Publié le 07 oct 2010Lecture 12 min
Les accidents de la vie courante en pédiatrie
B. CHEVALLIER, Hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt
En France, comme dans tous les pays industrialisés, les accidents dans l’enfance constituent la première cause de décès dès l’âge de 1 an et la principale cause d’années potentielles de vie perdues. Malgré une évolution favorable depuis environ 30 ans, la situation n’est toujours pas satisfaisante, la France présentant un taux de mortalité accidentelle des enfants supérieur à celui de la plupart des pays du nord de l’Europe. Le groupe francophone de recherche aux urgences pédiatriques (GFRUP) a organisé une table-ronde lors du dernier Congrès des Sociétés de Pédiatrie sur ce thème.
Les accidents de l’enfant et de l’adolescent comprennent les accidents domestiques, les accidents scolaires et les accidents de sports et de loisirs regroupés sous le vocable d’ « accidents de la vie courante » (AVc), et les accidents de la circulation, que l’enfant soit piéton, passager d’une voiture ou cycliste. Si ces accidents sont le plus souvent bénins, notamment les accidents domestiques et scolaires, certains accidents de la vie courante sont graves, voire très graves (noyades, brûlures, etc.). Plus de 200 enfants meurent chaque année en France des suites d’un accident de la vie courante (noyades, défenestration, incendies, intoxication par produits ménagers et brûlures sont les accidents les plus graves). Ils représentent, dans cette tranche d’âge, 10 % des journées d’hospitalisation et près de 20 % des handicaps à long terme. Un enfant sur huit est victime chaque année d’un accident et 20 % d’entre eux requièrent des soins médicaux. Plus de 200 enfants meurent chaque année en France des suites d’un accident de la vie courante. Que disent les enquêtes épidémiologiques En 2006, 266 enfants de moins de 15 ans sont décédés d’un accident de la vie courante (1) (178 garçons et 88 filles) : les décès survenant en majorité avant 5 ans de causes diverses comme les noyades, les suffocations, les accidents par le feu et les défenestrations. Alors que la mortalité s’est réduite de 20 à 25 % depuis dix ans dans notre pays, la morbidité reste toujours aussi importante. Près de 85 % des accidents de la vie courante sont bénins et 8 % justifient une hospitalisation. Certains de ces enfants devront être suivis ultérieurement et 0,5 à 1 % de séquelles post-traumatiques sont estimées à la lumière d’enquêtes ad hoc, spécifiques de certains mécanismes (chutes, brûlures, intoxications à l’oxyde de carbone, morsures de chiens). Toutes les enquêtes, quel que soit le pays considéré, s’accordent pour reconnaître des marqueurs ou des facteurs de risque accrus de développer des accidents, et parfois les plus sévères : le sexe masculin, la précarité, l’habitat semi-rural, la vétusté des logements, les familles monoparentales et le bas niveau scolaire maternel. Cela est d’autant plus marqué pour certains accidents comme le feu, les chutes de grande hauteur et les brûlures. Le sexe masculin et la précarité sociale sont reconnus comme des facteurs de risque d’accident de l’enfant. Si l’épidémiologie descriptive a fait beaucoup de progrès dans notre pays, l’épidémiologie analytique – comprendre l’accident, les mécanismes qui ont concouru à sa survenue, la chaîne des événements qui a permis ce par-cours dangereux, les défaillances éventuelles de l’environnement humain et matériel – reste à être considérée à sa juste valeur et développée pour mieux prévenir. Ainsi, certaines études en cours, telles que celle conduite depuis 2009 avec les vétérinaires, les urgentistes pédiatres et chirurgiens et l’InVS, doivent permettre de prévenir un certain nombre d’accidents par une meilleure connaissance de ce qui s’est passé avant et pendant l’accident. Les nouveaux accidents domestiques I. Claudet a insisté sur les nouveaux accidents tels qu’on les voit aux urgences de nos hôpitaux (2). Les progrès techniques, le développement de nouveaux outils (travail, loisirs, travaux ménagers, transports), et des modes de vie sont autant de sources d’accidents nouveaux qu’il est important de connaître et de signaler lorsqu’ils ne sont pas encore connus. Certains accidents semblent particulièrement se multiplier depuis quelques années (sources : urgences pédiatriques et commission de sécurité des consommateurs). • Risques liés au mobilier : – chute de téléviseurs à tube cathodiques, lourds, parfois en situation instable sur lesquels l’enfant peut grimper pour attraper une télécommande ; – doigts coincés dans l’espace entre le tapis d’exercice et le cylindre d’entraînement, ou dans un destructeur de papier (accès simple des doigts de l’enfant aux parties coupantes) ; – bris d’une table basse de salon en verre, s’il s’agit d’un