Parents séparés : et l’enfant ? Le point de vue du pédiatre

Quelques chiffres Les différents instituts statistiques ont relevé une très nette augmentation des séparations depuis les années 1990. De 2018 à 2020 on recense 260 000 séparations dont 170 000 divorces ; les PACS et unions libres augmentent par rapport aux mariages traditionnels ; 46 % des mariages conduisent à un divorce. Trente pour cent des enfants concernés sont mineurs, ils étaient 4 millions dans ce cas en 2020 (en France la population âgée de moins de 18 ans représente 21 % de la population totale soit 14,4 millions). Douze pour cent de ces enfants vivent en résidence alternée, 8 % sont dans des familles recomposées et 80 % sont en famille monoparentale, en très grande majorité avec leur mère, surtout lorsque la séparation est tardive. La moitié des séparations se font par consentement mutuel. Conséquences pour l’enfant Quoiqu’on en dise, la séparation de ses parents représente le plus souvent pour l’enfant un traumatisme, une rupture alors que l’évolution sociétale en fait un événement devenu banal. La peur, l’angoisse qui s’ensuit le poursuit inconsciemment une partie de sa vie, même si dans certains cas cela peut être un soulagement. Certes ce n’est pas la fin de la famille mais d’une forme de famille et en réalité le traumatisme, s’il est présent, n’est pas tant le résultat de la séparation en elle-même que des modalités de cette séparation. Ces conséquences dépendent donc de très nombreux facteurs et, sans en faire une liste exhaustive, citons surtout l’âge de l’enfant au moment de la séparation, l’environnement économique, socioculturel et familial (dont la place des grands-parents), les causes de la séparation, le vécu de chaque parent et les événements, les conflits avant, pendant et après la séparation, ainsi que la capacité de dialogue autour de l‘enfant. Une éventuelle recomposition familiale doit également être prise en compte. Les effets peuvent affecter la vie de l’enfant à court, moyen et long terme. Ils impactent sa vie scolaire, relationnelle, affective, professionnelle, sa vision du couple et de l’amour, sa perception de différents modèles familiaux. Y a-t-il de « bonnes » séparations ? La réponse est impossible à donner tant les situations sont différentes, les cas particuliers, mais chacune des parties concernées devrait tout faire pour que les conséquences en soient les plus minimes possibles. La compréhension de la situation, les émotions et réactions qu’elles peuvent susciter sont très dépendantes de l’âge et de la maturité de chaque enfant. Un adolescent peut comprendre la complexité des relations parentales et leur décision de se séparer mais pas un enfant de 2 ans. Plus l’enfant est âgé, mieux il peut réaliser la situation, ce qui ne signifie pas qu’il l’accepte. Il s’agit cependant toujours d’une épreuve difficile car le contexte est rarement harmonieux. • Un enfant de moins de 2 ans ne peut pas comprendre les enjeux de la séparation. Il peut cependant percevoir la perturbation de l’ambiance familiale. Les absences répétées de l’un ou l’autre parent peuvent induire un sentiment d’insécurité psychique, voire un vécu d’abandon. • Entre 2 et 5 ans, l’enfant commence à comprendre la situation qui reste très complexe. Il est alors en plein développement ce qui peut entraîner une régression psychomotrice ou du langage, voire un équivalent dépressif. Il se pose beaucoup de questions qui requièrent des réponses pour diminuer sa confusion et se sentir rassuré. Il a besoin de sécurité et les mensonges ne peuvent qu’accroître son anxiété sur le monde qui l’entoure, considéré comme peu sûr et négatif. La peur de l’abandon peut parfois le conduire à devenir très possessif avec l’un des deux parents. • De 6 à 12 ans, l’enfant peut admettre les raisons invoquées et les points de vue de chacun des parents dans la décision de se séparer : c’est l’âge de l’empathie. Mais il ressent une grande tristesse de perdre sa famille, une perte qu’il vit parfois comme un deuil. Il peut se sentir coupable et/ou responsable de la situation ou parfois même avoir un sentiment de rejet de la part de ses parents ou envers eux. Ce conflit face à la loyauté des parents le rend capable de les blâmer. C’est à cet âge que l’espoir d’une réunion, d’une reconstitution de sa famille est le plus grand. Toutes ces émotions conduisent souvent à des changements de comportement notés surtout par les enseignants : retard scolaire, difficultés relationnelles avec ses pairs L’enfant peut ainsi adopter deux stratégies : une régression émotionnelle certes, mais aussi la constitution d’une forme de