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Néonatologie

Publié le 29 jan 2025Lecture 9 min

SFMP 2024 : interdisciplinarité et citoyenneté - Dépistage systématique du CMV : au cœur de la controverse

Laura BOURGAULT, Nantes, d’après les communications de Y. Villes, gynécologue obstétricien, Paris et de V. Tsatsaris, gynécologue obstétricien, Paris

Aucun pays n’a aujourd’hui mis en place de dépistage systématique de l’infection à cytomégalovirus (CMV) au cours de la grossesse. En France, ce sujet continue de prêter à discussion. Les arguments en faveur de cette stratégie et les oppositions ont été étayés par Yves Ville (Paris) et Vassilis Tsatsaris (Paris), gynécologues obstétriciens.

Survenant dans 0,39 % des grossesses, l’infection à cytomégalovirus (CMV) ne présente pas de risque et reste souvent asymptomatique lorsqu’elle est contractée après la naissance. À l’inverse, une contamination in utero induit un risque de symptômes, rares, mais potentiellement graves sur le fœtus et l’enfant à naître. Dans le détail, le risque de complications associées à une infection à CMV d’origine maternofœtale survient dans 15 à 18 % des décès in utero, périnataux et néonataux. Au total, 90 % des fœtus infectés restent asymptomatiques à la naissance. Ces enfants pourront cependant développer des anomalies et séquelles tardives sur le plan neurosensoriel. Le taux de séquelles infantiles est estimé à 0,08 % en Europe, avec 50 % des cas associés à une primo-infection maternelle et 50 % survenant dans le cadre d’une infection secondaire. Autre donnée d’intérêt, en cas d’infection à CMV d’origine maternofœtale, le risque de troubles neurocognitifs, parmi lesquels une déficience intellectuelle grave ou modérée, est de 5 à 15 % et de 12 % pour ce qui concerne les atteintes auditives. Les cas de déficience visuelle sont plus rares. Actuellement, aucun pays ne recommande le recours au dépistage généralisé auprès de la femme enceinte. En France, cette thématique reste toutefois un sujet de discorde. Le 4 février 2024, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a d'ailleurs actualisé son avis de 2018 en privilégiant la prévention, à savoir le recours aux gestes d’hygiène auprès des jeunes enfants, sans envisager le dépistage. C’est sur cette question que se sont opposés les experts.   Dépister le CMV pour éviter de potentielles graves séquelles chez l’enfant à naître   Selon Yves Villes, un dépistage systématique des primo-infections maternelles, basé sur une ou deux sérologies chez toutes les femmes enceintes en début de grossesse, a toute sa place pour limiter les conséquences d’une infection fœtale. Il s’agit en effet de la seule infection congénitale dont la prévalence et la gravité n’ont pas changé depuis 60 ans, alors que celle de la toxoplasmose a diminué de 90 % en 20 ans et que la rubéole a disparu de notre pays.   Valeur et indication de la sérologie au 1er trimestre   La validité de la sérologie CMV a été reconnue en 2004 mais aujourd’hui il n’est plus raisonnable de fonder le diagnostic sur ce seul critère ou sur la positivité de la PCR sur le liquide amniotique. Depuis 7 ou 8 ans, nous savons en effet que la transmission de ce virus commence possiblement avec une infection maternelle 2 mois avant la conception et que ce risque augmente avec le terme pour atteindre 65 % en fin de grossesse. Mais ce que l’on sait également, c’est qu’au regard du risque de séquelles chez l’enfant, qu’il s’agisse de déficit de l’oreille interne ou, a fortiori, de déficit neurologique, celui-ci n’existe qu’en cas d’infection maternelle, primaire dans 50 % des cas, contractée au 1er trimestre de la grossesse. Nous parlons donc d’une embryopathie comme l’était la rubéole auparavant, sauf qu’aujourd’hui nous ne disposons toujours pas de vaccins contre le CMV. Sur une sérologie avant 14 semaines, seront donc recherchés une positivité des IgG, des IgM et une avidité des IgG qui ne soit pas intermédiaire : c’est une équation à 3 paramètres. Sur le plan des données chiffrées, la moitié des infections néonatales surviennent auprès de femmes immunisées, pré-immunes au moment de leur grossesse. C’est vrai en termes de fréquence, mais nous savons qu’à l’échelle individuelle, deux