Ophtalmologie
Publié le 24 mar 2025Lecture 7 min
Rétinopathie du prématuré : l’essentiel pour le médecin traitant
Elsa KERMORVANT, service de néonatologie et réanimation néonatale, hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP), Université Paris-Cité, Paris

La rétinopathie du prématuré (RdP) est responsable de la majorité des séquelles visuelles des anciens prématurés et est la principale cause évitable de cécité infantile dans les pays à revenus élevé et intermédiaire. En France, environ 30 % des prématurés de moins de 31 semaines d’âge gestationnel développent une RdP, et environ 3 % ont une forme sévère nécessitant un traitement. Le dépistage et la prise en charge de la RdP ont fait l’objet de la publication récente d’un protocole national de diagnostic et de soins (PNDS), sous l’égide de la Haute Autorité de santé. Nous en résumons ici les points saillants.
Physiopathologie
La RdP est une pathologie multifactorielle du développement rétinien, notamment du développement du réseau vasculaire rétinien. Sa physiopathologie comporte deux phases (figure). La première, dite phase ischémique, est caractérisée par un arrêt du développement vasculaire rétinien physiologique. Celui-ci est secondaire à l’exposition du nouveau-né prématuré pendant les premières semaines de vie à des facteurs multiples, notamment l’hyperoxie, l’inflammation et des déséquilibres nutritionnels et métaboliques. Le tissu rétinien non vascularisé devient progressivement ischémique, ce qui entraîne une activation de signaux de réparation vasculaire, responsables de la formation de néovaisseaux à visée compensatoire mais pathologique. Ces néovascularisations, caractéristiques de la 2e phase de la maladie, font toute sa gravité car elles peuvent entraîner un décollement de rétine par traction et des hémorragies intra-oculaires.
Figure. Mécanismes physiopathologiques mis en jeu dans le développement de la rétinopathie du prématuré. La phase ischémique, silencieuse, se déroule entre 24 et 31 semaines d’aménorrhée (SA) d’âge corrigé ; la phase proliférative est observée entre 31 et 44 SA.
Dépistage
Le dépistage de la RdP par examens du fond d’œil est essentiel pour identifier les nouveau-nés développant une forme sévère (avec néovascularisation), afin de leur proposer un traitement précoce. Dans les autres situations, il permet de surveiller la régression spontanée de la maladie, observée dans 90 % des cas.
Le dépistage est indiqué pour tous les prématurés nés avant 31 semaines d’aménorrhée (SA) et/ou avec un poids de naissance de 1 250 g ou moins. Il est débuté à partir de 27 semaines d’âge corrigé et 4 semaines de vie révolues.
Les examens du fond d’œil sont effectués toutes les semaines à 3 semaines en fonction de la présence ou non d’une RdP et de la sévérité de celle-ci. Les examens peuvent être interrompus lorsque la rétine est complètement vascularisée ou lorsque l’enfant est indemne de RdP et a atteint 1 mois d’âge corrigé, ou lorsque la régression de la RdP (absence de tissu vasculaire anormal) est observée. La surveillance du fond d’œil est en revanche poursuivie, en milieu spécialisé, en cas de RdP non régressive ou après traitement.
Les examens du fond d’œil sont effectués soit par ophtalmoscopie indirecte au casque, soit par imagerie rétinienne par caméra ultra-grand champ. Cette dernière est définie par le PNDS comme le gold standard pour le dépistage de la RdP, car elle permet une meilleure détection de la maladie et un meilleur suivi de sa progression. En outre, elle seule permet la télémédecine et l’enseignement. Alors que l’ophtalmoscopie indirecte doit être effectuée au lit du malade par un ophtalmologiste entraîné, les rétinophotographies ultra-grand champ peuvent être prises par un soignant formé (orthoptiste, infirmière). Elles sont ensuite lues à distance par un ophtalmologiste expert, qui peut identifier avec précision le stade et la localisation des lésions, et les classer selon l’International Classification of Retinopathy Of Prematurity, basée sur la zone atteinte (de I à III), la sévérité (stade 1 à 5) et l’activité de la maladie (maladie + ou non). Ces éléments sont essentiels pour le suivi et les indications de traitement d’un enfant.
