Publié le 25 nov 2013Lecture 8 min
Pollution atmosphérique urbaine et santé de l’enfant. Un entretien avec le Pr Just
L. SICSIC
La pollution atmosphérique en ville, tout le monde en parle, mais en connaît-on précisément l’impact sur la santé des enfants ? Le trafic automobile urbain avec, notamment, l’incitation auprès des constructeurs à équiper la majorité des véhicules de moteurs diesel, a-t-il modifié l’épidémiologie de certaines maladies dans la population pédiatrique urbaine ? C’est ce que nous avons demandé au Pr Jocelyne Just, pédiatre pneumo-allergologue et responsable de l’unité Asthme et Allergologie de l’hôpital d’enfants Armand Trousseau à Paris.
Quels sont les polluants aériens les plus préoccupants pour la santé des enfants ? Jocelyne Just – Avant toute chose, rappelons que la fumée de tabac demeure le premier polluant atmosphérique à l’intérieur d’un habitat. Concernant les polluants extérieurs, il s’agit principalement des particules diesel des gaz d’échappement, mais aussi du NO2, du SO2 et de l’ozone. Les particules fines diesel, le NO2 et le SO2 sont plutôt des polluants hivernaux, s’accumulant près du sol dans les villes quand le couvert nuageux est bas et les empêche de s’échapper vers le haut. L’ozone est un polluant plutôt printanoestival lié à l’ensoleillement, car il se forme grâce au rayonnement solaire. Ces polluants n’ont pas tous le même impact physiopathologique. Schématiquement, les polluants aériens entraînent soit une inflammation non spécifique des voies aériennes, qui, chez le sujet allergique, diminue le seuil de réactivité aux allergènes (comme les pollens)(1-3) ; c’est le cas du tabac et de l’ozone. Soit ils entraînent des mécanismes dysimmunitaires conduisant à une sensibilisation vis-à-vis des allergènes de l’environnement. Il a été en effet montré que l’exposition aux particules diesel modifiait le système immunitaire, notamment en favorisant la formation de novo d’IgE(4,5), et pouvait ainsi conduire des personnes à la maladie allergique. Les études de cohorte néonatale ont montré non seulement qu’il y avait une augmentation du risque d’asthme, mais aussi un accroissement de la sensibilisation aux allergènes, en particulier aux pollens. Il a été vérifié expérimentalement que les pollens étaient modifiés et devenaient plus allergisants après exposition aux particules diesel(6,7) ; cela explique que l’on observe plus de pollinoses en ville qu’à la campagne, contrairement à ce à quoi l’on pourrait s’attendre. Par ailleurs, on reconnaît aujourd’hui que la pollution atmosphérique agit aussi en modifiant, non pas la structure des gènes, mais leur expression, mécanisme pouvant mener à l’asthme sur un terrain particulier. Il a été montré expérimentalement in vitro et in vivo que des mécanismes épigénétiques – méthylation de l’ADN et modifications des histones – amenaient des gènes habituellement silencieux à s’exprimer en présence de polluants(8,9). Ces caractères acquis peuvent être transmis à la descendance (par exemple, un enfant peut être asthmatique parce que l’une de ses grand-mères a fumé pendant la grossesse ayant donné naissance à la mère, et ce, même si cette dernière ne fumait pas). Connaît-on l’importance du retentissement de la pollution atmosphérique des villes sur la santé des enfants ? J. Just – Le retentissement est essentiellement respiratoire. On le sait depuis déjà quelques années, grâce aux études épidémiologiques qui montrent une relation entre pic de pollution et exacerbation de l’asthme(10,11). Lors des pics de pollution, on observe en effet une recrudescence des crises d’asthme, de la consommation de bronchodilatateurs et des passages dans les services d’urgences. Mais aujourd’hui, on reconnaît également que la pollution de fond – qui se distingue des pics définis audelà des normes admises de pollution –, a aussi un impact sur les voies respiratoires des enfants. Des études de cohortes de nouveau-nés montrent que cette pollution de fond augmente le nombre de nouveaux cas d’asthme(12-15). La proximité d’une voie à fort trafic routier est un facteur identifié augmentant la pollution de fond et lié au surrisque de survenue de ces nouveaux cas. Cela a été observé plus particulièrement chez les jeunes enfants, voire in utero, chez les enfants de mères très exposées à la pollution. En effet, il a été montré que les femmes enceintes soumises à une forte pollution de fond lors du dernier trimestre de la grossesse, comparées à des femmes non exposées, ont significativement un plus grand risque de mettre au monde un enfant allergique ou