études, l’une française et l’autre italienne, ont montré que le risque de handicap séquellaire était 4 fois plus important en cas de primo-infection. À qui doit s’appliquer ce dépistage ? Ce dernier devrait s’adresser aux femmes séronégatives. Or, comment savoir si cette femme est séronégative si aucune sérologie n’est faite ? Ce qui est demandé c’est de donner les moyens d’identifier les femmes à risque en effectuant une sérologie au 1er trimestre. Peut-on dresser un portrait-robot de la femme qui va s’infecter ? Il s’agit d’une femme séronégative lors de son premier accouchement, contaminée par son enfant gardé en crèche. Son risque de contracter le CMV est de 10 % au 1er trimestre. Qu’en est-il des infections non primaires ? Il s’agit souvent de femmes nées hors de France dans des conditions de vie qui les exposent plus particulièrement à une infection à CMV. Nous entendons souvent l’argument de la complexité de la mise en place du dépistage organisé. Or aujourd’hui, en obstétrique, beaucoup trop de femmes reçoivent un DPNI (dépistage prénatal non invasif) pour la recherche d’une trisomie 21 sans que 90 % des prescripteurs ne soient capables de l’expliquer, et cela ne gêne personne. La sérologie CMV, elle, concerne 0,9 % de la population exposée à une embryopathie potentielle. Répondre au risque est ensuite une question de choix et d’organisation. Le dépistage universel se base sur le test, l’information de la patiente et un parcours de soin. Le fait de le proposer, et non de l’imposer, implique la mise en place de parcours de soins afin de pouvoir rassurer la mère à 16 SA, sachant que la sérologie de CMV est bien plus facile à interpréter que la sérologie de syphilis par exemple. Identifier les mères à risque le plus précocement possible permet de mettre en œuvre une intervention thérapeutique possiblement efficace.   Aucun argument en faveur d’un dépistage automatique du CMV   Certes, en cas d’infection à CMV contractée in utero, les séquelles restent potentiellement graves à l’échelle individuelle (séquelles neurosensorielles, RCIU sévères, IMG, décès périnataux). Les modalités consistent à proposer un test dépistage à CMV pour dépister les primo-infections maternelles précoces préconceptionnelles du 1er trimestre de la grossesse, afin de débuter, le cas échéant, le traitement préventif par valaciclovir le plus précocement possible. Reste que l’incidence du CMV rapportée à la population générale ne justifie pas la systématisation du dépistage, selon Vassilis Tsatsaris. Autre donnée allant à l’encontre d’un dépistage systématique : l’absence de traitement efficace indiqué chez les enfants nés d’une mère en primo-infection à CMV interroge sur la pertinence de ces sérologies auprès de toutes les femmes enceintes.   Un niveau de preuves insuffisant   En ce sens, l’actualisation de l’avis du HCSP de 2024 recommande de ne pas implémenter ce dépistage en population générale, en se basant sur les résultats d’une étude(1) israélienne menée sur l’efficacité du valaciclovir vs placebo auprès des femmes présentant une primo-infection à CMV précoce. Les auteurs de ce travail, l’équipe du Pr Keren Shahar-Nissan (département de pédiatrie du Schneider Children’s Medical Center, Faculté de médecine, Université de Tel-Aviv)(1), se sont précisément basés sur les données internationales recueillies auprès de femmes inclues entre 2015 et 2018. Cet essai randomisé évaluant l’effet de 8 g x 2/j de valaciclovir par jour (n = 45) vs placebo (n = 45) laissait apparaître un point important : le valaciclovir s’avère efficace en diminuant le risque de transmission maternofœtale du CMV s’il est administré en post-primo-infection du 1er trimestre de la grossesse. Selon ce travail, ce risque diminue de 70 %, et de 60 % celui des infections symptomatiques liées au CMV. Mais certains biais méthodologiques viennent limiter la portée de ces résultats. Les 2 cas non inclus l’ont été faute d’observance alors que le calcul en intention de traiter devrait les intégrer. Trois interruptions médicales de grossesse (IMG) pour séroconversion CMV avant amniocentèse ont également été exclues. Autre élément discutable : les grossesses gémellaires ont été prises en compte, or la probabilité de transmettre