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Allergologie - Immunologie

Publié le 10 nov 2022Lecture 8 min

Existe-t-il 10 intolérances au gluten ? Du rêve à la réalité et à la recherche

Olivier MOUTERDE, Gastroentérologue pédiatre, Ancien praticien hospitalier, CHU de Rouen, Ancien professeur agrégé, Université de Sherbrooke

Des millions d’êtres humains suivent un régime sans gluten, avec des conséquences financières et nutritionnelles non négligeables. L’immense majorité le fait sans avoir mené une démarche de diagnostic médical et sans être accompagnée par des conseils diététiques professionnels. Les motivations, justifiées ou imaginées, sont nombreuses : une dizaine peut être listée. Certaines n’ont aucune base réelle, d’autres sont justifiables, mais peuvent être liées soit au gluten lui-même, soit à des éléments accompagnant le gluten.

D'emblée, il faut distinguer les deux termes qui étaient équivalents historiquement : « intolérance au gluten », terme vague couvrant plusieurs situations, que l’on remplace maintenant par « troubles en relation avec le gluten » (gluten related disorders) ; « maladie cœliaque », entité bien identifiée de diagnostic codifié Situation 1 - « Je (ou mon enfant) ne souffre d’aucun symptôme, mais je crois que le gluten est néfaste pour la santé » Cette motivation, non soutenue par des données scientifiques, est la plus répandue : 20 % des habitants des États-Unis sont au régime sans gluten, dont 90 % sans raison autre que de suivre une mode, ou la croyance d’un effet favorable sur la santé ! Ces régimes seraient plus fréquents chez la femme, souvent associés à un régime sans lait, à la méfiance vis-à-vis de la médecine traditionnelle et la confiance dans les médecines alternatives. Les personnes concernées sont dans une situation singulière : ils croient à la toxicité du gluten et sont convaincus et soutenus en cela par de nombreuses publications grand public et sur les réseaux sociaux qui peuvent afficher des arguments paraissant convaincants, des témoignages, des mécanismes apparemment logiques. La recherche par le mot clé « sans gluten » sur un moteur de recherche a été multipliée par 8 et a devancé depuis le début des années 2000 les mots-clés « pauvre en sucre » et « pauvre en graisse ». Les recherches sur « maladie cœliaque » sont stables. À partir de là, le suivi d’un régime s’accompagne de coûts financiers, d’une vigilance absolue sur la lecture des étiquettes, d’un statut particulier dans la vie sociale. Toutes ces conséquences peuvent faire ressentir la situation comme positive et gêner un éventuel retour en arrière. Plus encore, les personnes satisfaites de leur décision et convaincues de son bien-fondé vont témoigner et participer à la diffusion de ces habitudes alimentaires. C’est le cas de nombre d’influenceurs, pas toujours désintéressés, car subventionnés par des firmes produisant des aliments sans gluten. Ils allèguent un effet bénéfice sur leur beauté, sur leur forme physique, voire leurs performances  sportives (une étude a montré que 50 % de 910 sportifs étaient au régime sans gluten), comme le clame un tennisman célèbre, etc. À noter que les 10-20 % de personnes, que nous citerons plus loin, ressentant un bénéfice objectif à l’arrêt empirique du gluten, vont aussi participer à cette « ambiance » anti-gluten. Situation 2 - L’effet placebo : « J’ai (ou mon enfant a) des symptômes qui s’améliorent avec le régime » Il est établi qu’il existe un effet placebo important pour les troubles fonctionnels intestinaux, en particulier chez l’enfant souffrant de douleurs abdominales fonctionnelles. Cet effet est évalué à 40 %, et ce même si le caractère placebo est annoncé. Il peut être effectif en cas de mise sous un régime restrictif, quel qu’il soit. Inéluctablement un certain nombre d’enfants mis au régime sans gluten sans explorations seraient d’authentiques maladies cœliaques (MC) ou des intolérances authentiques, mais la majorité auront cet effet placebo et les facteurs d’entretien cités précédemment. Ceci risque d’être le point de départ d’un régime indu, prolongé, non surveillé et potentiellement