Publié le 21 mai 2013Lecture 9 min
La vie est-elle un traumatisme ? Intégrer la notion de traumatisme dans une pratique pédiatrique courante ?
J.-F. ROCHE, Pôle hospitalo-universitaire de pédopsychiatrie, Centre hospitalier Esquirol, Limoges
La question du traumatisme est une question très actuelle. Plusieurs colloques ont été consacrés à ce thème durant les derniers mois (Journées nationales de la SFPEADA, mai 2011 à Limoges(1), Rencontres de Pédiatrie Pratique, janvier 2012 à Paris). Par ailleurs, dans notre pratique quotidienne, la référence à une étiologie traumatique de tel ou tel trouble, la mise en place demandée de dispositifs d’intervention tels que les cellules d’urgences médico-psychologique (CUMP) vient faire résonance à la place qu’a pu prendre cette notion tant dans les médias que dans les représentations quotidiennes.
En référence aux journées de la SFPEADA (Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées), il semble possible de donner quelques repères dans cette question souvent invoquée, mais difficile à gérer en pratique courante. Définition Nous reprendrons la définition du traumatisme d’Alain de Mijolla : « événement qui par sa violence et sa soudaineté entraîne un afflux d’excitation suffisante pour mettre en échec les mécanismes de défense habituellement efficaces ; le traumatisme produit le plus souvent un état de sidération et entraîne à plus ou moins long terme une désorganisation dans l’économie psychique »(2). Cette définition, bien qu’ancienne, a le grand intérêt de recouvrir également les recherches les plus récentes de la neurophysiologie telles que celles sur l’empathie. Ici sont particulièrement importantes les notions de violence/soudaineté/ excitation, de mise en échec des mécanismes de défense, de sidération et de désorganisation de l’économie psychique, qui sont le fil rouge de la compréhension de cette question. Champ du traumatisme : événements et expérience vécus L’ensemble des recherches portant sur le traumatisme et ses conséquences se heurte à de grandes difficultés de définition de leur champ. S’il est relativement simple d’invoquer un événement traumatisant dans telle ou telle circonstance, il est nettement plus difficile de préciser les mécanismes incriminés. Si l’on privilégie une causalité (un événement crée un trouble) – ce qui a été le choix de certaines études épidémiologiques –, on se heurte au fait que le même événement peut être à la fois facteur de résilience et facteur de traumatisme(3). Si l’on privilégie une conséquence (tel trouble peut être rattaché à tel événement), on ne peut passer outre des questions fondamentales telles que le vécu de l’événement par le sujet, la distinction entre effet de contagion et exposition directe, le délai de l’étude par rapport à l’événement. Par ailleurs, il y a souvent confusion de termes entre stress, stress post-traumatique et traumatisme (ou psychotraumatisme)(4). Évolution historique : connaissance ancienne, reconnaissance tardive La relation entre des événements le plus souvent violents, brutaux, imprévisibles et des manifestations psychologiques ou/et comportementales importantes et durables est très ancienne ; a posteriori, ces manifestations pourraient être qualifiées de psychotraumatiques. Dans l’Antiquité, il est intéressant de constater la place importante accordée à des phénomènes mnésiques distordus comme explication de ces troubles (par exemple, dans un récit grec, où il est question de ne pas être mort et de ne pas avoir pu boire au fleuve d’oubli)(4). L’intérêt médical pour de tels troubles date de la fin du XIXe siècle où, à propos d’accidents ferroviaires, le psychiatre allemand Oppenheim introduira la notion de névrose traumatique ; cette notion sera reprise dans la mouvance de Charcot et de diverses explications psychogénétiques (Freud, Janet). Dans un même temps, la multiplication et le changement de nature des conflits armés vont amener un grand nombre de travaux sur les traumatismes psychiques de guerre, tout d’abord pour dépister les simulateurs, puis progressivement pour traiter les personnes atteintes en vue de les ramener au combat et, plus tardivement, pour traiter les troubles séquellaires. C’est ainsi que sera reconnu aux États-Unis le post Vietnam Syndrome en 1972 et que la description de l’état de stress post-traumatique sera reconnue dans le DSM-III (1980). En ce qui concerne les enfants, des éléments cliniques ont été rapportés dans le milieu du XXe siècle pour des enfants exposés aux conséquences des guerres (A. Brauner à propos de la guerre civile espagnole ; A. Freud et D. Burlingham à propos des enfants évacués de Londres bombardé). La première étude exhaustive sera celle de L. Terr menée pendant une dizaine d’années sur un groupe d’enfants victimes du détournement d’un bus scolaire (à Chowchila en Californie) et de séquestration(5). Au plan des recherches étiologiques, quelle que soit la perspective de ces recherches, l’invariant semble être une difficulté à organiser les mécanismes d’adaptation de l’organisme à de tels événements et de les moduler dans les circuits mnésiques (absence d’extinction de ces mécanismes, conditionnement de peur, persistance de souvenirs sensoriels et émotionnels non traités)(4). Expressions cliniques Les expressions cliniques sont multiformes, peu spécifiques. Pour préciser le cadre clinique, nous pouvons prendre pour base la description du DSM-IV (en