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Psycho-social

Publié le 10 mar 2021Lecture 6 min

Les parents « difficiles »

Jérôme VALLETEAU DE MOULLIAC, Paris

Dans la très grande majorité des cas, les relations entre les médecins d’enfants et leurs parents sont positives, empreintes de confiance, d’empathie pour le praticien qui ressent ainsi l’expérience, l’aide qu’il apporte à la famille. Cela lui procure un sentiment de satisfaction, de valorisation, de gratification qui le conforte dans sa pratique.
Malheureusement, cette relation parent/médecin est parfois marquée par des attitudes émotionnelles négatives et on aura alors tendance à qualifier les parents de « difficiles ».

Les médecins généralistes évoquent le chiffre de 1/6 d’interactions compliquées avec leurs patients adultes (ce qui paraît important). La littérature n’apporte que très peu de données pédiatriques sur ce sujet dans l’exercice ambulatoire, ni sur les raisons de cette perception, ni sur les conséquences socio-émotionnelles pour l’enfant. Les éléments dont nous disposons concernent surtout les parents (et/ou les enfants) dans un contexte psychiatrique ou en milieu hospitalier et institutionnel. Pourquoi ces parents sont-ils « difficiles » pour le médecin ? La réponse n’est pas simple, car très personnelle ou individuelle : Parents très anxieux de la santé de leur enfant ? Parents a contrario peu préoccupés de leur enfant, débordés par leur « fatigue », leurs propres problèmes ? Parents donnant le sentiment de peu d’empathie, de peu d’interaction ? Parents qui inquiètent ou agacent le médecin, car ils semblent ne pas réaliser leurs propres difficultés ? Parents obsessionnels ? Parents doutant des compétences ou de l’intérêt du praticien vis-à-vis de leur enfant ? Parents sans relation de confiance, donnant des réponses brusques désorganisées, oubliant les rendez-vous, n’observant pas les prescriptions, les conseils ? Parents discutant tout, sceptiques, insatisfaits, se prenant pour des experts, très informés (Internet !), anti tout (vaccins par exemple), ne croyant ou n’acceptant pas les explications et traitements proposés ? Parents « nomades » ou « hyper - consommateurs » ? Parents exigeants du médecin, de l’enfant (pression) ou trop permissifs ? Parents agressifs, impatients, toujours pressés ? Parents de culture différente, trop éloignés de nos codes sociaux pour que se crée ce climat de compréhension réciproque et donc de confiance indispensable ? Parents en situation de séparation qui entraînent dans des conflits et des manipulations ? Parent isolé, en situation de précarité ? Parents dyscommunicants ? Atteints d’autisme, de troubles psychiques, de déficit intellectuel. Ou s’adonnant aux « troubles factices imposés à autrui » (Münchhausen) ? Parents « silencieux » ++++ ? Parents « dissimulateurs » ? Père et/ou mère qui s’alcoolisent ou consomment des substances toxiques ? Parents qui prétendent ne fumer que sur le balcon avec un enfant asthmatique ? Parents ayant recours aux médecines « alternatives » ? Parents qui cachent leurs infidélités médicales ? Ou prenant des libertés avec l’ordonnance (doses, durée) ou s’affranchissant d’une des molécules prescrites ? Parents omettant un symptôme par pudeur (encoprésie, énurésie, etc.) ? On pourrait allonger cette « liste » non exhaustive tant les raisons sont variées, intriquées ; parfois, ce ne sont peut-être que des impressions ou de l’incompréhension de la part du médecin. Le médecin peut-il être impliqué dans cette relation difficile ? Le médecin a en effet très souvent un ressenti personnel légitime : ce qui peut lui paraître difficile ne l’est pas ou moins pour d’autres. Certains jours, tout va bien, alors la satisfaction du service rendu à l’enfant et à sa famille le conforte dans son rôle et sa motivation, ce qui lui procure un sentiment de compétence et d’aboutissement. D’autres jours, tout va mal : trop de patients, erreurs de rendezvous, le téléphone qui ne cesse de sonner, envahissement de courriels et de messages, paperasse administrative ou autre, fatigue, préoccupations personnelles, voire « burn-out ». Ce qui impacte le comportement, la sensibilité en fonction