camouflage, de carapace pour ne rien montrer de ses sentiments, une attitude qui peut se prolonger pendant sa vie d’adulte et l’affecter. • Au-delà de 12 ans, l’adolescent comprend la complexité des relations entre ses parents, leur incompatibilité et la séparation en devient la conséquence logique. Certes si cette période de la vie est marquée par la recherche d’un détachement progressif de ses parents, il a paradoxalement toujours besoin de sécurité, donc d’une relation sûre et saine entre eux. Leur séparation peut lui donner l’impression que ses parents cherchent aussi à se séparer de lui. Il recherchera alors le soutien, le réconfort de ses pairs qui ont vécu des expériences similaires. La séparation peut perturber le déroulement de l’adolescence (avance ou retard) et l’acquisition de l’autonomie. Ce chamboulement familial est parfois responsable d’une véritable crise identitaire : repli, chagrin, honte, rébellion, colère contre son père et/ou sa mère, perte de confiance, de l’estime de soi et un risque scolaire soit de surinvestissement (perfectionnisme, stress, angoisse) ou au contraire de sous-investissement (perte d’attention, de concentration, hyperactivité, agressivité qui peuvent induire un harcèlement). La séparation à l’adolescence implique souvent une confrontation trop précoce au monde adulte et induit parfois des craintes pour sa future construction familiale. Conséquences à long terme et répercussions sur la vie adulte De nombreuses publications sont disponibles, certaines pessimistes, en particulier les plus anciennes, et d’autres plus optimistes, les plus récentes, mais leur date de publication, les items recensés et les pays d’origine les rendent très disparates. • Une étude sur les enfants du divorce et l’influence sur leur vie adulte effectué par l’Union des familles en Europe en 2011 portant sur le vécu de la séparation révèle pour les adultes interrogés que l’annonce de la séparation a été un moment très difficile : – regrets d’absence de parole et d’explications de la part des parents ; – parents trop centrés sur leur échec pour écouter la souffrance de l’enfant ; – obligation dramatique de faire un choix affectif pour la moitié ; – les trois quarts ont souffert du discrédit des parents entre eux ; – 40 % considèrent que c’était un gâchis (mot utilisé) évitable s’il y avait eu une bonne communication dans le couple parental. La recomposition et l’arrivée de beaux-parents était plutôt mal acceptées, surtout la belle-mère, et un tiers de leur mère sont restées seules pour protéger leurs enfants ou par crainte de revivre une séparation. Le rôle des grands-parents, considérés comme une courroie de transmission entre les parents et les enfants, a été une source d’enlisement dans un tiers des cas. Les conséquences sur leur vie ne sont pas négligeables : – moindre réussite au baccalauréat (ou équivalent) par manque de moyen financier, un contexte familial perturbant pour la concentration et manque de conseils pour l’orientation ; – un très gros déficit de confiance en soi (conflit à la loyauté de et pour les parents) ; – mais ils gardent des principes de fidélité, de communication, de partage de valeurs communes pour ne pas imiter l’échec du couple parental ; – et malgré leur souffrance d’enfants, ils croient au grand amour. • La remarquable publication « Les programmes de participation et de soutien à l’intention des enfants dont les parents se séparent ou divorcent » du gouvernement du Canada (2018) fait, dans l’item « Adaptation à long terme des enfants », une synthèse de très nombreuses publications : – les plus anciennes révèlent que les adultes ayant vécu une séparation dans l’enfance sont moins bien portants sur le plan psychologique, ont un niveau d’instruction moins élevé, sont moins heureux en ménage, ont plus de problèmes de comportement, et des risques de divorce plus élevés ; – les plus récentes sont beaucoup plus optimistes. La comparaison entre adultes issus de famille séparée ou de famille unie montre : • aucune différence pour l’estime de soi entre enfants et adolescents des deux groupes après une diminution temporaire à la séparation, • un niveau d’adaptation « normal » à la vie adulte, • aucune différence selon le sexe pour les répercussions négatives, • que plus le divorce survient jeune, meilleure est l’adaptation, • que les risques à long terme sont plus importants chez les enfants les plus exposés aux conflits parentaux pendant et après la rupture, ainsi qu’aux problèmes économiques, • mais souligne surtout l’importance des liens sociaux, de l’adaptation du conjoint qui a la garde et de la qualité de