre sont multiples et ciblent soit les stades pré-érythrocytaires ou hépatiques du parasite, soit ses stades sanguins, soit le blocage de la transmission chez le moustique, ou encore ambitionnent une activité multistade. Il existe de multiples antigènes cibles et plusieurs candidats vaccins en développement, mais peu ont fait l’objet d’essais cliniques. Les vaccins de type pré-érythrocytaire Ils visent à prévenir ou bloquer la libération de mérozoïtes à partir du foie. Un vaccin efficace à ce stade est susceptible de prévenir à la fois l’infection et la transmission. Les réponses immunes induites par ce type de vaccin incluent la production d’anticorps contre les antigènes de surface des sporozoïtes, la prévention de l’invasion hépatocytaire et des réponses CD4 et CD8 contre les hépatocytes infectées. Le vaccin RTS,S/ASO2 est le vaccin le plus « avancé ». Les anticorps dirigés contre la protéine « circumsporozoïte » (CSP), protéine majeure de la surface du sporozoïte, semblent protecteurs. Le vaccin recombinant RTS,S/ ASO2 est une protéine de fusion qui inclut la partie carboxyterminale de la CSP du Plasmodium falciparum (RTS) et l’antigène de surface du virus de l’hépatite B (S) coexprimé chez la levure, ASO2 étant l’adjuvant. Cette protéine recombinante s’est avérée protectrice et bien tolérée dans des essais de phase I et II chez des volontaires adultes en Gambie. Des essais de phase I chez des enfants de 6-11 ans et de 1-5 ans en Gambie ont montré que ce vaccin était immunogène et bien toléré. En 2004, la première étude a été rapportée chez des enfants africains de 1 à 4 ans vivant au Mozambique dans une zone endémique à P. falciparum (1). Les résultats à 21 mois de cette étude ont montré que ce vaccin avait permis d’éviter un tiers des accès palustres et près de la moitié des épisodes sévères. Lors de cet essai, le taux d’anticorps vis-à-vis de la protéine CSP baisse entre 6 et 21 mois, mais la moyenne géométrique des titres d’anticorps (MGT) était 50 fois plus élevée dans le groupe vacciné que dans le groupe témoin. Les résultats de cet essai ont été rapportés à 45 mois (2) et montrent une efficacité vis-à-vis du premier accès palustre de 30,5 % (IC95 % : 18,9-40,4 ; p < 0,001) et vis-à-vis de la totalité des épisodes de 25,6 % (IC95 % : 11,9-37,1 ; p < 0,001). Durant la période considérée (2,5 à 45 mois après la vaccination), l’efficacité vis-à-vis des accès palustres sévères a été de 38,3 % (IC95 % : 3,4-61,3 % ; p = 0,045). Au 45e mois, la prévalence du P. falciparum était 34 % plus basse dans le groupe vacciné que dans le groupe contrôle : 66 (12,2 %) des 541 patients vaccinés versus 101 (18,5 %) des 547 patients non vaccinés. Ces résultats peuvent paraître modestes. Ils sont cependant très encourageants car ils montrent que chez le petit enfant, on pourrait éviter pratiquement 4 accès sévères sur 10. Ce sont précisément ces accès qui sont susceptibles de tuer les enfants au dessous de 5 ans. Une modification de l’adjuvant (ASO1B au lieu de ASO2A) semble améliorer l’immunogénicité et l’efficacité à court terme de ce vaccin chez l’adulte(3). Ces résultats modestes sont cependant très encourageants : on pourrait éviter pratiquement 4 accès palustres sévères sur 10. Vaccin contre la tuberculose La tuberculose reste l’une des premières causes de morbidité et de mortalité liées à un agent infectieux de par le monde. L’OMS estime que le tiers de la population mondiale est infectée par le BK et qu’entre 1,5 et 2 millions de personnes meurent chaque année de tuberculose. Le BCG ou bacille de Calmette et Guérin, développé à partir d’une souche de Mycobacterium bovis dans les années 20, est à ce jour le seul vaccin disponible contre la tuberculose ayant démontré chez l’enfant une efficacité de 75 % visà- vis des formes graves, et de 50 % toutes formes confondues. Même si le BCG n’assure qu’une protection individuelle, incomplète et limitée dans le temps et n’a malheureusement aucune action sur la circulation du BK, ce vaccin reste indispensable dans les pays de haute endémicité. La mise au point de nouveaux vaccins doit tenir compte de cette efficacité même si elle est imparfaite. L’immunité à médiation cellulaire impliquant à la fois les cellules TCD4 et TCD8 joue un rôle majeur dans la protection contre la tuberculose. Le BCG constitue un bon inducteur de cellules TCD4, mais il n’active que faiblement les cellules TCD8. Différentes études ont montré que les cytokines de type