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Psycho-social

Publié le 24 nov 2010Lecture 9 min

L’adoption peut-elle résister à l’adolescence ?

J.-V. DE MONLÉON, Consultation d’adoption outremer, Pédiatrie 1, CHU de Dijon

Parmi les nombreux lieux communs qui sont répandus sur l’adoption (1), et qui reviennent souvent dès que ce phénomène social est évoqué, celui des difficultés à l’adolescence est un des plus répandus. Pour certains, il semble évident qu’un adolescent adopté ne peut aller bien, ne peut être équilibré, et que cette période, déjà critique pour le tout venant, le soit encore plus pour celui ou celle qui est élevé(e) par des parents adoptifs. Si, effectivement, l’adolescence est une période parfois difficile, les causes des problèmes sont très diverses. 

 
L’adoption n’échappe pas à la règle, et on assiste aussi à des phénomènes de mode. Longtemps, une espèce d’obsession de la recherche des origines a été mise en avant comme un destin auquel l’adolescent, puis l’adulte adopté, ne semblait pouvoir échapper. Alors que la plupart des adoptés, s’ils avouent être intéressés par ces fameuses origines, reconnaissent que cela n’a rien d’un handicap pour continuer à mener leur vie sereinement. Quand les repères sont bien présents dans la famille adoptive, les liens du sang sont moins essentiels, l’important étant d’avoir des parents sur qui compter, quel que soit le mode de filiation. Depuis une dizaine d’années, ce sont les troubles de l’attachement, la difficulté à établir des liens forts avec leurs parents, qui sont brandis comme la cause principale du mal-être des adolescents adoptés ; diagnostics parfois proclamés alors que ces adolescents semblaient avoir, jusqu’alors, des attaches solides avec ceux qui les ont élevés, ainsi qu’une affection réciproque. Bien entendu, il n’y a pas qu’une seule étiologie, mais une multitude de causes qui peuvent expliquer les troubles psychologiques des adolescents adoptés. Cinq catégories étiologiques peuvent être définies, souvent entremêlées les unes aux autres. Elles permettent d’expliquer les différentes causes des problèmes présentés par les adolescents adoptés. Il est utile, afin de ne pas se fourvoyer, d’avoir cette notion d’hétérogénéité.   L’avant-adoption C’est tout ce qui concerne ce qui s’est passé avant l’adoption. Cela commence par l’inné et, si l’on sait que la génétique joue un rôle, il est parfois dangereux de l’évoquer au moindre comportement suspect, à la moindre déviance. La petite phrase : « On ne connaît pas les gènes ! » est facile et dangereuse. Cette première étiologie doit rester un diagnostic d’élimination. En plus de l’inné, il y a tout l’environnement dans lequel les enfants ont vécu avant l’adoption, d’éventuelles maltraitances et carences qui peuvent peser grandement sur l’évolution psychique. Un orphelinat, même chaleureux et humain, reste un orphelinat. Un temps prolongé dans un tel endroit rend plus difficile l’adaptation à la vie future.   La séparation et l’adoption L’adoption est provoquée par une séparation, ce qu’on appelle trop souvent un abandon, sans chercher à voir plus loin, c’est-à-dire pourquoi une famille biologique a fait le choix ou a été contrainte de se séparer de son enfant. Les causes de séparation sont multiples et ont des problématiques particulières : – problèmes socio-familiaux et économiques : de loin les plus fréquents, la structure familiale et les ressources économiques ne permettent pas aux parents biologiques de garder leur enfant ; – carence de soins ou maltraitance : surtout présentes dans des pays où les services sociaux sont développés (Europe de l’Est, Amérique Latine), elles sont décidées par les autorités administratives ; – de véritables abandons : c’est-àdire des enfants laissés, sans plus se préoccuper de leur avenir, que ces abandons soient sécurisés (enfants nés sous X) ou non (enfants trouvés dans la rue) ; – décès parental : il s’agit alors des orphelins au sens véritable du terme ; – causes sanitaires : la séparation est provoquée par un problème de santé, difficilement soignable dans le pays d’origine avec les moyens de la famille biologique. L’adoption est alors vécue comme un moyen permettant à l’enfant d’avoir un avenir après des soins appropriés ; – causes culturelles : dans certaines ethnies, des enfants sont porteurs d’un interdit (gémellité, albinisme, naissance sous de mauvais auspices) qui interdisent sa vie dans cette société ; – inconnue : quand aucune explication n’est fournie par les autorités du pays d’origine. Chacune de ces causes peut être source de multiples problèmes spécifiques. L’adoption proprement dite va jouer, bien entendu, un rôle majeur pour l’avenir de l’enfant : la façon dont l’amalgame va se réaliser, dont les liens se mettent en route, est capitale. C’est là que peuvent devenir évidents les troubles de l’attachement. L’adoption en elle-même est une période critique où se joue l’avenir de l’attachement. La famille adoptive - Les parents Parfois exagérée, parfois niée, la responsabilité propre des parents adoptifs, de par leur histoire et