Publié le 29 jan 2025Lecture 10 min
SFMP 2024 : interdisciplinarité et citoyenneté - Morts fœtales : chiffres et recommandations du CNGOF
Laura BOURGAULT, d’après les communications de M. Creutz-Leroy*, L. Bennet** et M. Dap***
Quels sont les chiffres de la mortalité périnatale en France ? Que disent les recommandations du CNGOF concernant la prise en charge des morts fœtales ? Pédiatrie Pratique fait le point en se basant sur le propos des experts présents lors du congrès de la SFMP.
Par quels procédés améliorer les connaissances sur les causes de la mortalité périnatale ? Quelles approches privilégier pour améliorer la qualité du codage des cas de mortalité périnatale à terme ? Comment évaluer les moyens nécessaires au sein des DSRP (dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité) ? Telles sont les questions que se sont posées les experts de la Mission exploratoire autour de la mortalité périnatale(1), avec l’objectif d'améliorer les résultats insatisfaisants de la France. Ce travail a été initié début 2024 pour une durée de 18 mois en France. Dans l’hexagone, ces indicateurs restent mauvais alors que l’incidence de cette même mortalité périnatale diminue à l’échelle européenne (données rapport Euro-Peristat, 28 pays à l’étude entre 2015 et 2019).
Mortalité périnatale, néonatale et néonatale précoce
Si l’on prend en compte la mortinatalité, la France se situe au 20e rang sur 28 pays d’Europe. Ces décès concernaient 8,5 pour 1 000 naissances totales en 2019. Pour sa part, la mortalité périnatale est composée à la fois de :
– la mortinatalité : les décès in utero (avant l’accouchement) ou en perpartum à partir de 22 SA et les poids de naissance ≤ 500 g ;
– la mortalité néonatale qui concerne les décès entre 0 et 27 jours de vie, et la mortalité néonatale précoce correspond à ceux survenus dans les 7 premiers jours de vie.
La mortalité néonatale, elle, désigne tous les décès survenus dans les 27 premiers jours de vie de l’enfant. La mortalité néonatale précoce se réfère quant à elle aux décès survenus dans les 7 premiers jours de vie. En France, toujours en 2019, l’incidence de cette mortalité néonatale dite concernait 1,7 cas pour 1 000 naissances vivantes.
RMM et grille ALARM
Pour mener à bien cette mission exploratoire autour de la mortalité périnatale, il a fallu créer des outils d’évaluation, acculturer les professionnels des DSRP et les cliniciens au sein des établissements à cette démarche qualité, assurer les besoins organisationnels et matériels.
Quelle méthodologie a été choisie ? Celle des RMM (revue de mortalité et morbidité) et de la grille ALARM de la Haute Autorité de santé (HAS), qui permet de classer les causes des événements indésirables en 7 catégories : contexte institutionnel, organisation/management, environnement de travail, tâches à accomplir, équipe, individu (soignant), patient.
Ont été précisément pris en compte tous les décès périnataux à terme, à partir de 36 SA, les décès in utero, ceux associés à la mortalité néonatale précoce dans les 5 premiers jours de vie avec ou sans soins palliatifs, et les IMG.
Les déclarations prospectives des cas ont été effectuées sur l’année 2024. Les établissements référents se sont saisis de cette mission de déclaration des cas aux DSRP sur la base du volontariat. Une fiche spécifique a permis de renseigner le type de décès, les coordonnées, la date, l’établissement et les professionnels conviés pour l’analyse et le suivi en ville.
Ont été impliqués dans ce projet les coordonnateurs des DSRP, tous les établissements de santé, les professionnels de la périnatalité hospitaliers, libéraux, PMI, DMI, Samu-Smur. Les territoires volontaires sont le Grand-Est, l’Ile-deFrance et l’Ile de la Réunion, représentant 18,5 % des naissances répertoriés en 2022 à travers la France métropolitaine et l'Outre-mer.
Des RMM courtes et optimisées
Les premiers résultats montrent sur les données du 1er semestre 2024 (1er janvier au 30 juin 2024), que les territoires concernés ont couvert 24 % de la totalité des cas de décès périnataux à terme, si l’on se réfère au PMSI pour l’ensemble de la France.
Les données ont été rapportées sur 59 cas (42 % des cas déclarés). À noter que 29 cas ont été exclus (naissances hors territoires des DSRP impliqués, RMM non retenues faute d’intérêt majeur validé par les équipes de soins). Un nombre important de syndromes polymalformatifs a été relevé. « Et autant de situations dans lesquelles le décès était plutôt attendu, sans qu’il y ait systématiquement de codage pour les soins palliatifs, même s’il y a une plusvalue à le faire sur le plan de la précision », poursuit M. Creutz-Leroy. Le délai moyen entre la survenue du cas et son analyse est de 89 jours, « en phase avec les recommandations de la HAS ».
