Publié le 15 jan 2013Lecture 12 min
Syncopes à l’exercice chez l’enfant : que faire ?
J.-M. LUPOGLAZOFF*,** I. DENJOY**,*** *Hôpital Robert-Debré, Paris, **Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris, ***Hôpital Lariboisière, Paris
La perte de connaissance dans un contexte adrénergique d’effort chez l’enfant est une cause fréquente de consultation et de bilan en cardiologie pédiatrique. La syncope d’effort est toujours un événement grave pour lequel il faut mener un bilan le plus complet possible pour poser un diagnostic étiologique et proposer une prise en charge thérapeutique adaptée.
Enquête anamnestique Dans cette enquête, l’interrogatoire de l’enfant, de la famille et des témoins de la perte de connaissance est un élément important du diagnostic. Il faut déterminer le type d’effort qui a entraîné la perte de connaissance, le déroulement exact des événements : s’agissait-il d’une syncope à l’effort, à la fin de l’effort, au décours de l’effort ou à distance de l’effort ? Dans quel contexte est survenue cette syncope ? L’enfant était-il malade dans les jours précédents ? Avait-il de la fièvre ? S’agissait-il d’une syncope inaugurale ? Il faut éliminer, par l’interrogatoire et l’analyse de documents, les causes neurologiques, métaboliques et d’autres anomalies cardiaques, syndromiques (comme le syndrome de Marfan par exemple). En plus de détailler les circonstances de la syncope, il faut essayer d’estimer sa durée. Y a-t-il eu des convulsions au décours, des pertes d’urine, des mouvements anormaux, des morsures de langue, des signes cliniques signant une perte de connaissance qui a duré quelques minutes ? Le même type d’interrogatoire doit s’adresser aux parents et à la recherche d’antécédents familiaux du même type, ou d’antécédents de syncope ou de mort subite. Enquête étiologique Pour rechercher ces causes de syncope d’effort chez l’enfant (encadré 1), on doit faire un bilan complet comportant une échocardiographie, un ECG 12 dérivations, un Holter-ECG et une épreuve d’effort si l’enfant a l’âge et la taille suffisants (9-10 ans et 1,35-1,40 m). Chez les enfants plus jeunes, à partir de 5 ans, l’effort peut être évalué lors de l’enregistrement du Holter-ECG. Syndrome de Wolff-Parkinson-White L’ECG de surface et le Holter permettent de rechercher un syndrome de Wolff-Parkinson- White, qui peut être une cause de syncope d’effort (encadré 2). La fibrillation auriculaire sur Wolff- Parkinson-White est exceptionnelle chez l’enfant (la FA n’existe quasiment pas en cardiopédiatrie). Lorsqu’une syncope d’effort fait découvrir un syndrome de Wolff-Parkinson-White avec tachycardie supraventriculaire, il faut interdire le sport, sauf en cas d’absence de voie accessoire patente, de traitement bêtabloquant efficace et d’épreuve d’effort négative sous traitement. Dans le cas contraire, s’il existe une voie accessoire patente, si l’enfant veut faire du sport et s’il a plus de 10- 12 ans, on peut discuter une ablation par radiofréquence. Une cardiomyopathie hypertrophique L’autre grande étiologie des syncopes d’effort est la cardiomyopathie hypertrophique. Le diagnostic est fait sur l’ECG et surtout sur l’échocardiographie, avec ensuite une analyse génétique, un conseil génétique et une enquête familiale. Ceci débouche sur l’interdiction formelle de compétition, l’interdiction de sport, sauf chez les enfants asymptomatiques ayant des formes familiales modérées (absence de mort subite familiale, mutation génétique bénigne). Le suivi sera annuel avec un ECG, une épreuve d’effort et un Holter, ainsi que l’échocardiographie et l’ECG des parents. Les canalopathies À côté de ces deux étiologies, il faut penser aux canalopathies devant une mort subite d’effort avec autopsie négative (2 à 5 % des cas), une syncope d’effort ou durant la plongée, une syncope faisant suite à une émotion ou favorisée par une fièvre, des antécédents familiaux de syncope ou de mort subite d’effort. Les canalopathies induites par l’exercice sont principalement constituées par le syndrome du QT long congénital (SQTL) et les tachycardies ventriculaires polymorphes catécholergiques (TVC). Deux autres canalopathies sont moins concernées par ce contexte, le syndrome de Brugada et le syndrome du QT court. ● Le SQTL a une prévalence actuelle de 1 sur 4 000 individus. Dans la population française, les formes LQT1 et LQT2 sont les plus fréquentes, respectivement 50 et 45 %. La forme LQT3 est beaucoup plus rare (5 %) et survient plutôt au repos. Le diagnostic de QT long est probable si au moins l’un des critères suivant est présent : – QTc > 460 ms ; – QTc > 440 ms et bradycardie ou morphologie anormale de l’onde T ; – syncope ou torsade de pointe dans une famille de QT long. Il existe une dizaine de gènes impliqués dans le syndrome du QT long congénital, et le mode de déclenchement des événements rythmiques varie en fonction du défaut génétique. En cas de LQT1, le plus souvent, la syncope ou l’arrêt cardiaque survient au cours d’un effort, particulièrement dans un contexte émotionnel. Les patients LQT2 présentent des syncopes et des troubles du rythme plutôt après une forte stimulation auditive, une émotion ou lors d’un réveil nocturne. L’analyse de l’onde T sur l’ECG montre des aspects morphologiques assez spécifiques des trois principaux gènes connus impliqués (tableau). Dans la forme LQT3, l’intervalle QTc est très allongé avec une onde T tardive et de grande amplitude ; dans la forme LQT2, l’onde T est de faible amplitude ; dans la forme LQT1, qui est la plus fréquente, la morphologie de l’onde T est monophasique avec une base élargie sensiblement normale, ce qui rend son diagnostic plus difficile. L’analyse de l’ensemble des tracés ECG des membres d’une même famille, en particulier des parents de l’enfant concerné, améliore la sensibilité et la spécificité du diagnostic. De même, l’analyse du Holter- ECG est très contributive à la détection de l’anomalie morphologique de l’onde T chez les parents suspects de SQTL. La survenue des symptômes dépend de l’âge, du sexe, de la durée du QTc et du génotype. L’âge du premier événement clinique est plus précoce chez les garçons que chez les filles, mais après 15 ans, les femmes restent plus symptomatiques. Selon Priori et coll., la stratification du risque de premier événement cardiaque avant l’âge de 40 ans, montre que les patients à plus haut risque (> 50 %) sont les patients de sexe masculin LQT3, puis les LQT1, LQT2, dont la durée du QTc est > 500 ms. Une fois le diagnostic posé chez l’enfant, la fratrie et les parents du propositus seront vus en consultation multidisciplinaire pour reprendre l’anamnèse de chacun, effectuer un ECG, complété au moindre doute par un Holter. Le SQTL étant une maladie autosomique dominante, la moitié des apparentés de chaque famille peut être atteinte de SQTL. Lors de la consultation multidisciplinaire, le propositus et les membres de la famille seront prélevés pour une analyse de l’ADN après recueil écrit du consentement éclairé. Les bêtabloquants constituent le traitement de référence de la prévention des torsades de pointe ; ils doivent être prescrits à tous les patients symptomatiques. Ce traitement s’adresse avant tout aux patients LQT1, certains patients LQT2 ; il est probablement peu adapté aux patients LQT3. Le défibrillateur automatique implantable (DAI) est indiqué dans les formes qui échappent au traitement bêtabloquant et probablement dans les formes LQT3. Dans l’avenir, il existera probablement des indications plus précises, gène-spécifiques, et en particulier pour les formes dépendant du mode de déclenchement de l’événement cardiaque. La difficulté majeure reste encore la prévention du risque de mort subite pour un individu présymptomatique et génétiquement atteint. Actuellement, dans la mesure où il existe un traitement préventif efficace et bien toléré, les patients génétiquement atteints, lorsqu’ils sont repérés, doivent être traités préventivement par bêtabloquants. ● La tachycardie ventriculaire catécholergique (TVC) est l’autre grande canalopathie responsable de syncopes d’effort. Elle est caractérisée par des arythmies ventriculaires polymorphes de déclenchement adrénergique ; elles surviennent essentiellement chez des enfants et des adolescents et sont responsables de syncopes, voire de mort subite, en l’absence de toute anomalie morphologique cardiaque. L’ECG de repos enregistré en dehors des épisodes de tachycardie ventriculaire est souvent normal. La mortalité des TVC en l’absence de traitement est très élevée, atteignant 30 à 50 % avant l’âge de 30 ans. Il existe une corrélation entre l’âge de survenue de la première syncope et la sévérité de l’anomalie, avec un pronostic très péjoratif lorsque les pertes de connaissance surviennent très jeunes. Les bêtabloquants réduisent de façon significative les syncopes et les morts subites, rendant rare l’implantation de défibrillateur implantable. Ce syndrome est caractérisé par des tachycardies polymorphes survenant chez des enfants ou adolescents en l’absence de toute anomalie cardiaque. Elles se produisent dans des circonstances particulières, lors des efforts violents