asthmatique(16). La pollution atmosphérique est désormais reconnue comme faisant partie des facteurs participant au déclenchement d’une crise d’asthme, elle s’ajoute aux facteurs déjà connus. Ainsi en clinique simple, pour évaluer l’exposition à la pollution atmosphérique, il faut penser à demander si le patient habite à proximité, c’est-à-dire à moins d’environ 250 mètres, d’une voie à fort trafic automobile, et à quel étage. De la même façon, il faut poser la question du tabagisme passif à l’intérieur de l’habitat. Dans quelle proportion les enfants des villes sont-ils touchés ? J. Just – On identifie bien le rôle de l’environnement dans les pays industrialisés. La prévalence de l’asthme a été multipliée par 2 en 20 ans. Il semble y avoir aujourd’hui une stagnation dans les pays où la prévalence est haute, alors qu’elle continue d’augmenter dans les pays en voie de développement. L’allergie, comme l’asthme, sont des maladies plurifactorielles – présence de l’allergène, terrain génétique, stress, hygiène, infections, pollution atmosphérique –, mais il est très difficile de dire quelle est la part relative de chacun des facteurs participant à cette augmentation, et donc de chiffrer précisément la proportion d’enfants malades du fait de la pollution. On peut seulement dire que la combinaison des différents facteurs – diminution des infections, modification de l’alimentation, pollution, stress – aboutit à une augmentation globale du nombre des allergies. En dehors de l’asthme, quelles pathologies ont été mises en relation avec la pollution atmosphérique urbaine ? J. Just – D’autres maladies sont susceptibles d’être déséquilibrées voire induites par la pollution atmosphérique. Les pollinoses, nous l’avons dit. La question se pose également peut-être pour la dermatite atopique. Il a été notamment montré que la proximité d’un axe routier à fort trafic était associée à l’apparition de symptômes allergiques et de sensibilisations allergéniques(17). Les pathologies cardiovasculaires…, mais cela concerne plus l’adulte. Chez l’enfant, des études d’explorations fonctionnelles respiratoires se sont intéressées à la croissance pulmonaire ; elles ont montré que les paramètres respiratoires sont abaissés chez des enfants sains vivant en environnement pollué comparés à d’autres vivant en environnement non pollué(18,19). Cette altération de la croissance pulmonaire a été montrée avec le tabac, mais aussi avec les polluants extérieurs(20). Y a-t-il plus d’asthme à l’effort chez les petits citadins ? J. Just – Cela n’a pas été étudié. L’effort est un facteur déclenchant, et l’on comprend aisément que des efforts produits dans une zone polluée augmentent l’inhalation de particules polluantes. Le problème se pose d’autant plus l’été par beau temps (les enfants sont plus souvent dehors), où se combinent l’effort, les polluants et les allergènes comme les pollens. Il faut donc recommander aux enfants d’éviter de courir à l’extérieur lorsqu’il y a des pics de pollution. Vivre en ville favorise-t-il les allergies et quels conseils peut-on donner aux parents ayant un enfant asthmatique ou à risque allergique ? J. Just – Selon l’hypothèse hygiéniste, vivre à la campagne (près d’une ferme ou d’une zone d’élevage) protègerait vis-à-vis de l’allergie. Cette hypothèse a été proposée pour expliquer qu’il y a plus asthme et d’allergie dans nos pays que dans les pays en voie de développement, et moins d’asthme et d’allergie en milieu agricole qu’en ville. Cela est en relation avec une diminution de stimulation du système immunitaire par des bactéries saprophytes émises par les animaux de ferme, notamment, et non avec la pollution atmosphérique urbaine. Celle-ci accroît le risque de maladie asthmatique et allergique par des mécanismes qui lui sont propres. Il ne faut pas pour autant oublier l’importance du rôle de la pollution intérieure, car les enfants passent une grande partie de leur vie dans des bâtiments fermés. Le premier polluant à domicile, c’est le tabac, suivent ensuite, les colles, de nombreux composants volatiles et les formaldéhydes. C’est pourquoi, on conseille en pratique, pour diminuer la pollution intérieure, de ventiler l’habitat en ouvrant les fenêtres au moins une demiheure par jour. Mais cela peut poser un problème lorsque l’habitat est situé en zone polluée. Dans ce cas, on peut juste dire aux parents d’ouvrir du côté où il y a le moins de circulation, soit le matin très tôt, soit le soir très tard, et leur conseiller d’installer la chambre des enfants côté cour.
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