rappelant que cette classification est un outil de recherche et non de clinique, et que ses critères d’exposition sont discutables). Sont retenus comme critères diagnostiques : – la notion de reviviscence de l’événement traumatique (souvenirs, rêves, sentiment d’imminence de la reproduction de l’événement, détresse psychique et réactivité physiologique devant des indices de l’événement) ; – la notion d’évitement (évitement des activités et des pensées associées à l’événement, amnésies sélectives, rétrécissement global du champ des intérêts) ; – et la notion de symptômes d’activation neurovégétative (sommeil, colères, hypervigilance, troubles de la concentration). Un élément majeur est celui de la répétition de ces troubles. Malgré la diversité des situations cliniques, des indices de reviviscence, d’évitement, de retentissement neurovégétatif et leur répétition sont très contributifs pour envisager un déterminisme traumatique. S'agissant de l'enfant, les expressions cliniques sont encore plus diverses recouvrant le champ des symptomatologies de l'enfant ; elles sont d'autant moins spécifiques que l'enfant est jeune et que l'événement traumatique vient impacter les processus développementaux. Les processus de reviviscence et d'évitement s’exprimeront dans le jeu, les dessins et la somatisation fonctionnelle. Lors de son long suivi des enfants victimes du rapt de Chowchila, L. Terr fournit des éléments précis(5). Tous les enfants vont présenter une symptomatologie relativement semblable quels que soient leur niveau de développement ou leur cadre familial (« c'est comme si la prise d'otage était devenue l'expérience référence de leur vie », dira-t-il). Ces manifestations sont essentiellement des modifications perceptuelles et des distorsions temporelles portant non seulement sur l'événement lui-même, mais aussi sur l'avant et l'après de cet événement ; seules les expressions symboliques de cette atteinte seront en rapport avec le niveau de développement de l’enfant et son cadre familial (ce qui peut toutefois être facteur de résilience). Dans le décours de son long travail autour du traumatisme et de ses expressions, L. Terr amènera également la distinction aujourd'hui classique entre traumatisme isolé et exceptionnel et traumatismes répétés comme la maltraitance. Plus complexe cliniquement est le problème de la transmission du traumatisme à travers le temps. Nous citerons deux exemples parmi d’autres. L’équipe de pédopsychiatrie de liaison à l’Hôpital des Enfants de Toulouse, en prise directe avec le suivi immédiat et dans la durée des victimes de la catastrophe d’AZF, rapporte la remise en activité chez ces personnes d’éléments traumatiques, certes remaniés mais néanmoins témoins de la trace laissée, lors de la récente catastrophe de Fukushima(6). Les études de l’équipe de pédopsychiatrie de la Salpêtrière, s’appuyant sur des études de psychopathologie, mais aussi sur l’étude des systèmes biologiques fonctionnels et anatomiques, ont montré que des traces pouvaient rester inscrites à des niveaux non conscients, accessibles soit à travers une écoute spécifique, soit dans l’expérience des interactions précoces mère-bébé(7). Il est donc parfois licite d’évoquer une étiologie traumatique à distance géographique ou temporelle des événements. Traitements Les écrits sur les traitements des psychotraumatismes sont extrêmement nombreux. Globalement, leurs objectifs sont d’intervenir sur le « court-circuit mnésique », que ce soit dans les interventions psychothérapiques de groupe et individuelles ou dans les abords pharmacologiques. En revanche, il existe peu de consensus si ce n’est la non-indication des benzodiazépines. Les bêtabloquants, les inhibiteurs de recapture de sérotonine (IRS) et les antipsychotiques atypiques ont été proposés(8) ; aucune molécule n’a actuellement d’AMM chez l’enfant. La HAS a validé le traitement par l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) ; il a des modalités spécifiques d’application à l’enfant (utilisation du dessin) ; bien que validé, il est abondamment discuté dans ses indications et dans ses mises en oeuvre. Les traitements collectifs type debriefing ont des résultats très discutables (catastrophe d’AZF)(6). Le recours à des associations d’aide aux victimes pouvant proposer des approches très spécifiques de ce type de troubles est souvent pertinent. La répartition de ces associations est variable selon les régions ; on peut les retrouver par l’intermédiaire des services judiciaires. Au-delà de ces approches a priori relativement étiologiques, il faut rappeler l’importance de l’écoute, de l’accueil fait à l’enfant en souffrance qui, en tout état de cause, est un début de restauration de sens et, à ce titre, l’ébauche d’un soin. Par contre, il faut insister sur l’importance à accorder à la parole de l’enfant, en la différenciant bien de celle de son milieu, pour éviter de figer des crises aiguës sans traits traumatiques patents en traumatismes secondaires. Conclusion Il est clair que certains événements ont un retentissement psychotraumatique, mais avec une grande diversité d’expressions cliniques. Il n’y a pas de consensus sur les traitements. Par ailleurs, la reconnaissance de tels troubles et donc leur prise en charge sont une exigence de notre pensée sociale actuelle, il importe donc d’y apporter une réponse malgré cette incertitude.
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