ou dans un contexte émotionnel. L’ECG de repos montre dans la moitié des cas une bradycardie sinusale, < 60/min, inhabituelle chez l’enfant, et un intervalle QT le plus souvent normal. Le Holter, mais surtout l’épreuve d’effort, permet de faire le diagnostic ; le trouble du rythme apparaît comme une séquence caractéristique et stéréotypée au cours de l’effort (figure 1) : tachycardie sinusale, puis rythme jonctionnel actif, apparition d’extrasystoles ventriculaires, avec une fréquence seuil qui est en général aux alentours de 130-135/min (tout d’abord monomorphes et isolées, les ESV deviennent polymorphes, le plus souvent à type de retard droit et d’axe variable répétitif) ; enfin, aspect de TV bidirectionnelles puis polymorphes ressemblant à des torsades de pointe. Le retour en rythme sinusal se fait à l’arrêt de l’effort, souvent selon une séquence inverse, avec parfois des passages transitoires en tachycardie atriale. L’analyse génétique des TVC a permis de mettre en cause une mutation transmise de façon autosomique dominante dans le récepteur ryanodine type 2 (RYR2). Ce récepteur cardiaque a des canaux calciques impliqués dans le relargage du calcium situé dans le réticulum sarcoplasmique des cardiomyocytes. Un autre gène, CASQ2, a été identifié. Le traitement de première intention est la mise sous bêtabloquant, qui permet de transformer le pronostic de cette maladie. Les posologies utilisées dans la prévention des syncopes d’effort chez les patients TVC sont plus élevées, souvent le double de celles utilisées dans le SQTL. La posologie est augmentée jusqu’à obtention de la suppression des phénomènes répétitifs ; l’efficacité doit être vérifiée par une épreuve d’effort de contrôle sous traitement vérifiant l’absence de phénomène répétitif grave à l’effort. Néanmoins, il est probable que l’indication de défibrillateur implantable chez l’adolescent ou le jeune adulte avec TVC incomplètement contrôlées par une posologie de bêtabloquants soit plus largement envisagée dans l’avenir. Figure 1. Épreuve d’effort réalisée chez une enfant de 10 ans adressée pour syncope lors de la course. Il existe des salves ventriculaires polymorphes sur fond de rythme sinusal à 150/min. ● Le syndrome du QT court est une entité relativement récente avec un intervalle QTc ≤ 300 ms, un risque élevé de syncope ou de mort subite par arythmie ventriculaire maligne. Le QTc court est parfois associé à une fibrillation auriculaire de survenue précoce. Sur le plan génétique, il s’agit de mutations dans les gènes HERG, KCNQ1 ou KCNJ2. Le seul traitement préventif de la mort subite est à l’heure actuelle l’implantation d’un défibrillateur cardiaque. ● Le syndrome de Brugada touche essentiellement l’homme vers l’âge de 40 ans, et les formes à révélation pédiatrique sont extrêmement rares, se manifestant le plus souvent par des arrêts cardiaques ou des morts subites dans un contexte fébrile. L’aspect ECG, parfois intermittent, peut être démasqué par un test pharmacologique consistant en l’injection d’un bloqueur des canaux sodiques. L’aspect génétique a été confirmé par l’identification d’une mutation dans le gène SCN5A codant pour un canal sodique cardiaque, mais présente dans seulement 20 % des cas. Bilan d’une série française Nous avons rapporté récemment une série de plus de 100 patients, dont 50 propositus et 51 apparentés familiaux, avec un suivi de 8 ans. Dans cette série rétrospective, 60 % des patients étaient symptomatiques avant le diagnostic, en particulier tous les probants. Les patients étaient symptomatiques avant l’âge de 20 ans dans 93 % des cas, tous étaient symptomatiques à l’exercice. Le délai entre la première syncope et le diagnostic était de 2 ans et demi, d’où l’importance de faire un bilan le plus complet possible face à une syncope d’effort chez un enfant ou un adolescent. Les facteurs de risque d’événement cardiaque au diagnostic sont l’âge jeune du patient et l’absence de traitement par bêtabloquants. Les facteurs de risque d’événement cardiaque durant le suivi sont l’absence de bêtabloquants et un antécédent de mort subite dans la famille. Dernier élément important de cette série française, l’absence de différence entre les propositus et les membres de la famille en ce qui concerne la survenue d’événements cardiaques. L’enquête génétique prend là toute son importance, et la prise en charge qui en découle implique une surveillance rapprochée et la mise en route d’un traitement, même chez les sujets asymptomatiques et porteurs d’une mutation.
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