verre non trempé (table d’importation de pays hors CEE), lorsque le jeune enfant saute dessus ou tape avec un objet pointu. • Risques liés à l’utilisation de sièges autos hors du véhicule (siège de type cosy). L’accident survient lors du transport de l’enfant dans le cosy ou lorsque celuici est posé sur un meuble haut. • Risques liés à l’utilisation de sièges de bain : des cas de noyades sont rapportés chez des nourrissons de 6 à 12 mois dans un siège ou un anneau de bain. La mauvaise utilisation de ces dispositifs et le faux sentiment de sécurité conduisant au relâchement de la surveillance doivent faire proscrire leur utilisation. • Risques liés à la décoration : foyers à l’éthanol (brûlures, incendies par renversement du foyer, intoxications), stores vénitiens, romains ou à rouleaux (risque d’étranglement par passage de la tête et du cou lorsque les cordons sont trop lâches). De simples conseils de prévention doivent éviter ce type d’accident dramatique : tendre les cordons et les rendre, si possible, inaccessibles aux jeunes enfants. • Risques liés aux mini-aimants (nombreux jouets, faux piercings) : risque de nécrose digestive ou nasale justifiant leur extraction dès l’accident constaté (estomac, nez) ou une surveillance attentive en cas de localisation intestinale. • Risques liés aux nouveaux animaux de compagnie : zoonoses, morsures. Stratégies de prévention V. Hue a abordé le délicat problème du choix de la stratégie optimale pour une réduction des accidents de la vie courante (3). Cette mise au point conforte les acquis des connaissances accumulées depuis quinze ans aussi bien en France que dans les pays développant des actions fortes de santé publique. La prévention des accidents domestiques fait intervenir, à différents niveaux, les pouvoirs publics, les parents et les professionnels de santé, qui ont un rôle informatif et éducatif. La promotion de la sécurité est un concept émergent qui vise à rendre l’individu et la collectivité capables d’exercer un meilleur contrôle sur les facteurs déterminants de la santé. Approche réglementaire L’approche réglementaire, une prévention généralisée, non ciblée, passive est facilement évaluable et a depuis longtemps démontré son efficacité. Ainsi, l’impact d’une législation fixant la température maximale de l’eau courante à 49 °C dans l’État de Washington (États-Unis) a été étudié, 5 ans après sa mise en place. Les résultats montrent une réduction de la fréquence de survenue de brûlures quel que soit le marqueur utilisé (morbidité, mortalité, durée de séjour à l’hôpital et de la surface brûlée). Une étude effectuée dans la ville de New York a pu montrer que 100 % des patients admis pour brûlure par eau chaude sanitaire durant les 5 ans de la période d’étude vivaient dans des habitations qui ne respectaient pas la législation en vigueur. En France, il existe peu d’encadrement législatif de l’environnement domestique, qui est davantage soumis à des normes d’usage réglementaire (code de la construction et de l’habitat fixant la hauteur minimale des garde-corps aux balcons et terrasses, code de la consommation réglementant la fabrication de certains articles de puériculture, etc.). Une étude danoise montre la considérable diminution du nombre de brûlures électriques après utilisation de cordons de sécurité normalisés pour aspirateur, à extrémités protégées. Si la législation, à caractère obligatoire, présente l’intérêt d’être équitable en termes de conditions d’applications et reproductible d’une zone géographique à une autre, les dispositifs normatifs peuvent accentuer les inégalités en matière de prévention. En effet, le taux de renouvellement est variable en fonction du type de cible (jouet, chauffe-eau, etc.) et des conditions socio-économiques des familles (les dispositifs les plus performants étant souvent les plus chers). De plus, l’absence de population cible entraîne un coût plus important limitant la mise en place de ces stratégies qui deviennent de véritables enjeux politiques pour les pouvoirs publics. Approche éducative et informative Une prévention active, ciblée est plus difficilement évaluable. Elle peut prendre de multiples formes : stratégie globale (toute population, tous accidents) ou communautaire (population et risque ciblés), stratégie unique (un seul vecteur informatif utilisé) ou combinée. Les acteurs et les outils de la prévention peuvent être variés : campagnes médiatiques, visite à domicile, brochure d’information, éducation des enfants et de leurs parents dans les collectivités locales… Les objectifs doivent être clairement définis avant la mise en place d’un programme et permettre l’identification, l’isolement et la limitation du risque (prévention primaire) et/ou la limitation des conséquences de l’accident (prévention secondaire). Dans