Profession, Société
Publié le 11 avr 2018Lecture 11 min
Les résultats de la dernière enquête nationale périnatale
Daniel ROTTEN, Hôpital Delafontaine, Saint-Denis
Les rapports synthétisant les résultats obtenus dans l’enquête nationale périnatale 2016 viennent d’être rendus publics. Pour rappel, trois enquêtes nationales périnatales avaient été précédemment conduites (1995, 2003 et 2010). La dernière vague a été réalisée en mars 2016. Les rapports ont été rédigés sous l’égide de l’Inserm (équipe de recherche en épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique EPOPE) pour le volet « naissances » et celle de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) pour le volet « établissements ». L’enquête a porté sur la totalité des naissances survenues pendant une semaine en mars 2016 (enfants nés vivants et mort-nés, > 22 Sa ou > 500 g), dans la totalité des 517 établissements de naissance de France, métropole et départements ou régions d’outre-mer (DROM).
Cette enquête fournit de nombreuses indications sur la santé des mères et des nouveau-nés, sur les pratiques médicales autour de la grossesse et des accouchements, ainsi que sur les établissements de naissance. Elle a combiné le recueil de données chiffrées et des entretiens directs avec les femmes pendant leur séjour en suites de couches. Cette approche a pour intérêt de fournir des renseignements qui vont au-delà des dénombrements secs d’actes techniques. Elle renseigne sur des facteurs ne figurant souvent pas dans les bases de données numériques ou les dossiers médicaux : facteurs de risque les plus importants, conditions sociodémographiques, comportements préventifs, souhaits et ressenti des patientes…
Derrière les données globales présentées, il existe en réalité de très grandes disparités géographiques. Les mécanismes causaux sont trop hétérogènes pour permettre une analyse simple et, de plus, varient pour chacun des paramètres mesurés. À l’origine de ces disparités sont invoqués parmi d’autres le contexte géographique et social, l’influence des professionnels leaders d’opinion, les actions menées localement par les réseaux de périnatalité… L’enquête a inclus 13 148 femmes et 13 384 naissances en métropole (746 et 758, respectivement, dans les DROM). Voici quelques-uns des points saillants (les chiffres cités dans cette première partie concernent la métropole et, sauf indication, sont comparés aux chiffres de l’enquête 2010).
Premier volet : les naissances
Caractéristiques maternelles
Plusieurs paramètres représentant des facteurs de risque pour le déroulement et l’issue des grossesses ont tendance à évoluer défavorablement. L’âge maternel continue à progresser (21 % des patientes sont âgées de 35 ans et plus). Le taux de patientes en surpoids ou obèses avant la grossesse (20 % et 12 %, respectivement) continue à augmenter. Concernant l’usage du tabac, on ne note aucune diminution (17 % des femmes fument ≥ 1 cigarette/jour au 3e trimestre). La survenue de la grossesse est généralement planifiée, mais on observe une augmentation du nombre de grossesses survenant tout en utilisant un moyen contraceptif, qu’il s’agisse de contraception médicale ou traditionnelle (7 % en 2010 contre 9 % en 2016). L’acceptation de ces grossesses est contrastée car, dans nombre de cas, le souhait des femmes était de retarder la survenue de la grossesse. Le contexte social se dégrade, en particulier concernant la situation professionnelle des membres du couple : 28 % des ménages ont reçu pendant la grossesse des aides publiques diverses, liées à un revenu faible ou au chômage.