Th1, telles que l’interféron gamma (IFN) sont indispensables à la protection contre les infections bactériennes. La recherche s’oriente suivant plusieurs axes, avec soit des vaccins vivants, soit des stratégies de type prime-boost. La mise au point de nouveaux vaccins vivants ● À partir du BCG. Il s’agit de remplacer le vaccin actuel par des souches recombinantes capables d’exprimer ou de surexprimer certains antigènes susceptibles d’induire une réponse protectrice plus efficace dans l’immédiat dans les modèles animaux (4). L’identification respective du génome de M. tuberculosis et celle du BCG a permis de mettre en évidence des régions de différence (RD). Il existe des groupes de gènes présents dans les souches virulentes du complexe M. tuberculosis et absents dans le BCG. On a ainsi construit un BCG auquel on a ajouté le locus RD1 (BCG : RD1) qui a montré, par rapport au BCG classique, une meilleure protection dans un modèle murin (5), mais aussi une virulence accrue. Le BCG:RD1 a montré une meilleure protection que le BCG classique dans un modèle murin, mais avec une virulence accrue. ● À partir de Mycobacterium tuberculosis. Il s’agit ici d’atténuer (génétiquement) la virulence de M. tuberculosis tout en lui donnant un pouvoir protecteur supérieur à celui du BCG (6). La mise au point de vaccins acellulaires L’utilisation d’extraits mycobactériens inactivés ou d’antigènes purifiés constitue une alternative au développement de vaccins vivants. ● Les membres du complexe antigène 85 sont parmi les premiers antigènes candidats à avoir démontré une efficacité dans plusieurs modèles animaux (cobaye, souris). Un vaccin a été construit avec un virus MVA (Modified vaccinia Ankara) exprimant l’antigène 85A. Ce vaccin s’est avéré capable d’induire une bonne réponse cellulaire dans des conditions de tolérance acceptable chez l’homme, mais il faudra attendre les essais de phase III pour savoir s’il est plus efficace que le BCG(7). ● D’autres antigènes sont à l’étude dont l’ESAT6 (Early secretory antigen target 6) codé par la région RD1. Cet antigène a été fusionné à l’antigène 85B pour former une protéine chimère appelée Hybrid 1, qui induit une réponse protectrice chez l’animal (8). D’autres protéines hybrides sont en cours d’étude, dont certaines (MTb72F) formulées avec l’adjuvant ASO2A qui induit une réponse immunitaire protectrice chez l’animal. ● D’autres antigènes comme HBHA (Heparine binding haemaglutinin adhesine) présente à la surface de M. tuberculosis se sont avérés induire une réponse protectrice dans un modèle murin, capable d’augmenter le niveau de protection induit par le BCG. Des antigènes non protéiques comme les sulfoglycolipides sont de puissants antigènes reconnus par les cellules T après présentation par les molécules de type CD1. Les cellules T activées de façon spécifique sont capables de produire de l’IFN-γ. Elles reconnaissent les cellules infectées par M. tuberculosis et exercent un effet bactéricide sur les mycobactéries intracellulaires (9). Autres stratégies Des stratégies vaccinales utilisées contre le virus HIV de type primeboost mettant en jeu deux vaccins distincts dont le BCG sont à l’étude. Pour la première fois dans les dix dernières années, de nouveaux vaccins contre la tuberculose ont fait mieux que le BCG chez l’animal. Il reste à confirmer ce résultat chez l’homme. Ceci ne pourra être fait que sur des cohortes importantes dans des zones de haute endémicité de tuberculose. Dans la mesure où le BCG est efficace contre les formes graves de tuberculose, ces essais ne pourront pas être effectués contre placebo. L’une des stratégies possibles serait de comparer un groupe vacciné par BCG à un groupe recevant le BCG plus un candidat vaccin. Vaccin contre le VIH Plus de 60 millions de personnes ont été infectées par le virus HIV-1 de par le monde dont la majeure partie dans les pays en voie de développement, et environ la moitié d’entre elles sont décédées. La mise au point d’un vaccin contre le VIH est la stratégie la plus prometteuse pour inverser le cours de l’épidémie, mais elle se heurte à de grandes difficultés. Les obstacles au développement d’un vaccin sont nombreux : l’extraordinaire variabilité du virus VIH-1 ; la capacité du virus à échapper au système immunitaire ; l’incapacité à produire des anticorps neutralisants vis-à-vis des différents sous-types ; l’établissement précoce d’un réservoir de virus latent ; enfin l’absence d’un corrélat de