la coparentalité pour une meilleure résistance. L’annonce : par qui ? Quand ? Comment ? La façon dont l’annonce de la séparation est faite a des répercussions très importantes pour la suite. Il s’agit d’un moment difficile pour les parents qui n’en envisagent pas naturellement les conséquences. On peut cependant les conseiller s’ils nous en parlent à l’avance : – si le (ou les) enfant(s) sont tout petits ne pas le faire trop à l’avance car la notion du temps est alors très confuse ; – si les deux parents en sont capables, il vaut mieux l’annoncer ensemble en restant respectueux l’un envers l’autre et en évitant le déballage des conflits ; – dire la vérité : pas de mensonges, pas d’ambiguïté, ne laisser aucun doute et insister sur le fait que l’enfant n’est pas la cause de cette désunion, qu’il n’en est pas responsable ; – utiliser des mots simples et rassurant sur l’amour qu’ils lui ou leur portent et que c’est pour toujours, même s’ils ne sont plus sous le même toit ; – décrire ce qui va se passer (départ, garde, habitation, scolarité, liens à la famille grandsparents, vacances, etc.) ; – en faisant toujours un rappel quelques jours avant la date fixée ; – mais cette annonce doit être préparée par les deux en amont, il n‘y a pas de place pour l’improvisation ; – se préparer à tout type de réaction : en realité, en général, plus l’âge est avancé plus les enfants s’y attendent, les conflits ne leur échappent pas. La garde... Point très important car il conditionne la vie quotidienne et ainsi le bien-être de l’enfant. La garde exclusive(1) à la mère reste actuellement la plus fréquente. On considère par tradition que ce mode de garde est le mieux adapté et c’est généralement vrai chez le tout-petit. Mais il ne faut pas créer de distanciation avec le père. Cette situation pose cependant des problèmes économiques de manque de ressources comme dans toute famille monoparentale et peut aussi rendre difficile une recomposition familiale. • La garde exclusive(1) du père est le plus souvent un arrangement substitutif quand ce n’est pas possible chez la mère. • La garde alternée (figures 1 et 2) est de plus en plus adoptée (officialisée par la loi du 4 mars 2002) : – elle défend le principe de coparentalité pour maintenir un lien parental solide mais impose une communication et des relations de qualité entre les deux parents ; – elle répond le mieux aux aspirations de l’enfant : pas de séparation affective de leurs parents ; – il faut prendre en compte la distance entre les lieux de vie, de scolarisation et l’implication des parents, ainsi que les coûts que cela implique ! – elle doit surtout tenir compte de l’intérêt de l’enfant et de son âge ; elle est envisageable quand le lien d’attachement avec les deux parents est établi : • avant 3 ans, ces liens sont plutôt maternels et la garde alternée peut induire des troubles de l’attachement ; un foyer fixe et de bonnes relations parentales paraissent mieux adaptés, • après 3 ans, si cette alternance est mal préparée, brusque et non progressive, elle peut créer des peurs d’abandon, des difficultés de reconnaissance parentale. Il faut absolument que l’enfant soit bien dans les deux foyers, • chez les adolescents, la vie sociale prime et le partage entre les deux parents, surtout dans le cadre d’une recomposition familiale, entraîne souvent un « ras-le-bol » et donc un choix de vie chez le plus « pratique », celui qui correspond le mieux à ses désirs. Pour le bien-être de l’enfant, la qualité des pratiques parentales et la relation entre les exconjoints doivent plus être considérés que le mode de garde. Il ne faut pas oublier que les familles évoluent et que durant la vie de l’enfant le mode de garde peut changer. La recomposition familiale : une nouvelle épreuve ? C’est un fait acquis et naturel : de plus en plus de parents séparés renouent des liens affectifs et recomposent une nouvelle « famille ». C’est le cycle des réorganisations familiales comme l’illustre la figure 3. Et l’enfant dont les parents s’étaient séparés est alors confronté à une nouvelle organisation familiale à laquelle il doit s’adapter avec plus ou moins de bonheur et de facilités. La constellation familiale devient plus large, ses frontières s’élargissent ce qui impose une circulation harmonieuse au sein de cette recomposition. L’enfant n’est plus dans une famille verticale mais horizontale, à laquelle il n’est plus uni par les liens du sang. La parentalité devient sociale, non biologique, on peut alors parler de pluriparentalité. Comment alors trouver la place respective des parents, du beau-père, de la belle-mère (place difficile ++), et celle des autres enfants (demi-frère ou soeur ou autres), comment les nommer ? Qui doit avoir l’autorité ? Qui est responsable de l’éducation ? Ce nouveau contexte peut facilement générer des tensions, des conflits dans l’exercice de la coparentalité et ce d’autant que l’enfant n’a aucune obligation à aimer ses beaux-parents et sa fratrie sociale. Aucun rôle ne peut être défini à l’avance : il faut tout réinventer et, comme pour l’annonce de la séparation, une recomposition familiale nécessite une préparation, de la douceur, du temps pour arriver à ne rien imposer et aider à l’accepter. Il faut tout faire pour que cela ne devienne une nouvelle épreuve. L‘intelligence, l’empathie des parties impliquées ne peut qu’être bénéfique en ne perdant jamais de vue le bien-être de l’enfant. Cependant, dans quelques cas, ces recompositions se terminent par de nouvelles séparations, ce qui peut tout remettre en question. La coparentalité : un défi à réussir C’est l’exercice conjoint des droits et de la responsabilité de chacun des parents à l’égard de l’enfant après un divorce ou une séparation. Cela nécessite que les parents puissent coopérer et communiquer après la rupture pour exercer leur rôle auprès de ou des enfant(s) car : – on est parent pour la vie ; – l’enfant lui ne se sépare pas, il n’a pas choisi la séparation de ses parents ; – la séparation met un terme à la relation conjugale mais pas à la relation parentale. L’hostilité (qui en réalité exprime le maintien d’un attachement à l’autre) nuit à tous. Il faut donc que chaque parent arrive à transcender son point de vue, à intégrer la perspective de l’enfant et de l’autre parent afin d’assumer au quotidien les prises de décision, le respect des ententes, la gestion des conflits, etc. Des parents en conflit ne favorisent pas la collaboration éducative. L’enfant doit pouvoir conserver ses deux parents comme figures idéales d’attachement, d’identification, de ressources matérielles et socioculturelles, mais il doit aussi accepter la permanence de la séparation. Il doit pouvoir exprimer ses sentiments et les parents doivent en tenir compte. Il doit se dégager de leurs conflits et problématiques. L’enfant ne doit pas être la courroie de transmission et de communication entre ses parents. Il faut l’aider à résoudre sa colère et à cesser de se blâmer (ni responsable ni coupable). On conçoit que cela puisse être très difficile tant que les conflits parentaux ne sont pas apaisés (du moins devant l’enfant) ou qu’une situation économique précaire est apparue à la suite de la séparation. C’est cependant la clé indispensable au bien-être de l’enfant. Il faut rappeler que la coparentalité implique aussi à la responsabilité ou le statut d’un beau-parent dans une famille recomposée. Le rôle du pédiatre, du médecin de famille Peut-il être conseiller, médiateur auprès des parents, de l’enfant ? Oui et de fait de plus en plus de parents viennent consulter avant la séparation ce qui est positif, surtout s’ils viennent ensemble. Mais il ne doit jamais prendre parti, ni s’immiscer dans les conflits et rester très vigilant et prudent dans la rédaction des divers certificats réclamés par l’un ou l’autre. Il ne faut être que factuel. Il peut ainsi aider les parents à trouver une nouvelle forme à la famille, les inciter à rester des parents à part entière, faire en sorte que les enfants le comprennent et le ressentent. Il peut ainsi aider à réussir la coparentalité en insistant sur la priorité que les parents doivent accorder à leur(s) enfant(s) et son (leur) bien-être. Une conclusion optimiste ? Pour tout enfant, la séparation de ses parents est un moment : – où il se pose de multiples questions ; – où ses repères sont chamboulés ; – son univers est remis en cause. • Les conséquences à long terme ne sont pas toutes négatives. • Tous les enfants de couples séparés doivent voir leurs besoins fondamentaux pris en compte. • Il est donc essentiel que les parents se posent ensemble les bonnes questions sur l’organisation de la vie quotidienne et trouvent les compromis au seul bénéfice de l’enfant. • Cela demande donc de leur part une très forte implication avant, pendant et après la séparation. • Implication qu’ils doivent intégrer dans leur nouveau mode de vie au delà des conflits et des recompositions éventuelles. • En cela, ils doivent être informés, aidés par des professionnels aguerris. • C’est la garantie que l’enfant se sentira rassuré sur son avenir et grandira dans les meilleures conditions possibles. « Car l’enfant doit être notre souci, savez-vous pourquoi ? Vrai non ? L’enfant s’appelle l’avenir » Victor Hugo