Modalités de suivi de grossesse et accouchement
Les obstétriciens et les gynécologues restent les intervenants majeurs du suivi de grossesse, mais le rôle des sages-femmes dans le suivi prénatal et au moment de l’accouchement (voir plus loin) s’est élargi. Pour un quart des femmes, quel que soit le secteur, hospitalier ou libéral, les sages-femmes ont été l’intervenant principal du suivi pendant les 6 premiers mois de grossesse. La quasi-totalité des établissements a instauré une participation des sages-femmes au suivi de grossesse (secteur public : 96 % ; secteur privé : 19 %). Les sages-femmes participent à la surveillance rapprochée de la grossesse dans 96 % des établissements. Le rôle des sages-femmes est en réalité diversifié, puisqu’elles participent également aux échographies, à l’entretien prénatal précoce, à la préparation à la naissance et la parentalité, à l’allaitement et à des consultations diverses comme la tabacologie et l’acupuncture. Enfin, elles occupent un rôle important dans l’accompagnement postnatal à la sortie de maternité et pour la mise en place de l’allaitement maternel. Le nombre d’échographies par grossesse continue à augmenter : 75 % des femmes ont eu > 3 échographies (et 36 % ont eu ≥ 6 échographies). Les accouchements ont lieu plus souvent en secteur public (69 % contre 64 % en 2010), en établissement réalisant plus de 3 000 accouchements annuels (29 % contre 19 %) et en établissement de type III (26 % contre 22 %).
Indicateurs de santé périnatale
Certains se sont dégradés. Le taux de prématurité paraît s’être stabilisé autour de 6 % pour les enfants uniques nés vivants et de 7,5 % pour l’ensemble des naissances vivantes. Mais il avait fortement augmenté depuis 1995 (4,5 %). Le taux d’enfants nés avec un retard de croissance à la naissance (enfants uniques nés vivants) a augmenté de manière marginale (de 10,1 % à 10,8 %). Le taux de gestes de réanimation à la naissance et de transferts de nouveau-nés vers des services de néonatalogie a augmenté. L’enquête ne permet pas de savoir s’il s’agit d’une dégradation de l’état clinique des nouveau-nés ou si cette constatation résulte d’un changement de pratiques.
Mesures de prévention pendant la grossesse
La prescription d’acide folique avant la grossesse a augmenté, mais reste limitée. Seules 23 % des femmes en ont bénéficié. La consommation de tabac n’a pas disparu (17 % des femmes ont fumé ≥ 1 cigarette/jour pendant le 3e trimestre). Plus de la moitié des fumeuses déclarent n’avoir reçu aucun conseil pour diminuer leur consommation pendant la grossesse. L’information sur l’alcool et le tabac n’est pas systématiquement abordée pendant la grossesse. Les aides proposées pour in former et soutenir les femmes continuent à s’implanter, mais avec des disparités géographiques très fortes, reflétant une implication inégale des institutions et des réseaux de santé en périnatalité. Ainsi, 29 % des femmes ont bénéficié d’un entretien prénatal précoce et seules 78 % (contre 74 % en 2010) des nullipares ont suivi une préparation à la naissance et à la parentalité. L’absence de frottis cervicaux actuels ou récents reste fréquente (20 %) et surtout n’a pas diminué. Inversement, le taux de dépistage de diabète gestationnel reste plus élevé que ce que l’on attendait après l’adoption des nouvelles recommandations, avec dépistage ciblé. On observe une augmentation du taux de patientes ayant un diabète gestationnel. L’enquête ne permet pas de faire la part entre une augmentation due à une prévalence plus élevée des facteurs de risque ou à la conséquence de modalités de dépistage différentes. Le taux d’allaitement pendant le séjour en maternité continue de décroître. Il est passé de 68 % à 60 % pour l’allaitement maternel exclusif ou mixte et de 60 % à 52 % pour l’allaitement exclusif. La couverture vaccinale reste dramatiquement basse. Concernant la coqueluche, peu de femmes connaissent leur statut vaccinal et a fortiori ont un statut conforme aux recommandations. Concernant la grippe saisonnière, seules 7 % des femmes sont vaccinées, alors que les femmes enceintes constituent un groupe à risque élevé de complications et que l’enquête a été menée en pleine période vaccinale.
Recommandations de pratique obstétricale
Les recommandations professionnelles ont eu un impact positif fort sur les pratiques. Le taux de corticothérapie anténatale avant 34 SA a augmenté (77 % à 90 %) ; le taux d’épisiotomies toutes parités confondues a baissé (27 % à 20 %) ; l’utilisation d’ocytocine pendant le travail spontané a baissé (58 % à 44 %) ; l’administration d’ocytocine pour la prévention de l’hémorragie de la délivrance est devenue pratiquement systématique (83 % à 97 %). En revanche, le taux de césariennes reste stable (20,4 %). On observe toutefois une redistribution des causes, avec une forte diminution des taux de césariennes avant le début du travail, qui a baissé de 58 % à 50 %).