l’exemple des brûlures par eau chaude sanitaire, les effets d’un programme de prévention ciblé, basé sur des ateliers éducatifs et des visites à domicile, ont été étudiés en Californie après identification de la population à risque. Les visites permettaient de renforcer l’information donnée au cours des ateliers, d’évaluer et d’améliorer l’environnement (dispositifs anti-brûlure sur les robinets). Les résultats montrent que le taux moyen d’admission pour brûlure chez les enfants de moins de 5 ans a diminué de 137 à 59 pour 100 000 (p < 0,01) pendant la durée de l’étude. Les études peuvent parfois révéler la complexité du phénomène des accidents : un essai multicentrique, randomisé et contrôlé, montre ainsi qu’une visite à domicile seule ne suffit pas à améliorer de façon durable l’environnement domestique en matière de sécurité, mais permet de diminuer de façon significative le nombre de visites médicales pour accident. Lorsque l’action est ciblée sur une population vulnérable, les coûts sont limités et les familles sont responsabilisées en s’impliquant directement dans l’évaluation et la modification de leurs propres comportements. En revanche, l’approche éducative globale et l’accès aux structures préventives ne sont pas toujours aisés pour les populations les plus à risque. De plus, ces stratégies dites « actives » sont d’évaluation complexe (souvent basées sur des modifications comportementales, plus que sur la réduction d’événements) et limitées dans le temps. La promotion de la santé : une approche combinée Le public visé par les programmes de prévention dépend du type de risque et de la tranche d’âge concernée. Si les parents sont le plus souvent sollicités lorsqu’ils ont des enfants d’âge préscolaire, la plupart des actions menées dès l’école maternelle s’adressent aux enfants eux-mêmes. Une approche préventive communautaire nécessite une parfaite connaissance de la situation et des spécificités locales (environnement social, politique, culturel), des ressources de la communauté (infrastructures, systèmes de surveillance et de recueil), ainsi que des facteurs de risque déterminés. Le concept des « safe communities » de l’OMS, développé depuis 1989, est un modèle de coordination multidisciplinaire ayant pour but de promouvoir la santé et de prévenir la survenue d’accidents. Il s’appuie sur le droit pour tous à vivre dans un environnement sécurisé, à participer aux décisions stratégiques en matière de sécurité et à être informés des risques encourus. Il existe actuellement plus de 80 safe communities principalement dans les pays scandinaves. L’efficacité de ce modèle de prévention a notamment été évaluée dans une revue de la littérature. Les résultats montrent bien l’efficacité de tels programmes, même si peu d’entre eux répondent à l’ensemble des critères d’inclusion déterminés par l’OMS et permettant de classer une communauté safe : organisation multipartenariale, recueil épidémiologique, mise en place d’actions ciblées et durables à l’aide de vecteurs adaptés, évaluation des processus et des résultats garantissant la reproductibilité, mesures correctives et participation à des programmes d’échanges nationaux et internationaux. Évaluation des stratégies L’évaluation d’une stratégie garantit sa reproductibilité et permet de sensibiliser praticiens et pouvoirs publics à l’efficacité d’une prévention des accidents domestiques. La notion d’évaluation d’un programme fait appel à deux concepts : le processus (organisation stratégique) et les résultats (évaluation d’efficacité visant à vérifier le nombre d’objectifs atteints). Mais il est parfois difficile d’affirmer qu’un effet observé (ex. : modification de comportement) est réellement dû à l’action menée. Ainsi, la notion d’évaluation de la qualité permet une analyse plus fine et plus précise des processus ayant contribué ou non à la réussite d’une action d’éducation ou de prévention. L’implantation effective de 64 programmes de prévention aux États-Unis a été évaluée en examinant les facteurs influençant leur succès : les activités législatives et réglementaires, la surveillance (permettant la réorientation du programme et des actions menées en fonction de l’évaluation intermédiaire des processus en cours), l’évaluation et le suivi, l’implication de la communauté et l’institutionnalisation (programme visible, officiel, organisé dans un lieu identifiable). Toute stratégie de prévention doit faire l’objet d’une évaluation. Conclusion Toutes les approches stratégiques montrent qu’il est possible de diminuer la mortalité et la morbidité dues aux accidents. Les approches combinant la réglementation, l’éducation à la santé et la promotion d’un environnement sain sont efficaces, coûtefficaces et équitables.
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