Publié le 21 fév 2019Lecture 7 min
Surconsommation pédiatrique : anxiété des parents ou trouble factice ?
Marie-France LE HEUZEY, Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert Debré, Paris
L’exagération ou la création de symptômes chez un enfant par une mère voulant jouer indirectement le rôle de malade et utiliser le corps médical est aujourd’hui qualifié de « trouble factice imposée à autrui ». Le diagnostic se heurte à deux écueils : savoir y penser mais sans élargir le concept au point d’y inclure des parents légitimement anxieux.
« Elle est tout le temps malade » « il me fait infection sur infection » « je passe mon temps chez le médecin et le pharmacien » « il m’a encore fait 3 crises ».
Avoir un enfant malade, particulièrement en cas de récurrences ou de chronicité, est une épreuve pour les parents, mais parfois les parents participent à la pathologie. On décrit un spectre d’attitudes parentales dans la recherche de soins pour leur enfant, avec en position médiane l’attitude appropriée, avec une anxiété parentale adaptée aux troubles de l’enfant. Mais à une extrémité de ce spectre se situe l’indifférence, le manque de perception des besoins médicaux de l’enfant : c’est la carence de soins, la négligence, une forme de maltraitance par défaut. À l’autre extrémité, c’est l’exagération des symptômes, leur aggravation voire leur création : c’est aussi une forme de mauvais traitement, mais dans lequel le corps médical est utilisé comme instrument de la maltraitance. Le concept s’avère complexe et fait encore l'objet de discussions dans la restriction ou l’élargissement et suscite des débats passionnels tant dans l’exagération que dans le déni.
L’hématurie de Laurène
Ainsi dans l’observation de Laurène, 2 ans et 10 mois, amenée par sa mère aux urgences d'un hôpital pédiatrique pour hématurie récidivante. L’enfant ne présente pas de signe clinique particulier ; son développement psychomoteur paraît en rapport avec l'âge ; la courbe de croissance est normale tant au niveau pondéral que statural et il n'y pas d'altération de l'état général. L'examen des urines fait aux urgences ne révèle pas de sang mais l'enfant est hospitalisée pour examens complémentaires. À la lecture du carnet de santé, on note à partir de l’âge de 8 mois 9 hospitalisations dans 3 hôpitaux différents pour hématuries ou rectorragies. Au fil de ces hospitalisations, aucun saignement n’a été constaté lors des séjours, sauf une fois, alors que la mère était présente. Les examens complémentaires ont été nombreux et, pour certains, répétés plusieurs fois et parfois très invasifs. Dans le service hospitalier, la mère est très présente et paraît très à l’aise, peu anxieuse vis-à-vis du symptôme de sa fille. Elle s’occupe volontiers des autres enfants hospitalisés, avec qui elle joue et qu’elle accompagne aux ateliers éducatifs. Elle travaille depuis un an dans un magasin qui vend des vêtements pour bébés. Elle ne présente pas de signes psychopathologiques correspondant à une entité psychiatrique particulière, mais elle évoque une histoire de carence affective et de mauvais traitements dans l’enfance et elle dit que lorsqu’elle était enfant « on ne l’emmenait jamais chez le médecin ». Elle finit par avouer qu’elle utilisait son sang menstruel pour souiller les couches de sa fille et qu’elle retenait ainsi l’intérêt des soignants et du corps médical.
Une terminologie en évolution
La terminologie utilisée pour désigner ces situations de symptômes allégués ou créés chez un enfant a évolué ces dernières années. Meadow crée en 1977 le terme de « syndrome de Münchhausen par procuration » pour désigner la production ou la feinte intentionnelle de signes ou de symptômes physiques ou psychologiques chez une autre personne dont un individu a la charge dans le but de jouer indirectement le rôle de malade. Ainsi en pédiatrie, c’est généralement une mère qui allègue ou crée des symptômes chez son enfant, pour jouer indirectement le rôle de malade et mettre en échec le corps médical. Le diagnostic concerne donc le perpétrateur. C’est la position du DSM-V, (classification internationale des maladies mentales), qui s’intéresse ainsi à l’aspect psychiatrique de cette situation nommée « Trouble factice imposé à autrui ».
Les critères de définition sont les suivants :
• falsification de signes ou de symptômes physiques ou psychologiques, ou induction de blessures ou de maladies chez autrui, associée à une tromperie identifiée ;
• le sujet fait passer une autre personne présente (la victime) pour malade, invalide ou blessée ;
• le comportement de tromperie est évident, même en l’absence de bénéfices externes objectivables ;
• le comportement n’est pas mieux expliqué par un autre trouble mental tel qu’un trouble délirant ou un autre trouble psychotique. Il est important de souligner que le diagnostic exclut donc :
– les symptômes allégués ou créés pour obtenir la garde des enfants dans les procédures de divorce ;
– les parents qui exagèrent le handicap ou la maladie réelle de leur enfant pour en tirer des bénéfices financiers ;
– les mauvais traitements infligés lors d’une phase délirante par un parent schizophrène ou lors d’un épisode aigu par un parent toxicomane ou alcoolique.