Départements ou régions d’outre-mer (DROM)
Les disparités géographiques sont encore plus marquées qu’en métropole. Globalement, les indicateurs observés (sauf la consommation de tabac) sont plus défavorables (tableau).
Deuxième volet : les établissements
Des accouchements dans des maternités plus grandes et plus spécialisées
Le mouvement de concentration des établissements se poursuit tout en se ralentissant, conséquence de fermetures, fusions, rapprochements interhospitaliers et coopérations public-privé. Le nombre d’établissements est passé de 816 en 1995 à 517 en 2016 (-39 %), à nombre total de naissances sensiblement égal. Cette baisse concerne surtout les établissements réalisant 1 000-1 500 accouchements annuels, ce qui aboutit à réduire le nombre d’établissements sans service de néonatalogie. Celui-ci s’établit quand même à 43 % des établissements et 23 % des accouchements en métropole. Cinquante-huit établissements réalisent moins de 500 accouchements annuels pour un total de 3 % des accouchements. Leur nombre se maintient, vraisemblablement en raison de contraintes géographiques. Le temps de transport médian estimé entre ces établissements et la maternité de type II ou supérieur la plus proche est d’environ une heure pour les « très petites » maternités (< 300 accouchements annuels) et de 20 minutes pour les « petites » maternités (300500 accouchements annuels). Le nombre de maternités réalisant ≥ 3 500 accouchements a augmenté légèrement (27 établissements et 15 % des accouchements). Les établissements de type III réalisent 26 % des accouchements (22 % en 2010). Étant donné la centralisation continue des naissances vers des structures de grande taille, il sera important de vérifier que ces établissements disposent des ressources humaines et financières qui leur permettent de délivrer des soins de qualité et de respecter les choix des femmes et leurs préférences en matière de naissances, en particulier pour les femmes qui mènent une grossesse à bas risque.
Organisation des prises en charge
Les difficultés d’accueil par manque de place sont devenues moins (et peu) fréquentes, puisque seules 15 % des maternités déclarent y être parfois confrontées et 2 % des maternités y être souvent confrontées. Cette situation se rencontre surtout dans les maternités de type III, où elle est passée de 47 % en 2010 à 29 % en 2016. L’amélioration par rapport à l’enquête précédente est peut-être due à l’extension du système d’inscription pour l’accouchement, qui est en place dans 86 % des maternités du secteur privé et 59 % des maternités publiques. Une trentaine de maternités déclarent refuser les inscriptions de grossesses à bas risque dont le domicile est éloigné de la maternité. Presque toutes les maternités (99 %) déclarent appartenir à un réseau de santé en périnatalité formalisé (cela participe peut être également de la meilleure régulation des inscriptions). Les réseaux mettent à la disposition des maternités de nombreux outils : formations, protocoles de prise en charge, outils destinés à faciliter les collaborations interprofessionnelles et la coordination des soins entre maternité et soins de ville. Un répertoire des professionnels de santé établi par les réseaux est utilisé par 66 % des maternités. Une des missions importantes des réseaux est d’organiser une régionalisation permettant de graduer l’offre de soins en fonction du niveau de risque maternel ou fœtal. Toutefois, seules 22 % des maternités interrogées déclarent utiliser un dossier médical commun aux maternités du réseau.
Sécurité autour de l’accouchement
L’amélioration de l’infrastructure des maternités se poursuit. Le nombre de blocs obstétricaux situés à l’intérieur du secteur de naissance ou contigus à celui-ci atteint désormais 75 %, tous types de maternité confondus (66 % en 2010). Pratiquement toutes les maternités disposent soit d’une unité de réanimation adulte sur site ou d’une unité de surveillance continue ou au moins d’une salle de réveil ouverte 24 h/24. Presque tous les établissements disposent également du seuil minimal de salles de travail prévu par la réglementation en fonction du nombre d’accouchements. L’accès au sang en cas d’urgence est possible dans tous les cas en moins de 30 minutes. Un moyen de surveillance de l’hémoglobine au lit de la patiente est largement disponible en salle de naissance (71 % des maternités de < 500 accouchements, 97 % des types III).
