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Cas cliniques

Publié le 08 déc 2008Lecture 9 min

Une gastro-entérite particulière

D. ARMENGAUD, CHI de Poissy, Saint-Germain-en-Laye

Djebril, garçon de 3 ans, est adressé aux urgences par son médecin de famille pour une gastro-entérite fébrile avec des douleurs augmentant malgré le traitement symptomatique.

 
Histoire clinique Originaire du Sénégal, Djebril est né en France au terme d’une grossesse sans particularité avec un petit poids de naissance (2 770 g). Il a été traité pendant 4 mois pour un RGO banal. Il présente par ailleurs un asthme modéré pour lequel il est traité par bronchodilatateur inhalé de courte durée d’action, à la demande et par oméprazole. En contexte modérément fébrile (38°C), il présente depuis 48 heures une gastro-entérite pour laquelle le médecin traitant a été appelé, qui a prescrit un traitement symptomatique associant dompéridone, phloroglucinol et diosmectite. Il a en outre demandé une coproculture, en raison de l’apparition de selles glairo-sanglantes. Les parents néanmoins viennent aux urgences dans la soirée en raison de douleurs abdominales paraissant plus importantes. À l’examen le garçon paraît en bon état général. Il pèse 16,5 kg, avec une perte de poids récente estimée par la mère à 500 g, mais il ne présente pas de signes de déshydratation. L’enfant reste modérément fébrile (37,8 °C) sans frissons ou signes de mauvaise tolérance hémodynamique (PA : 118/68 mmHg ; FC : 131/min ; Sat : 98 %). Les douleurs abdominales sont intermittentes et associées à l’émission de selles plus liquides, 5 à 6 fois par jour. À la palpation, l’abdomen est souple, dépressible et indolore. Il n’y a pas d’autres troubles fonctionnels et le reste de l’examen est tout à fait rassurant. Sans plus d’exploration, Djebril est rendu à sa famille avec confirmation des mesures symptomatiques prescrites, en y adjoignant l’administration de solution de réhydratation qu’il a pris sans difficulté aux urgences. Le lendemain, au vu des résultats de la coproculture (rotavirus– ; entérovirus +), isolant un colibacille (O157 H7), l’enfant est réadressé par le médecin traitant pour hospitalisation. À l’entrée, l’examen clinique reste similaire avec une fièvre à 38 °C, un poids stable (16,5 kg), une PA à 110/74, une FC à 115 et une saturation à 98 %. Les troubles digestifs restent modérés, la diurèse conservée. La seule nouveauté est l’apparition d’une éruption érythémateuse d’allure urticarienne. Examens biologiques • NFS – Hb : 15,4 g/100 ml – GR : 5 430 000/mm3 ; VGM 78 μ3 – Réticulocytes : 46 200/mm3 – GB : 23 500/mm3 (69 % de PNN) – Plaquettes : 407 000/mm3 • Glycémie : 6,6 mmol/l • Ionogramme sanguin (mmol/l) : Na : 131 ; K : 4,5 ; bicarbonates : 20 ; • urée : 2 g/l • Protides : 66 g/l • Créatinine : 28 μmol/ • BU : absence de protéinurie (0,12 g/l) • CRP : 154 mg/l   Un bilan biologique est prélevé.      La gastro-entérite que présente cet enfant de 3 ans n’a pas, en elle-même, de gravité particulière, que ce soit sur le plan infectieux — ne se manifestant que par une fébricule bien tolérée et sans signes d’invasivité —, ni métabolique, avec une perte de poids modérée et maintien d’une alimentation/ hydration orale adaptée.     Cela ne justifie effectivement qu’un traitement symptomatique, mais c’est bien sûr l’isolement de l’Escherichia coli O157-H7, qui pose question. En effet, s’il est banal de trouver des « bacilles du côlon » dans les selles — même en dehors de tout contexte diarrhéique, la carte d’identité de ce colibacille est inquiétante, car il est le premier agent infectieux reconnu comme à l’origine de syndrome hémolytique et urémique. Pour autant, le bilan biologique est normal et rassurant, en l’absence d’anémie (la recherche de schizocytes est négative), de thrombopénie ou d’insuffisance rénale.    Le bilan est complété par une échographie à la recherche de signes indirects d’une atteinte rénale, mais la différenciation cortico-médullaire est conservée et l’échogénicité du cortex normale. L’enfant est gardé en observation 48 heures avec perfusion intraveineuse de sécurité (?) et répétition du bilan biologique. Ce dernier reste normal à J5 alors que la diarrhée s’est totalement amendée.   Quel est votre diagnostic ?         Histoire clinique (suite)         Il est décidé de rendre l’enfant à sa famille avec : • surveillance quotidienne des urines par bandelettes ; • bilan de contrôle biologique à 72 h ; • rendez-vous de consultation de contrôle à 8 jours.  Alors que cliniquement l’évolution reste favorable, les parents rappellent le service au bout de 48 heures en raison de l’apparition d’une protéinurie +++ avec hématurie +++. Il leur est demandé de ramener leur enfant aux urgences sans tarder. L’enfant paraît plus fatigué, un peu pâle, non ictérique, l’examen clinique est normal, le poids stable. Il n’y a pas d’éruption ni de purpura, ni d’hypertension artérielle (116/59 mmHg). La diurèse est conservée, mais le bilan sanguin immédiatement réalisé confirme la survenue du syndrome hémolytique et urémique suspecté, devant (cf. tableau) : • une hémoglobine à 6,5 g/100 ml, avec présence de schizocytes sur le frottis ; • une thrombopénie à 41 000/mm3, • une insuffisance rénale : urée à 18,7 mmol, (créatinine 42 μmol/l) ; sans anomalies ioniques (Na : 133 ; K : 3,8 mmol/l) ; • une protéinurie à 1,08 g/l.   