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Psycho-social

Publié le 28 aoû 2011Lecture 9 min

Le sexe du cerveau : de la science à l'idéologie

C. VIDAL, Neurobiologiste, Directrice de recherche à l'Institut Pasteur, Paris

Chacun de nous tous, hommes et femmes, a une personnalité et des façons de penser différentes de celles des autres. Mais d'où viennent ces différences ? Sont-elles innées ou acquises ? Quelle est la part de la biologie et quelle est celle de l'environnement social et culturel dans la construction de nos identités masculines et féminines ? Ces questions concernent le fondement même de notre humanité. Il s’agit-là d’un débat fondamental où science et idéologie sont intimement liées. Les discours sur ce sujet ne sont jamais neutres (1).

 
Cerveau, sexe et intelligence Au XIXe siècle, les médecins cherchaient à comprendre l'esprit humain à travers la forme des bosses du crâne et la taille du cerveau (2). On pensait que les hommes étaient plus intelligents que les femmes parce qu'ils avaient un plus gros cerveau. Certes, les cerveaux des hommes pèsent en moyenne 1,350 kg contre 1,200 kg pour les femmes. Mais compte tenu des différences de carrure, aucun des deux sexes n’a un cerveau plus gros que l’autre. De plus, il n'existe aucun rapport entre le volume du cerveau et les capacités intellectuelles. Des exemples fameux sont les cerveaux d'Anatole France et d'Ivan Tourgueniev : le premier pesait 1 kg et le second 2 kg. Quant à Einstein, son cerveau pesait 1,250 kg, tout comme celui des femmes ! Le cerveau a-t-il un sexe ? La réponse scientifique est oui et non. Il existe des différences évidentes entre les cerveaux des hommes et des femmes dans les régions qui contrôlent la reproduction sexuée. Chez la femme, on trouve des neurones dans l'hypothalamus qui s'activent chaque mois pour déclancher l'ovulation, ce qui n'est pas le cas chez l'homme. Mais concernant les fonctions cognitives (raisonnement, mémoire, attention, langage), la diversité cérébrale est la règle, indépendamment du sexe. En effet, pour que la pensée émerge, le cerveau a besoin d'être stimulé par l'environnement. Ainsi, au cours de son développement, le cerveau intègre les influences issues de la famille, de la société et de la culture. Il en résulte que nous avons tous des cerveaux différents, car nos expériences vécues ne sont jamais identiques. Cerveau gauche, cerveau droit On entend souvent dire que les femmes sont plus douées que les hommes pour faire plusieurs choses à la fois, en raison d'une meilleure communication entre les deux hémisphères. Cette vision caricaturale remonte à une étude datant de 30 ans, réalisée sur 20 cerveaux conservés dans le formol. L'analyse montrait que le faisceau de fibres nerveuses qui relie les deux hémisphères (le corps calleux) était plus épais chez les femmes. Depuis, de nombreux travaux ont été faits sur des centaines de sujets avec des techniques très performantes comme l'IRM : aucune différence statistique entre les sexes n'a pu être démontrée. On peut faire le même constat dans les études comparant le fonctionnement du cerveau dans le langage, la mémoire ou le calcul mental (figure). Figure . Étude en IRM de l'activité du cerveau pendant un test de calcul mental. Tous les sujets femmes et hommes ont réussi le test avec les mêmes scores. On observe une grande variabilité dans les zones cérébrales activées quel que soit le sexe, ce qui reflète autant de stratégies différentes pour réussir le calcul mental. De fait, la variabilité entre les sujets d'un même sexe égale ou dépasse la variabilité entre les sexes. En fait, dès que l'on dispose d'un nombre suffisamment élevé de sujets d'expérience, les différences individuelles l'emportent sur les différences entre les sexes, qui finalement se trouvent gommées.   Différences entre les sexes et plasticité cérébrale Les nouveaux outils d'imagerie cérébrale comme l'IRM, ont révélé l’existence de très grandes variations entre les individus dans l’anatomie et le fonctionnement du cerveau, indépendamment du sexe. Cette variabilité s’explique par les extraordinaires propriétés de « plasticité » du cerveau (3). Nos circuits de neurones sont en effet largement fabriqués par l'apprentissage et l'expérience vécue. Quand le nouveau-né voit le jour, son cerveau compte 100 milliards de neurones, qui cessent alors de se multiplier. Mais la fabrication du cerveau est loin d'être terminée, car les connexions entre les neurones, les synapses, commencent à peine à se former : seulement 10 % d'entre elles sont présentes à la naissance ; les 90 % restants se construiront plus tard au gré de l'histoire vécue par chacun. Par exemple, chez les pianistes, on observe un épaississement des régions du cortex cérébral spécialisées dans la motricité des doigts et l'audition. De plus, ces changements sont directement proportionnels au temps consacré à l'apprentissage du piano pendant l'enfance. La plasticité cérébrale est à l'oeuvre également pendant la vie d’adulte. Ainsi, chez des sujets qui apprennent à jongler avec trois balles, on constate, après deux mois de pratique, un épaississement des zones qui contrôlent la coordination des bras et la vision ; et si l'entraînement cesse, les zones précédemment épaissies régressent. Ces exemples permettent de comprendre pourquoi nous avons tous des cerveaux différents, y compris les vrais jumeaux. Seulement 10 % des synapses sont présentes à la naissance ; les 90 % restants se construiront plus tard au gré de l'histoire vécue par chacun.   