protection(10). Dans l’état actuel de nos connaissances, il semble utopique de vouloir empêcher l’infection par le virus, et l’objectif est plutôt de provoquer le rejet du virus après infection et, même plus modestement, de diminuer la charge virale lorsque les sujets sont infectés, c'est-à-dire d’induire des réponses immunes suffisantes pour contrôler la réplication virale. Il semble utopique de vouloir empêcher l’infection par le VIH, et l’objectif est plutôt de provoquer le rejet du virus après infection… Induction de réponses cellulaires Du fait de l’impossibilité actuelle d’induire des anticorps neutralisants (vis-à-vis des glycoprotéines de l’enveloppe) capables de neutraliser les isolats primaires de différents sous-types, la recherche s’est tournée vers l’induction de réponses cellulaires. Il existe en effet une corrélation entre le contrôle de la charge virale après la primo-infection et l’apparition des cellules cytotoxiques anti-VIH. ● Les candidats vaccins induisant une immunité cellulaire sont essentiellement des vaccins vivants recombinants. Ils sont construits à partir d’un microorganisme (virus ou bactérie) inoffensif pour l’homme dans lequel sont insérés un ou plusieurs gènes du virus VIH. Ces vecteurs expriment lors de leur réplication des protéines du VIH. Ces protéines virales, générées à l’intérieur des cellules, sont présentées sous leur forme native au système immunitaire, présentation qui a l’avantage de suivre la voie naturelle de l’induction des CTL. L’inconvénient de cette approche est d’induire des réponses contre le vecteur qui peuvent limiter l’efficacité des immunisations consécutives utilisant le même vecteur. ● Les vecteurs Parmi les différents vecteurs étudiés, les adénovirus recombinants rendus défectifs par mutations et délétions sont les vecteurs viraux les plus immunogènes. Ils induisent des réponses CD8+ chez environ 70 % des volontaires, mais avec des réponses réduites chez les sujets ayant eu une infection antérieure, c'est-à-dire une immunité contre les adénovirus. Les poxvirus recombinants (virus de la vaccine atténués ou canarypox, virus de la vaccine des oiseaux) ont également été très étudiés. Ils induisent des réponses cellulaires puissantes chez le macaque, mais moindres chez l’homme. Un vecteur rougeole recombinant est également à l’étude. ● Une combinaison des deux approches de stimulation cellulaire et humorale, dans un même schéma vaccinal, est une voie très intéressante. La technique la plus utilisée actuellement consiste à inoculer d’abord un vecteur stimulant l’immunité cellulaire puis un second immunogène stimulant la réponse anticorps. Ce type d’essai est appelé prime-boost. Les résultats des essais cliniques sont cependant décevants. Une étude d’efficacité de phase IIb a dû être interrompue, car non seulement le vaccin adénovirus recombinant rAd5 exprimant les protéines Gag, Pol et Nef du virus HIV-1 de clade B n’a pas montré de protection vis-à-vis de l’infection ni de réduction de la charge virale après infection, mais chez les sujets ayant des anticorps spécifiques vis-à-vis de adénovirus 5 préexistant, il existait un risque augmenté d’acquisition de l’HIV-1 (10). Les raisons de cette augmentation ne sont pas claires. Le dernier grand essai en date – primo-vaccination par 4 injections d’un vecteur recombinant canarypox (0, 4, 12, 24 semaines) (ALVAC) et « boost » par 2 injections de protéines recombinantes rGp120 (12, 24 semaines) (AIDSVAX) (11) – a montré des résultats pour le moins modestes. On observe une tendance à une réduction du risque d’infection dans la population « en intention de traiter » vaccinée (16 402 sujets) efficacité vaccinale : EV = 26,4 % (IC95 % : - 4-47,9 ; p = 0,08). Dans la population « per protocole » (12 542 sujets), EV = 26,2 % (IC95 % : - 13,3-51,9 ; p = 0,16). Ce n’est que dans la population « en intention de traiter modifiée » après exclusion de 7 sujets qui se sont avérés être infectés par le virus HIV à l’entrée dans le protocole, que l’on parvient à un résultat à la limite de la significativité : EV = 31,2 % (IC95 % : 1,1-51,2 ; p = 0,04). Dans cette étude, il n’y a pas eu de modification de la charge virale ni des TCD4 chez les vaccinés infectés par rapport au placebo. Force est de reconnaître que nous ne savons pas dans l’immédiat faire un vaccin contre le VIH, et qu’il est nécessaire d’approfondir la recherche fondamentale dans ce domaine.
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