Les approches pédiatriques actuelles s’intéressent non pas au coupable mais à la victime, l’enfant, sous le terme de « syndrome d’abus médical ». En effet, c’est la victime qui est malade et qu’il faut protéger et le terme souligne le rôle du corps médical.
Un diagnostic difficile
Des parents, aux aguets surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant vulnérable peuvent être des parents très anxieux. Pourtant les parents anxieux, non maltraitants, ne souhaitent pas que des explorations de plus en plus invasives soient faites (avec le cortège d’inconfort voire de douleur) ; ils ne sont pas dans la surenchère. Et même s’il leur arrive d’aller demander un « second avis » ils ne se placent pas dans le nomadisme médical avec répétition des tous les examens. Comme le soulignent Petska et coll., des parents qui résistent à la réassurance, qui se focalisent sur des résultats à la limite de la pathologie et/ou qui n’adhèrent pas aux recommandations doivent faire évoquer un possible syndrome d’abus médical. Le diagnostic peut aussi être délicat lorsque l’enfant souffre au départ d’une pathologie médicale complexe, or 30 % des enfants victimes d’un syndrome d’abus médical sont atteints d’une pathologie médicale sous-jacente. Ainsi Lisa, 8 ans, est en assistance nutritionnelle depuis sa première année de vie.
C’est une petite fille collée à sa maman, non scolarisée (car les parents craignent les infections), qui dit que tout va bien ainsi. La maman, diététicienne, a arrêté de travailler pour se consacrer à sa fille et s’oppose au sevrage de l’assistance nutritionnelle que les pédiatres estiment possible. La mère et la fille fonctionnent selon un schéma proche du « délire à deux », avec une non existence du père (« il travaille »).
Le trouble factice par procuration à forme psychiatrique
Cette forme est sous diagnostiquée et les pédopsychiatres semblent faire moins de signalement dans ce cas. La symptomatologie est souvent celle de l’autisme. Ainsi Damien, 6 ans, décrit par sa mère comme autiste et qui passe ses mercredis non pas au centre de loisirs, mais dans un hôpital de jour pour autistes sévères. Or Sébastien, chez qui la mère fait répéter des bilans psychologiques pour démontrer son retard mental afin de le mettre dans une structure adaptée, a une efficience normale dans tous les tests, mais « les psychologues sont tous nuls », dit la mère. Le trouble déficit de l’attention/hyperactivité peut aussi être allégué, mais dans un but différent : obtenir une prescription de méthylphénidate. Le handicap vécu par l'enfant peut être lourd : être hospitalisé en service de psychiatrie infantile n’est pas anodin, sans parler du risque qu'un médecin zélé ne prescrive un psychotrope.
Que sait-on des mères ?
On dit classiquement que la mère est très attentive, dévouée, très présente dans les soins, encourageant les médecins aux explorations et aux investigations, demandant qu’on trouve la maladie de son enfant mais paraissant peu inquiète et peu préoccupée par les douleurs subies. Elle est mère au foyer ou exerce une profession en relation avec l’enfance : infirmière éducatrice de jeunes enfants, travailleuse sociale. Elle n’est pas atteinte d’un trouble psychiatrique spécifiquement identifié, mais présente un insatiable appétit de contacts médicaux. Comme le décrit Schreier, la motivation de ces femmes parait être « un besoin pervers de se mettre dans une relation ambivalente de dépendance et d'hostilité avec les médecins ». Les antécédents de mauvais traitements dans l’enfance ou de troubles somatoformes, le vécu actuel d’isolement social, voire de mauvais traitements conjugaux sont fréquents.
Dans certains cas on retrouve la notion de mort inexpliquée d’un enfant dans la famille. Avec l’enfant, les mères oscillent entre sollicitude et agressivité froide. Le problème commun semble être celui de la construction de l’attachement mère/enfant : certaines femmes ont été victimes de traumatismes dans l’enfance ou à l’age adulte (violence domestique et sexuelle), d’autres ont des antécédents de maladies, d’accidents ou de deuil durant l’enfance. L’attachement est, pour beaucoup, de type désorganisé ou incohérent. Les pères sont absents soit physiquement soit dans l’éducation et ils n’assurent pas leur rôle de protection.
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