le CMV aux deux fœtus est plus importante que la contamination d’un seul, ce qui biaise aussi les résultats en augmentant le nombre d’infections à CMV. La façon de traiter les IMG pour évaluer l’impact sur le développement neurologique de l’enfant est également discutable : ont été exclues les IMG sans lien avec le CMV et les PCR positives sans atteinte fœtale caractéristique. Inévitablement, le dénominateur du groupe placebo est réduit, ce qui amène à surestimer les cas sous valaciclovir. Ainsi, selon Vassilis Tsatsaris : – le niveau de preuves est considéré comme faible et cet effet n’est pas significatif dans le cadre des infections périconceptionnelles ; – aucune efficacité significative n’est rapportée contre les infections fœtales et congénitales ni sur les anomalies fœtales après infection pendant la vie intra-utérine ; – les travaux publiés à ce jour – études observationnelles et métaanalyses – ne concluent pas sur une efficacité du valaciclovir dans le traitement de la primo-infection maternelle du 1er trimestre, ayant pour objectif de limiter l’étendue des séquelles de l’infection à long terme. Il faut bien avoir en tête que la question du dépistage systématique se pose parce qu’il existe un traitement, le valaciclovir, qui n’est pas un traitement optimal. Un autre critère important ne plaide pas en faveur du dépistage systématique. Il existe très peu de données de sécurité sur le valaciclovir pendant la grossesse (notamment au 1er trimestre) et à plus long terme pour les dosages > 1 g. Même s’il n’y a pas à ce jour de signal alarmant, un registre de suivi des enfants exposés à de fortes doses de valaciclovir in utero aurait toute sa place, d’autant qu’une neurotoxicité a été rapportée. Or tout dépistage systématique doit pouvoir être suivi d’une proposition thérapeutique efficiente et sécurisée. En termes d’incidence globale des cas et des séquelles, l’infection congénitale à CMV ne constitue donc pas un problème de santé publique. Il existe par ailleurs un risque d’anxiété potentiel lié au dépistage à prendre en compte, avec un recours accru des femmes à l’IMG. Sans compter les effets d’un parcours potentiellement iatrogène. Dans le cadre d’une infection à CMV maternofœtale, l’efficacité des traitements indiqués doit avoir été démontrée. De la même manière, la balance bénéfices/risques comparée au protocole en vigueur et l’acceptation du programme de dépistage doivent être validées auprès des femmes autant que par les professionnels de santé. Les tests doivent s’avérer fiables et, au regard du rapport coût-efficacité, toutes les mesures de prévention primaire doivent avoir été déployées avant de recourir au dépistage systématique.   Quelles autres solutions existent pour améliorer le repérage des infections à CMV, au-delà du recours au dépistage systématique ?   • Poursuivre le travail de recherche mené pour renforcer la prévention des primo-infections à CMV chez les femmes enceintes et améliorer la connaissance des infections congénitales, notamment des séquelles lorsque le CMV est réactivé au cours de la grossesse • Mener des études sur les effets indésirables associés au valaciclovir à forte dose dans le cadre d’une primo-infection à CMV pendant la grossesse.   Conclusion   • Des anomalies postinfection à CMV in utero peuvent survenir tardivement après la naissance et fragiliser la sphère neurosensorielle de l’enfant. • Dans 15 à 18 % des décès in utero, périnataux, néonataux, une infection à CMV est diagnostiquée. • Pour certains, l’impact des infections à CMV n’est pas significatif à l’échelle globale pour justifier d’un dépistage systématique. • L’efficacité d’une intervention dans le cadre d’une infection à CMV maternofœtale pour protéger l’enfant à naître tient à sa précocité au décours de la grossesse. Or l’identification précoce des femmes à risque peut rester un point de complexité. • Parmi les obstacles au dépistage systématique, le manque de connaissances sur les effets du valaciclovir prescrit à forte dose sur la santé fœtale est à prendre en compte. • À ce jour, il n’existe aucune étude ayant montré un bénéfice de l’implémentation d’un programme de dépistage du CMV en population.

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