60 % des décès postnataux liés à des dysfonctionnements
Les chiffres corroborent les estimations attendues avec 78 % de morts fœtales (incluant les décès perpartum), 17 % de décès néonataux et 5 % d’IMG à terme.
Les équipes impliquées étaient présentes dans 86 % des cas, avec un gynécologue systématiquement, les sages-femmes référentes l’étaient dans 78 % des cas, contre 23 % pour les anesthésistes.
Soixante pour cent des décès postnataux et 36 % des morts fœtales ont été associés à des dysfonctionnements. Ce qui ressort le plus comme cause majeure : les facteurs liés à l’environnement de travail comme les défauts de communication, les situations de vulnérabilité et de manque d‘observance des patientes, les barrières linguistiques, les défauts de protocole, d’expérience et de compétences, ainsi que le non-respect des recommandations et les défauts de matériel.
Autre chiffre à consolider, qui ressort également dans d’autres travaux : 63 % des cas sont associés à un ou plusieurs dysfonctionnements sur des heures non ouvrées pendant lesquelles l’organisation et la continuité des soins diffèrent.
Les nouvelles recommandations par le fœtopathologiste
En lien avec la prévention des morts fœtales, M. Dap a contribué à la rédaction des dernières recommandations « Mort fœtale : consensus formalisé d’experts du Collège national des gynécologues et obstétriciens »(2). Ce travail comporte plusieurs sujets, notamment les points de définition, d’épidémiologie et de diagnostic, et aborde la question de la prévention de la mort fœtale en population générale. Qu’en retenir ?
Quid des facteurs de risque de mort fœtale, modifiables ou non ? L’âge maternel à partir de 35, 40 et 45 ans, l’IMC, le niveau socio-économique, l’ethnicité, les antécédents de mort fœtale, les antécédents de césarienne, la parité, le tabac (avec un effet-dose), la nulliparité, les troubles hypertensifs, les grossesses par FIV/ICSI, le diabète, la cholestase gravidique, l’endométriose, le lupus érythémateux disséminé, le SAPL (syndrome des antiphospholipides). En lien avec les dernières RCP de 2014, l’objectif est d’être en mesure de délivrer des bilans et de proposer une prise en charge aux patientes lorsqu’un décès survient dans la zone dite « grise » entre 14 et 22 SA. Raison pour laquelle la mort fœtale est ici définie par l’arrêt spontané de l’arrêt de l’activité cardiaque du fœtus à partir de 14 SA. En dehors d’un retard de croissance, il n’y a pas d’indication particulière pour un Doppler ombilical systématique. Tout comme le déclenchement systématique des femmes à 39 SA en prévention du seul risque de mort fœtale, les données de la littérature sont aujourd’hui insuffisantes en nombre et en qualité pour se prononcer en faveur d’une recommandation en prévention de la mort fœtale. Il est par ailleurs recommandé de ne pas :
– réaliser la recherche systématique de circulaire du cordon afin d’éviter des césariennes inutiles et autres conséquences iatrogènes pour la femme ;
– réaliser de surveillance antepartum systématique par cardiotocographie dont le seul but serait de réduire le risque de mort fœtale.
Concernant le compte des mouvements fœtaux, il n’existe pas de niveau de preuve selon lesquelles il faudrait encourager les patientes à compter les mouvements fœtaux.
Nouvelles recommandations concernant le bilan maternel
Après une mort fœtale, le bilan maternel comprend :
– une hémostase en cas d’hématome rétroplacentaire, de pathologie hypertensive ou de sepsis pour rechercher une CIVD (coagulation intravasculaire disséminée) ;
– un interrogatoire systématique, malgré la difficulté à le mener après l’annonce d’une mort fœtale ;
– une échographie fœtale pour évaluer les critères de présentation fœtale, de quantité de liquide amniotique, de localisation placentaire et de recherche d’un hématome rétroplacentaire.
Un bilan infectieux doit être établi (sérologie CMV, parvovirus B19, prélèvement vaginal à visée bactériologique). Si les sérologies sont négatives, le risque de toxoplasmose et de syphilis doivent être évalués. La TSH et la thyroxine sont à doser en cas de dysthyroïdie clinique, une glycémie à jeun ou une HbA1C en cas d’obésité, de macrosomie et de symptôme évocateur de diabète, ainsi que les acides biliaires dans les diagnostics de prurit.
Nouvelles recommandations concernant le bilan fœtal génétique
Un bilan génétique complet est désormais recommandé, par analyse chromosomique par puce à ADN (ACPA). Il est proposé de privilégier un prélèvement postnatal à visée génétique sur la face fœtale placentaire. Cet examen consistant à décoller l’amnios, séparer le chorion des villosités et prélever ces villosités. Il sera réalisé dans l’idéal le plus rapidement possible après l’accouchement, sans conservation dans le formol. Au mieux également, cet examen doit être réalisé par un médecin fœtopathologiste, voire un professionnel de la salle de naissance s’il n’y a pas de médecin fœtopathologiste ou si le couple ne souhaite pas d’examen fœtopathologiste.