de la personnalité de chacun, peut remettre en cause son niveau de compétence, et génère beaucoup de déception : c’est ainsi que certains parents peuvent paraître difficiles, a fortiori s’ils le sont réellement. S’installent alors des situations ambiguës, difficiles, des interactions négatives avec des parents qui ne jouent pas le rôle que le médecin attend, des parents « toxiques », bref des parents qu’on « n’aime pas », et donc des consultations que l’on redoute. Les difficultés de communication, le manque de confiance réciproque provoquent agacement, énervement, et le cercle vicieux qui se crée devient de plus en plus pernicieux. Le médecin perd le sentiment de compétence et d’accomplissement dans sa fonction alors que sa préoccupation majeure devrait être le bien-être physique et émotionnel de l’enfant et de sa famille. C’est ce que Pierre Canoui évoque sous le vocable de TEP : « trouble envahissant du pédiatre ». Comment éviter ces situations ? Le pédiatre ou le médecin de l’enfant ne peut bien travailler qu’avec l’aide et la coopération de la famille, car c’est une relation triangulaire. Pour cela, il faut avec certains parents plus « difficiles » : Les comprendre Être parent, c’est parfois « dur », mais souvent plus dans certaines situations : maladies chroniques ; maladies psychiatriques des enfants et/ou des parents ; parents en « détresse » physique ou sociale. • Il faut donc essayer de comprendre quelles sont les raisons de ces comportements difficiles : pourquoi ces « blocages », pourquoi ces attitudes parentales inadaptées. Est-on dans la sphère « normale » ? Dans l’anxiété ? Ou ouvertement dans la psychopathologie ? • Il faut s’attacher à reconnaître des indices de détresse psychique si elle n’a pas été diagnostiquée auparavant et tenter d’orienter le ou les parents vers le spécialiste. Un enfant ne peut se construire normalement avec des comportements parentaux déviants ou psychotiques. • Le ou les parents sont-ils en situation de « burn-out » ? : – alors la froideur, l’indifférence, l’incompréhension devant leur enfant ne permet pas d’établir des interactions positives ; – à l’inverse, l’énervement, les cris, l’agressivité peuvent conduire à de la violence psychique ou physique. • Manifester de l’empathie certes, mais porter un intérêt au problème de l’enfant ou de ses parents ne signifie pas pour autant une adhésion : on leur montre cependant que l’on tente de comprendre leurs points de vue et préoccupations. Communiquer • Sur le diagnostic, les raisons des examens, le traitement, le suivi : les parents sont parfois très (ou trop) curieux ! • Mais aussi sur l’absence de diagnostic précis ou de traitement en évoquant la possibilité de prises en charge alternatives. • Avec un langage compréhensible, accessible et adapté. Si la consultation s’éternise, que le temps manque ou que les échanges deviennent compliqués, difficiles, il convient alors de proposer de se revoir, de correspondre par courriel ou téléphone. • Mais aussi les impliquer et tenter de les autonomiser, les responsabiliser : ils connaissent leur enfant, il faut donc les en faire des alliés. • C’est parfois compliqué et vain surtout quand on est seul en ambulatoire ; dans une structure hospitalière ou une institution, on peut toujours solliciter un autre avis. • Cela ne fonctionne pas toujours. Il faut certes toujours faire le mieux possible en fonction des circonstances pour tenter de recréer une interaction positive, un partenariat et une « codécision ». • En sachant mettre des limites, garder la main, rester le médecin, le professionnel, le décideur : résister c’est parfois thérapeutique. • On ne peut s’entendre avec tous les parents ou toutes les familles. • Les parents « difficiles » nous confrontent à nos propres limites. • Si rien ne marche : avoir le sentiment d’avoir fait ce qu’on pouvait (possibilités et compétences) et ne pas s’en rendre malade. • Et savoir se séparer (ce qui n’est pas facile), en laissant la porte ouverte, ou en adressant à un confrère ! • Sans oublier qu’on a la patientèle que l’on mérite. Heureusement, le plus souvent tout se passe bien.

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