Évolution biologique           Commentaire Le syndrome hémolytique et urémique (SHU), qui est le plus souvent en rapport avec une infection digestive entéro-invasive, reste une affection potentiellement mortelle en l’absence d’une prise en charge adaptée (72 % de mortalité dans les pays en voie de développement).  Le traitement est purement symptomatique et consiste en la correction : ● des troubles hydro-électrolytiques menaçants (hyperkaliémie, acidose) ; ● de l’insuffisance rénale, qui nécessite plus d’une fois sur deux le recours à une épuration extrarénale (dialyse péritonéale) ; ● de l’anémie, souvent d’autant plus mal tolérée que très brutale dans sa constitution, et de la thrombopénie par la transfusion de globules rouges (plus rarement de plaquettes).    Le SHU est souvent source de séquelles rénales, en fonction de la sévérité de l’atteinte glomérulaire, allant de l’insuffisance rénale terminale au risque différé, dans l’enfance ou à l’âge adulte, d’une insuffisance rénale chronique et d’une HTA. La microangiopathie thrombotique glomérulaire, qui le caractérise sur le plan histologique, est provoquée par l’agression des cellules endothéliales du rein par une toxine produite principalement par les colibacilles entéro-hémorragiques (EHEC), et particulièrement E. coli O157-H7. Cette exotoxine appelée Shiga toxine (Stx1, Stx2), ou encore vérotoxine, se fixe sur un récepteur de nature glycolipidique (globotriaosylcéramide Gb3) de la cellule endothéliale. Cette dernière relargue dans la circulation des substances vasoactives favorisant l’agrégation des plaquettes et le déclenchement d’une coagulation intravasculaire « localisée » ; la formation de microthrombi et d’un réseau de fibrine provoque une hémolyse mécanique extra-corpusculaire exprimée par la schizocytose. La variation de l’expression de ce récepteur à la surface des cellules endothéliales explique l’atteinte rénale préférentielle, mais d’autres tissus peuvent également être atteints (foie, tube digestif, système nerveux central).    Facteurs favorisants ? Seuls 10 à 15 % des infections à EHEC 157-H7 se compliquent d’un SHU ; les facteurs favorisant le déclenchement restent partiellement identifiés. Si le jeune âge, surtout avant 3 ans est le principal facteur retrouvé, l’usage « inadapté » d’antibiotiques (les bêtalactamines sont même considérées comme favorisant la survenue d’un SHU, par libération massive de toxines) ou d’agents pharmacologiques ralentissant le transit intestinal. Dans le cas présent pourrait se poser la question de l’administration au long cours (pour une indication pour le moins discutable) d’un inhibiteur de la pompe à protons, qui par la diminution de l’acidité gastrique, pourrait être un facteur favorisant d’un développement bactérien. ● Il n’y a, à l’heure actuelle, aucun moyen de diminuer le risque de voir se développer un SHU lorsque ce colibacille est identifié. Mais on peut imaginer qu’un jour nous disposerons d’une substance « adsorbant » cette toxine par voie digestive… Seules des mesures sanitaires préventives (cf. infra) permettent d’en limiter la survenue.   Escherichia coli O157 H7et syndrome hémolytique et urémique Les colibacilles sécréteurs de Shiga (ou véro) toxines sont des germes saprophytes du tube digestif des mammifères, dont le réservoir se situe principalement chez les ruminants domestiques. La contamination humaine est possible par la consommation de viande ou de lait, ou par la consommation d’eau douce (rivière, lac) dans des zones d’élevage.     Les gastro-entérites provoquées par ces colibacilles, parfois épidémiques, s’accompagnent dans la moitié des cas (seulement) d’une diarrhée sanglante et se compliquent dans 10 à 15 % des cas de SHU (une centaine par an en France, avec une incidence de 0,8 cas/an/100 000 enfants < 15 ans ; mais 3,3 cas/an/100 000 < 3 ans).     EC O157 H7 est le plus fréquemment retrouvé comme à l’origine d’un SHU, mais d’autres sérotypes peuvent être en cause (O 111, O 26, O 103, O 126).     La prévention est essentiellement d’ordre sanitaire par la surveillance vétérinaire des troupeaux et de la qualité des produits alimentaires (boucherie, laiterie, fromagerie) et l’extension de la pasteurisation.     Les conseils à donner aux familles, particulièrement pour les enfants plus petits (< 3 ans), sont de cuire les viandes « à coeur » (notamment le steak haché) et de préférer les fromages pasteurisés et cuits.     Durant les périodes de vacances, la rupture de la chaîne du froid, l’utilisation de glacière plutôt que de réfrigérateur, la consommation d’eau douce (torrent, puits) lors de randonnées sont autant de facteurs de risque évitables et donc à connaître.           Histoire clinique (suite et fin)  Le SHU de Djebril sera d’évolution rapidement favorable, avec une stabilité de l’équilibre hydro-électrolytique (absence d’hyperkaliémie et d’acidose), et récupération rapide d’une fonction rénale normale sans recourir à l’épuration extra-rénale. La brutalité de survenue de l’anémie avec présence de schizocytes a nécessité une transfusion d’un seul culot globulaire. En l’absence de tout syndrome hémorragique, il n’a pas été nécessaire de transfuser des plaquettes. La survenue de ce SHU « mineur » impose quand même le maintien d’une surveillance à long terme de la fonction rénale et de la pression artérielle chez cet enfant.

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