En cas de doute sur le sexe fœtal, il est proposé de ne pas le faire figurer sur l’acte de naissance et d’attendre le résultat de l’examen fœtopathologique ou génétique s’ils sont réalisés.
Enfin, il est recommandé de réaliser un examen fœtopathologique et un examen anatomopathologique, pour se prononcer sur les causes de la mort fœtale, évaluer les risques de récurrence, et pour se situer dans la classification des morts fœtales parmi la quarantaine de causes répertoriées. Rendez-vous essentiel pour permettre aux couples de commencer leur processus de deuil, une consultation de synthèse doit également être préparée en amont en mettant tous les acteurs autour de la table (médecins, sages-femmes, etc.). Cette dernière doit être menée dans l’objectif :
– d’évaluer l’état physique et psychologique des parents ;
– de restituer les résultats des bilans prescrits ;
– de discuter la cause de la mort fœtale ;
– d’informer de la surveillance pour une future grossesse (risque de récurrence et prise en charge, etc.).
Nouvelles recommandations concernant la prise en charge en postpartum
La prescription de cabergoline est recommandée afin d’éviter une montée de lait, quel que soit l’âge gestationnel de la mort fœtale, en évoquant les effets secondaires de ce traitement avec la patiente. L’hospitalisation de courte durée doit être établie dans les suites de l’accouchement, au cas par cas selon les besoins, les risques ou la survenue de complications maternelles.
Avant la sortie, un délai doit être donné à la patiente concernant la consultation de synthèse postpartum à venir, qui devra être effectué le plus rapidement possible.
Un congé de repos doit pouvoir être proposé aux parents, en sachant que les droits aux congés maternité et paternité s’enclenchent pour des décès fœtaux survenus après 22 SA au jour de l’accouchement (ou pour un poids fœtal ≥ 500 g).
Après la sortie de l’hôpital, une consultation postnatale précoce pourra être mis en place, notamment pour évaluer l’état psychologique de la femme.
Formation à l’annonce et traces mémorielles
D’autres points essentiels figurent dans ces recommandations.
Le choix doit être laissé aux patients de voir ou non le fœtus, de rencontrer leur bébé.
Concernant l’annonce de morts fœtales, les métaphores doivent être évitées tant la situation de choc dans laquelle les parents sont plongés peut diminuer le discernement. Cette annonce doit être faite en utilisant des mots simples, sans ambiguïté, donc en évitant les mots laissant une place au doute, et également les termes techniques. Dans les nouvelles recommandations, nous conseillons aux professionnels de se former à l’annonce d’une mauvaise nouvelle en périnatalité. Le recueil de traces mémorielles doit pouvoir être proposé, en fonction des cultures et religions bien sûr (photos, empreintes, bracelets de naissance).
Quelles prise en charge en cas d’antécédent de mort fœtale ?
Chez une femme ayant pour antécédent une mort fœtale, les nouvelles recommandations prévoient :
– de rechercher tous les éléments (cliniques, biologiques, échographiques, écologiques, histopathologiques) pour orienter la cause de la mort fœtale et proposer une prise en charge adaptée ;
– de proposer systématiquement un suivi psychologique ;
– d’initier le suivi de la grossesse par un(e) gynécologue-obstétricien(ne), avec des modalités et une fréquence de surveillance en fonction du contexte et de la cause de la mort fœtale ;
– de ne pas systématiser l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal du seul fait de l’antécédent de la mort fœtale ;
– de ne pas proposer systématiquement le déclenchement, même si cela se fait en pratique et que ce dernier reste possible en fonction du contexte et en cas de demande parentale. L’âge gestationnel sera discuté en tenant compte des bénéfices et des risques, notamment avant 39 SA. En cas de cause de mort fœtale identifiée, la prise en charge sera adaptée au cas par cas.
Afin de diminuer la morbidité périnatale, il est également recommandé :
– de prescrire de l’aspirine à faible dose en cas de mort fœtale d’origine vasculaire afin de diminuer la morbidité périnatale ;
– de ne pas administrer un traitement par aspirine associé à une héparinothérapie en comparaison à l’aspirine seule, en cas de mort fœtale toujours d’origine vasculaire ;
– d’associer un traitement par aspirine à une héparinothérapie en cas d’antécédent de mort fœtale et de syndrome des antiphospholipides.
* médecin de santé publique et présidente de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP)
** coordinatrice administrative de la FFRSP
*** fœtopathologiste et gynécologueobstétricien au CHRU de Nancy
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