déséquilibré (risque d’excès de sucre, graisse, métaux lourds, défaut de fibres, folates, thiamine, vitamines A et B6, zinc, magnésium, calcium). Par ailleurs la mise au régime sans preuve risque de gêner un diagnostic ultérieur, par diminution progressive des anticorps spécifiques. Dans cette situation, l’intolérance aux FODMAPs est un diagnostic différentiel (voir situation 4). Situation 3 - L’allergie au blé : « Mon enfant a des symptômes lorsqu'il ingère du blé » Les symptômes lors de la prise de gluten, et leur amélioration lors de l’éviction ne sont pas toujours  dus au gluten lui-même. En cas de réactions digestives ou extra digestives suivant immédiatement l’ingestion d’aliments contenant du blé, la piste de l’allergie est à privilégier et à explorer (IgE anti-blé aliment) : la MC ne donne pas de manifestations immédiates, étant donné son mécanisme. Une forme particulière d’allergie au blé est à évoquer : le SEIPA (syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires), en cas de troubles digestifs sévères dans les heures suivant la prise de blé. Plus trompeur est le tableau d’allergie de type retardé au blé : il s’agit de réactions digestives avec douleurs abdominales, diarrhée, retard de croissance, difficile à distinguer d’une authentique maladie cœliaque. Devant ce tableau une recherche de MC s’impose. La recherche d’une allergie retardée au blé sera l’étape suivante en l’absence de MC. Situation 4 - L’intolérance aux FODMAPs : « Mon enfant a des symptômes digestifs qui s'améliorent sous régime sans gluten » L’arrêt du gluten implique l’éviction de certains FODMAPs (fermentescibles-oligo-di-monosaccharides et polyols) qui l’accompagnent, tout en en maintenant certains (maïs). Il s’agit de composés présents dans certaines céréales, légumineuses, fruits, légumes, le lait, etc. Ces substances peuvent être responsables de troubles digestifs fonctionnels à type de ballonnement, diarrhée, douleurs abdominales. Chez l’adulte et l’enfant, un régime pauvre en FODMAPs s’accompagnerait d’une amélioration des symptômes d’intestin irritable. Situation 5 - Les inhibiteurs de trypsine (IT) et les WGA (Wheat Germ Agllutinin) Il s’agit de substances associées au gluten, responsables d’une activation de l’immunité innée. Piste de recherche dans des cas atypiques, cette situation n’est pas à la base d’une conduite pratique précise hors l’éviction (voir situation 8). Situation 6 - La maladie cœliaque Nous entrons (enfin !) dans le groupe des vraies intolérances au gluten lui-même… La MC est une maladie individualisée dans ses symptômes (très variés), ses mécanismes et sa stratégie diagnostique et thérapeutique sont bien établis. Sa description détaillée sort du cadre de ce texte. En bref, la conduite à tenir est la suivante : dosage des IgA totales et antitransglutaminase (TGA) en première intention, diagnostic assuré si IgA TGA > 10N. Biopsie si TGA positifs, mais < 10N, sérologie IgG si déficit en IgA. En cas de diagnostic positif, régime strict sans blé orge et seigle. La stratégie ne doit jamais faire appel à un régime d’épreuve, dont cet article souligne par ailleurs les effets potentiels et les risques. Situation 7 - La maladie cœliaque a minima Il s’agit d’une affaire de spécialistes, après un bilan approfondi : certains patients HLA compatibles (HLA DQ2 ou DQ8) ont une simple augmentation des lymphocytes intra-épithéliaux (LIE), avec présence d’anticorps spécifiques dans la muqueuse intestinale, mais non dans le sérum. Il peut s’agir d’une maladie a minima (certains facteurs génétiques semblent moduler l’expression de la maladie), ou de MC en devenir. Cette situation ne se conçoit que lorsque le tableau clinique a amené à réaliser une biopsie. Elle peut être difficile à distinguer de la situation suivante. Situation 8 - L’hypersensibilité au gluten non cœliaque (HSGNC) « Symptômes digestifs ou extradigestifs survenant quelques heures ou jours après ingestion de gluten, s’améliorant rapidement après éviction et rechutant après réintroduction », avec bilan standard de MC négatif, et dans l’idéal, bilan d’allergie retardée au blé mené à bien (figure). Figure. Le