Comment l'enfant devient fille ou garçon ? À la naissance, le petit humain n’a pas conscience de son sexe. Il va devoir l’apprendre à mesure que ses capacités cérébrales se développent. Très tôt, en quelques semaines, le nouveau-né devient capable de distinguer les différences entre les hommes et les femmes qui l’entourent, par la voix, les attitudes, etc. On a montré que les adultes, de façon inconsciente, n’ont pas les mêmes manières de se comporter avec les bébés. Ils ont plus d’interactions physiques avec les bébés garçons, alors qu’ils parlent davantage aux filles. Pour l’enfant, la prise de conscience de sa propre identité et de son appartenance au genre masculin ou féminin se fait tardivement, à partir de l’âge de 2 ans. Or, bien avant, on a déjà sexué son environnement, par la décoration de sa chambre, ses vêtements et ses jouets. Bien avant la prise de conscience de son appartenance au genre masculin ou féminin, l’enfant a vu son environnement « sexué » par ses parents. C'est l'interaction avec l'environnement familial, social et culturel qui va orienter le développement de certaines aptitudes et contribuer à forger les traits de la personnalité. Mais tout n'est pas joué pendant l'enfance. À tous les âges de la vie, la plasticité du cerveau permet de changer d'habitudes, d'acquérir de nouveaux talents et de choisir différents itinéraires de vie.   Hormones sexuelles et cerveau Chez l'animal, l'action des hormones sur le cerveau induit les comportements de rut et d'accouplement associés aux périodes d'ovulation de la femelle. Sexualité et reproduction vont de pair. Par contre, l'être humain échappe à ce déterminisme. Le fonctionnement des organes sexuels est certes lié aux hormones, mais pas le moment des rencontres, ni le choix du partenaire. Ainsi, les homosexuels, hommes ou femmes, n'ont aucun problème hormonal. Les délinquants sexuels n'ont pas un taux supérieur de testostérone. Quant au rôle des hormones sexuelles sur les humeurs, la nervosité, la dépression, il faut distinguer deux types de situations. Dans des cas de bouleversement physiologique majeur (grossesse, ménopause, pathologies hormonales), on peut constater des fluctuations d'humeur. Mais dans des conditions physiologiques normales, aucune étude scientifique n'a montré de relation de cause à effet entre les taux d'hormones et les variations de nos « états d'âme ». Prétendre que c'est la testostérone qui fait les hommes compétitifs et agressifs, tandis que les oestrogènes rendent les femmes émotives et sociables, relève d'une vision simpliste, bien loin de la réalité biologique. Si dans un groupe social, hommes et femmes tendent à adopter des comportements stéréotypés, la raison tient d'abord à une empreinte culturelle rendue possible grâce aux propriétés de la plasticité du cerveau humain (4). Cerveau, sexe et évolution Les progrès récents des neurosciences permettent de mieux comprendre pourquoi l'être humain échappe à la loi des hormones. Homo sapiens possède un cerveau unique en son genre lié au développement exceptionnel du cortex cérébral, siège des fonctions cognitives les plus élaborées : langage, raisonnement, conscience, imagination. Au cours de l’évolution, le cortex a dû se plisser en formant des circonvolutions pour arriver à tenir dans la boîte crânienne. Si on le déplisse virtuellement, on constate que la surface du cortex cérébral humain est de 2 m2 sur 3 mm d’épaisseur ! C’est dix fois plus que chez le singe. De plus, notre cortex est beaucoup moins réceptif à l’action des hormones. Voilà pourquoi l’être humain est capable de court-circuiter les programmes biologiques dépendants des hormones (5). Chez nous, aucun instinct ne s’exprime à l’état brut. La faim, la soif ou le désir sexuel sont certes inscrits dans l'évolution biologique, mais leurs modes d'expression sont contrôlés par la culture et les normes sociales. Nos comportements relèvent d'abord et avant tout de constructions mentales. Les stéréotypes comportementaux homme/femme tiennent avant tout de l’empreinte culturelle. Conclusion À la lumière des connaissances actuelles en neurosciences, on serait tenté de croire que les vieux préjugés sur les différences biologiques entre les hommes et femmes ont été balayés. Ce n'est manifestement pas le cas : médias et ouvrages de vulgarisation prétendent que les femmes sont « naturellement » bavardes et incapables de lire une carte routière, tandis que les hommes seraient nés bons en mathématiques et compétitifs. Ces discours laissent croire que nos aptitudes, nos émotions, nos valeurs sont câblées dans des structures mentales immuables. Ces visions simplistes et réductrices sont en complète contradiction avec les progrès de nos connaissances sur la plasticité du cerveau. Néanmoins, la tentation est toujours présente de mettre en avant un déterminisme biologique pour expliquer les inégalités entre les sexes et les groupes humains, reléguant ainsi au second plan les raisons sociales et culturelles. À l'évidence, le devoir de vigilance des scientifiques et des citoyens face au risque de détournement de la science est plus que jamais d’actualité.  

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