Profil des équipes soignantes
La présence continue 24 h/24 de professionnels sur site a continué à progresser. Pour les accoucheurs, elle est passée de 54 % à 61 % (90 % en type IIb, 100 % en type III). Pour les anesthésistes réanimateurs, elle est passée de 75 % à 81 %. Elle reste à la traîne pour les pédiatres. Il n’y a pas de présence systématique de pédiatre sur site, même en journée, dans 17 % (contre 23 % en 2010) des établissements. Outre leur place dans le suivi de grossesse, les sages-femmes ont un rôle accru dans la réalisation des accouchements et le suivi après la sortie de la maternité. Elles réalisent 87 % des accouchements par voie basse non instrumentale (secteur public : 95 % ; secteur privé : 57 %) contre 82 % en 2010.
Meilleure réponse aux besoins et attentes des femmes
Les femmes exprimant des souhaits spécifiques pour leur accouchement sont assez peu nombreuses (dont 4 % qui ont rédigé un projet de naissance). Elles déclarent généralement être satisfaites des réponses apportées par l’équipe médicale. Avant leur arrivée à la maternité, 15 % des femmes ont déclaré ne pas souhaiter d’analgésie péridurale. L’analgésie non médicamenteuse gagne du terrain (14 % à 36 %). Cependant, le taux effectif de recours à l’analgésie péridurale s’établit à 82 % (contre 79 % en 2010). L’utilisation des pompes permettant une analgésie épidurale selon un débit contrôlé par le patient (PCEA) se répand (passé de 58 % à 69 %). Et si au total, 88 % des femmes déclarent être satisfaites des méthodes dont elles ont bénéficié pour contrôler la douleur et les contractions, il reste que 12 % des patientes ne sont peu ou pas du tout contentes. Un espace dédié aux accouchements peu médicalisés et distinct des salles de naissance traditionnelles existe dans 40 % des établissements. On peut rappeler à cet égard que la revendication des patientes n’est pas une démédicalisation de l’accouchement, mais un meilleur respect de leur autonomie et de leur participation aux décisions médicales les concernant…
Évolution des protocoles de soins
Une unité mère-enfant « kangourou » permettant aux nouveau-nés à surveiller de rester près de leur mère existe désormais dans 30 % des établissements. Les programmes de « réhabilitation précoce post-césarienne » sont destinés à améliorer l’évolution fonctionnelle des patientes après l’intervention et à réduire la morbidité postopératoire. Ils combinent lutte contre la douleur, ablation rapide des drains et cathéters divers, mobilisation et lever précoce, reprise précoce des boissons et aliments. Ils se développent et sont présents dans 60 % des établissements.
L’accompagnement des femmes à la sortie de la maternité s’est généralisé, avec ou sans la participation du dispositif PRADO pour le bas risque. Deux points restent à améliorer : la qualité de l’information des femmes pendant la grossesse et la généralisation de la diffusion des fiches de liaison hôpital-ville.
Prise en charge des populations vulnérables
Une maternité sur 6 déclare accueillir au moins une fois par mois des femmes sans hébergement à leur sortie (21 % des établissements publics et ESPIC sont concernés et 4 % des établissements privés à but lucratif). Douze maternités, dont 11 sont situées en Île-de-France, sont confrontées à cette situation au moins une fois par semaine. La prise en charge des femmes en situation de précarité reste extrêmement complexe. Elle est présente de manière très diverse selon les maternités. On trouve parmi les ressources mobilisées par les différents établissements le recours à des Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), à des réunions de concertation pluridisciplinaire médicopsycho-sociales (RCP), à la PMI, à des assistantes de service social… Concernant les personnes à mobilité réduite, plusieurs établissements disposent des équipements permettant le suivi prénatal, l’accouchement, puis le séjour en maternité dans une chambre spécialement aménagée. Leur nombre augmente à mesure de la taille de l’établissement (maternités de moins de 500 accouchements annuels : 44 % ; maternités de > 3 500 accouchements annuels : 92 %).
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