Principes du traitement
Le traitement a pour objectif de contrôler la néovasularisation. Effectué en temps opportun, il réduit considérablement le risque de décollement de rétine et de cécité. Deux modalités thérapeutiques existent : la photocoagulation laser et l’injection intravitréenne d’un anticorps anti-VEGF (vascular endothelial growth factor). La photocoagulation laser est faite sous anesthésie générale, chez un enfant intubé ventilé, tandis que l’injection d’anti-VEGF peut être faite sous sédation-analgésie chez un enfant en ventilation spontanée ou non invasive. La stratégie thérapeutique relève d’une décision pluridisciplinaire prenant en compte la sévérité de la RdP (zone atteinte, stade), l’âge corrigé, l’état général et les comorbidités de l’enfant (par exemple, une dysplasie bronchopulmonaire sévère à risque de décompensation contre-indiquant une anesthésie générale). La possibilité d’un suivi rapproché et prolongé entre également en compte, car les antiVEGF sont associés à un plus grand risque de récurrence tardive. Au stade de décollement de rétine, la chirurgie vitréo-rétinienne permet de remettre la rétine à plat mais les résultats fonctionnels sont très défavorables.
Suivi après la sortie de néonatologie
Après une photocoagulation laser, un contrôle est recommandé à 2 semaines post-traitement, puis, si une régression est observée comme attendue à 4-6 semaines. Si la régression est complète à 4-6 semaines, les examens suivants sont programmés à 3 et 6 mois car le risque de récurrence est alors minime. En revanche, les nourrissons traités par anti-VEGF doivent être revus régulièrement jusqu’à 7-8 mois d’âge corrigé, car le succès du traitement n’est établi que lorsque la vascularisation rétinienne est complète, en l’absence de maladie active ou d’éléments tractionnels cliniquement significatifs. Dans certains cas de RdP non régressive, un traitement complémentaire par laser peut être indiqué.
Le suivi ophtalmologique à long terme de tous les grands prématurés, qu’ils aient développé ou non une RdP, est fondamental. En effet, ces enfants présentent un risque accru d’amblyopie, de troubles réfractifs (myopie, astigmatisme, anisométropie), oculomoteurs (strabisme, nystagmus), neurovisuels (y compris une déficience visuelle) et de la vision des couleurs. En outre, chez ceux ayant présenté une RdP, des réactivations de la maladie ont été observées tardivement, même à l’adolescence et à l’âge adulte.
Ainsi, un bilan ophtalmologique et orthoptique, avec cycloplégie et fond d’œil, est recommandé avant 12 mois, puis entre 2,5 et 3 ans, et entre 4 et 5 ans chez tous les enfants prématurés ayant eu une indication de dépistage de la RdP. Les enfants dont la RdP a nécessité un traitement devraient bénéficier au minimum d’un examen ophtalmologique et orthoptique tous les 6 mois jusqu’à 3 ans, puis une fois par an jusqu’à l’adolescence avec adaptation des examens selon les résultats fonctionnels et anatomiques.
Dans ce cadre, le rôle du pédiatre et du médecin généraliste est important, pour :
– veiller à ce que le suivi ophtalmologique des grands prématurés soit assuré selon les recommandations du PNDS, incluant le dépistage des troubles visuels, en lien avec les équipes référentes ;
– maintenir une communication étroite avec les équipes référentes pour la prise en charge du handicap visuel : orienter le patient vers les acteurs et/ou structures adaptées et l’aider pour l’accès à ses droits administratifs et sociaux ;
– et mettre en relation les parents avec les ophtalmologistes référents des centres de maladies rares et les associations de patients.
EN PRATIQUE, ON RETIENDRA
La RdP et plus largement la grande prématurité ont des conséquences à très long terme sur la fonction visuelle et il est indispensable qu’un suivi ophtalmologique régulier soit effectué.
En parallèle de la généralisation du dépistage par imagerie rétinienne ultra-grand champ, les progrès concernant la prise en charge thérapeutique laissent espérer une réduction des séquelles de la RdP, dont l’incidence diminue peu pour l’instant en raison de l’amélioration de la survie d’enfants de plus en plus immatures.
Pour en savoir plus :
• Protocole national de diagnostic et de soins. Prise en charge de la rétinopathie du prématuré. Haute Autorité de santé 2023.
• Daruich A, Bremond-Gignac D, BeharCohen F, Kermorvant E. Rétinopathie du prématuré : de la prévention au traitement. Med Sci (Paris) 2020 ; 36 : 900-7.
• Chiang MF, Quinn GE, Fielder AR et al. International Classification of Retinopathy of Prematurity, Third Edition. Ophthalmology 2021 ; 128 : e51-68.
• Blencowe H, Lawn JE, Vazquez T, Fielder A, Gilbert C. Preterm-associated visual impairment and estimates of retinopathy of prematurity at regional and global levels for 2010. Pediatr Res 2013 ; 74(Suppl 1) : 35-49.
• Hellgren KM, Tornqvist K, Jakobsson PG, Lundgren P et al. Ophthalmologic Outcome of Extremely Preterm Infants at 6.5 Years of Age: Extremely Preterm Infants in Sweden Study (EXPRESS). JAMA Ophthalmol 2016 ; 134 : 555-62.
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