panorama des intolérances au gluten. TFI : troubles fonctionnels intestinaux (intestin irritable et douleurs abdominales fonctionnelles), MC : maladie cœliaque, HSGNC : hypersensibilité au gluten non cœliaque, FODMAPs : fermentescible oligo-di-monosaccharides et polyols, I : immédiate, R : retardé, TCC : thérapie cognitive et comportementale, WGA : wheat germ agglutinins. Certains auteurs plaident pour remplacer ce terme par « syndrome d’intolérance au blé ». Certains auteurs plaident pour remplacer ce terme par « syndrome d’intolérance au blé ». Il s’agit d’une entité encore mystérieuse, qui serait pour certains une « entité parapluie » recouvrant différentes situations, dont les WGA et IT cités ci-dessus ainsi que la MC a minima. La prévalence serait supérieure (2 à 3 fois ?) à celle de la MC, mais difficile à établir du fait de nombreux autodiagnostics. Elle serait responsable de troubles digestifs (plus prévalents chez l’enfant) et extradigestifs parfois subjectifs (fatigue, céphalées, anémie, anxiété, rash, fourmillement des extrémités, arthralgies, fibromyalgies, troubles neuropsychiatriques et signes de côlon irritable, etc.). La coexistence de pathologies auto-immunes serait moins fréquente que dans la MC, mais non nulle, et il n’existerait pas de malabsorption ni de risque de cancer chez l’adulte. Le mécanisme est obscur, certaines études ayant montré, outre une plus forte prévalence des groupes HLA à risque et l’activation immunitaire par les WGA et IT, une augmentation de perméabilité intestinale, une modification du microbiome, des anticorps atypiques (IgG2 et 4, IgA antigliadine), des ARNm spécifiques et une augmentation des LIE in situ, etc. Il n’existe pas de critères biologiques diagnostiques actuels, mais des protocoles cliniques non totalement convaincants (effets rarement reproduits en double aveugle), d’évictions de réintroduction complexes et prolongées, en ouvert puis en double aveugle. La prise en charge reposerait sur l’éviction du blé seul, de façon moins stricte que pour la MC, et la diminution des FODMAPs (chevauchement de fait de ce concept avec les troubles fonctionnels intestinaux et l’effet des FODMAPs). Cette entité est l’objet de recherche et peut être laissée en dernière intention aux spécialistes pour le diagnostic et la prise en charge. Situations 9 et 10 - Glyphosate et autres pistes Le glyphosate a été accusé de favoriser la maladie cœliaque et de causer l’HSGNC, comme certains additifs et colorants, par le biais de modifications de la flore et de la perméabilité intestinales. Il n’y a pas à l’heure actuelle de données scientifiques probantes. Certaines publications et mouvances ont pu prétendre faire des diagnostics d’intolérance au gluten atypique par des tests d’intérêt non validé (peptides, opioïdes urinaires, dérivés du gluten et de la caséine), et améliorer des enfants autistes par des régimes stricts plus ou moins associés à des compléments alimentaires, des traitements d’une dysbiose alléguée et la lutte contre les métaux lourds, etc. Il n’y a pas de preuves scientifiques probantes actuelles en faveur de ces théories, qui peuvent malheureusement séduire certains parents en détresse. Conclusion Les troubles potentiellement en relation avec le gluten sont divers, et l’indication d’un régime sans gluten, coûteux et potentiellement déséquilibré doit être bien pesée. La maladie cœliaque est à part, son diagnostic et son traitement sont bien codifiés. La majorité des personnes suivant un régime sans gluten le font sans diagnostic médical, sans suivi diététique et le plus souvent sans raison scientifiquement étayée. Parmi les enfants souffrant de symptômes potentiellement évocateurs, la maladie cœliaque est à éliminer. En son absence, les diagnostics différentiels à évoquer sont l’allergie au blé, l’intolérance aux FODMAPs et les troubles fonctionnels intestinaux. Affaire de spécialistes et encore au stade de recherche, citons la maladie cœliaque a minima. Enfin, l’hypersensibilité au gluten non cœliaque est une entité probablement non homogène en cours de démembrement.

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