leur cheminement, peut être la source de troubles à long terme. Moins variés que les causes de la séparation, les faits qui poussent des parents à adopter des enfants sont aussi multiples. Les plus fréquents sont les problèmes de fécondité et le célibat, puis vient l’adoption dite « humanitaire », réalisée par des familles ayant déjà des enfants biologiques. Chacune de ces causes pourra être source de soucis psychologiques familiaux. Ainsi, quelques familles adoptant du fait de troubles de la fécondité peuvent ne pas avoir fait le deuil de l’enfant biologique et avoir un comportement ambigu avec l’enfant adopté. Par contre, des parents qui adopteraient de manière véritablement humanitaire, sans profond désir d’enfant, peuvent faire naître un sentiment de dette envers leur enfant puis leur adolescent. Lorsque le deuil de l’enfant biologique n’est pas fait, il peut naître un comportement ambigu vis-à-vis de l’enfant adopté. Face à l’adoption et à ses éventuels problèmes, certaines familles, démunies, peuvent avoir des réactions maladroites ou éprouver des remords, voire une culpabilité ou un fatalisme, qui ne feront qu’entretenir et prolonger ces soucis. Parfois, c’est un autre stress familial (maladie, chômage) qui est la cause des difficultés familiales, et pourtant c’est l’adoption qui est mise en avant, élément bien visible, mais aussi bien pratique. Enfin, des parents psychorigides ou maltraitants existent dans toutes les familles, qu’elles soient biologiques ou adoptives ; on peut simplement les espérer moins nombreux dans l’adoption, l’agrément ayant permis de les détourner de cette voie. Dans tous les cas, ils contribuent au mal-être de leurs enfants.   La société Cette catégorie étiologique est une des plus importantes, pourtant elle est souvent sous-estimée. Dans les ethnies pour lesquelles la pratique de l’adoption est plus ancienne, mieux acceptée, enfants et adolescents adoptés ou biologiques sont regardés de la même façon(2). L’adoption est naturelle, habituelle et les enfants évitent ainsi des réflexions, des mises à l’écart, voire des mauvais traitements. Que cela vienne de l’école, ou parfois de l’inconnu que l’on croise dans la rue, les remarques inappropriées, maladroites : « Combien il vous a coûté ? », « Et sa vraie maman, elle était d’accord ? » sont fréquentes. Alors qu’une telle indiscrétion serait considérée comme très impolie envers des familles biologiques, elle semble naturelle pour certains, comme si l’enfant adopté était l’enfant de tous. Ces deux petites phrases sont (souvent de manière involontaire) très perverses, jetant l’opprobre et le discrédit sur l’adoption pour la première, niant la réalité de la filiation adoptive pour la deuxième. C’est encore plus difficile à l’occasion d’événements qui font parler à tort et à travers de l’adoption. Par exemple, à cause de l’aventure ubuesque et malhonnête de l’Arche de Zoé*, de nombreux enfants ont entendu dans les cours de récréation que leurs parents étaient des « voleurs d’enfants ». Depuis le séisme haïtien, des enfants se voient demander s’ils ne sont pas tristes parce que leur maison est détruite et que leur « vraie » maman est morte... En plus de ce regard sur l’adoption, il y a le regard sur la différence. Le racisme est fréquent ; sans être injurieux, c’est quand même du racisme de dire qu’un enfant d’origine africaine « a le rythme dans la peau », ou qu’un petit Asiatique est forcément sage et travailleur. Il est très difficile d’échapper à de tels clichés.   L’adolescence Ce n’est pas à des pédiatres que l’on apprend ce qu’est l’adolescence, cette période de mutation obligatoire, parfois difficile pour le corps qui se transforme, souvent plus difficile encore pour l’esprit qui subit ces transformations. On sait tous les troubles qui peuvent survenir lors de cette période, on sait aussi qu’elle semble plus difficile actuellement avec des adolescents à la recherche de limites, qui les poussent à tous les excès. Beaucoup d’adolescents passent par des états de crise difficiles, ceux qui ont été adoptés n’y échappent pas, et ces crises peuvent être plus sévères en raison de l’association avec les autres facteurs de risque.   Conclusion Il y a donc beaucoup de raisons pour qu’un enfant adopté passe par des états difficiles lors de moments critiques, comme peut l’être l’adolescence. Comprendre et connaître la diversité de ces causes permet de traiter les problèmes réels et ne pas enfermer les enfants dans certains clichés. Avoir connaissance du risque de maltraitance sociétale, même si celle-ci est discrète, insidieuse et involontaire permet d’envisager une prévention, qui peut commencer par une réflexion sur nos propres comportements et a priori. *NDLR : association humanitaire (loi 1901) ayant pour objectif l’aide aux enfants orphelins. Elle a fait la une de l’actualité en octobre 2007 après l’arrestation par la police tchadienne de l’ensemble des participants, d’une opération s’apprêtant à embarquer 103 enfants pour l’Europe, pour tentative d’enlèvement de mineurs.  

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