publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Allergologie - Immunologie

Publié le 03 mai 2022Lecture 9 min

Allergie à l’œuf de poule en pratique de ville

Étienne BIDAT*, Grégoire BENOIST*, Guy DUTAU**, *hôpital de jour asthme et allergies, service de pédiatrie générale, CHU Ambroise Paré (APHP), Boulogne-Billancourt, **Toulouse

Les symptômes de l’allergie alimentaire (AA) à l’œuf de poule sont surtout ceux de l’allergie immédiate IgE-dépendante, le diagnostic est alors facile. Il est basé sur : l’interrogatoire, les prick-tests cutanés, le dosage des IgE sériques spécifiques (IgEs). Le test de provocation par voie orale (TPO) n’est pas toujours nécessaire. Le dosage des IgEs des allergènes blanc d’œuf (f1) et ovomucoïde (f233) permet d’affiner le diagnostic (allergie à l’œuf cru et cuit ou allergie à l’œuf cru et tolérance de l’œuf cuit), et de suivre l’évolution. Les enfants allergiques à l’œuf cru, mais qui tolèrent l’œuf cuit ont un meilleur pronostic, surtout s’ils poursuivent la consommation régulière d’œuf au degré de cuisson toléré. Si l’allergie persiste, les protocoles d’immunothérapie orale (ITO) permettent souvent d’augmenter la dose réactogène, mettant à l’abri des risques d’une ingestion accidentelle.

Une allergie fréquente chez l’enfant Avec les AA au lait de vache et à l’arachide, l’AA à l’œuf de poule est l’une des plus fréquentes AA de l’enfant. Dans la population générale, sa prévalence se situe entre 1 % et 2,6 %(2,3). Chez les enfants d’âge scolaire, l’AA à l’œuf de poule correspond à 9,4 % des AA. Des allergènes parfois thermosensibles L’œuf de poule est constitué de trois éléments : une coquille non allergisante, le blanc d’œuf très allergisant (56-61 %), et le jaune d’œuf moins allergisant (27- 32 %). Il existe 23 protéines dans le blanc, dont les allergènes majeurs Gal d 1 (ovomucoïde), Gal d 2 (ovalbumine), Gal d 3 (ovotransferrine) et Gal d 4 (lysozyme). Ces allergènes sont thermosensibles sauf l’ovomucoïde (Gal d 1). L’allergénicité diminue de plus de 75 % après que l’œuf a été bouilli pendant au moins 10 minutes. Il existe donc des patients allergiques à l’œuf cru, mais qui tolèrent parfaitement l’œuf bien cuit. Les allergènes du jaune d’œuf sont Gal d 5 (alpha-livétine) impliqué dans le « syndrome œuf-oiseau ». Il existe des communautés antigéniques entre les protéines de l’œuf (livétines) et les plumes ou les déjections d’oiseaux (canards, perruches, tourterelles, canaris, perroquets, etc.). La bonne terminologie devrait être « syndrome oiseau-œuf », car après quelques semaines (ou mois) de contact avec des oiseaux, le sujet exposé développe une AA à l’œuf de poule. Le plus souvent ce sont les signes de l’allergie immédiate IgE-dépendante Les signes de l’allergie immédiate IgE-dépendante sont habituels : poussée de dermatite atopique, vomissements, rhinite, urticaire, angio-œdème, asthme, anaphylaxie. Entre 2002 et 2015, parmi 758 cas d’anaphylaxie chez l’enfant, les aliments en cause étaient surtout l’arachide, les fruits à coques, le lait de vache et de chèvre-brebis. L’œuf de poule ne correspond qu’à 2 % des anaphylaxies des enfants et les adultes (1890 cas)(4). Il existe au moins deux phénotypes : les enfants allergiques au blanc d’œuf cru, mais qui tolèrent l’œuf bien cuit ; les enfants allergiques à l’œuf cru et cuit qui sont sensibilisés à l’ovomucoïde (Gal d 1). Les symptômes apparaissent après l’ingestion d’œuf, de produits manufacturés ou cuisinés contenant des protéines d’œuf, après l’inhalation de particules allergéniques (blanc d’œuf battu) ou l’utilisation de topiques cutanés ou de cosmétiques. Il existe aussi des formes retardées, IgE-dépendantes (dermatite atopique, œsophagite allergique à éosinophiles, gastro-entérite allergique à éosinophiles), et non IgE-dépendantes avec principalement le syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires (SEIPA). Dans notre expérience, l’œuf est responsable de 15 % des SEIPA de l’enfant(5). L’urticaire de contact au blanc d’œuf est fréquente, sans allergie alimentaire. C’est un diagnostic différentiel de l’AA à l’œuf de poule, cette urticaire survient par libération non spécifique d’histamine. Prick-tests, la taille guide Dans une population d’enfants adressés en allergologie alimentaire, une papule de 7 mm induite par un prick-test (PT) effectué avec un extrait commercial d’œuf de poule est en faveur du diagnostic d’AA avec une spécificité de 100 %. Chez les nourrissons de moins d’un an, avec l’œuf frais, les valeurs seuil sont entre 11,2 mm (valeur prédictive positive VPP : 95 %) et 13,3 mm (VPP : 99 %). Après 1 an, les valeurs seuils avec l’œuf naturel sont situées entre 15,4 (VPP : 95%) et 18,3 mm (VPP : 99 %). Toutefois la taille de la papule varie avec l’âge, l’heure de la réalisation du PT, la zone du corps où il a été effectué, la réactivité cutanée de l’enfant, les extraits utilisés (allergène commercial ou œuf frais), les aiguilles utilisées, l’origine géographique, la pathologie, etc. Par conséquent, les VPP à 95 % établies dans des conditions particulières ne peuvent être extrapolées à une population et dans des situations expérimentales différentes. Il n’existe pas de corrélation entre la taille de la papule et la gravité des symptômes d’AA. IgE sériques spécifiques (IgEs) se limiter à f1 et f233 Une concentration d’IgEs contre le blanc d’œuf (f1) ≥ 7 kUA/l est associée à une probabilité de 95 % d’être réellement allergique à l’œuf. Une concentration sérique d’IgEs f1 > 50 kUA/L prédit la persistance de l’AA à l’œuf. Une diminution des IgEs f1 avec le temps est associée à l’acquisition de la tolérance à l’œuf. Des valeurs de 1,52 kUA/L (de 25 à 36 mois), de 1,35 kUA/L (entre 37 et 48 mois) ou 2,59 kUA/L (entre 49 et 60 mois) sont corrélées avec la guérison de l’AA à l’œuf... mais ce ne sont que des médianes. Il faut donc interpréter ces résultats avec prudence. Des valeurs d’IgEs anti-ovomucoïde (f233) > 11 kUA/L sont associées à un risque élevé de réaction à la fois à l’œuf cru, mais aussi à l’œuf cuit. Des valeurs < 1,2 kUA/L sont associées à un risque faible de réaction à l’œuf cuit, même si le patient réagit à l’œuf cru. Toutefois il faut que le blanc d’œuf soit bien cuit : 60 minutes à 90 °C dans cette étude. La décroissance progressive des IgEs contre le blanc d’œuf (f1) et l’ovomucoïde (f233) est un indice d’acquisition de la tolérance à l’œuf et incite à envisager une réintroduction. Les recommandations disponibles en France pour la prescription et l’interprétation des examens biologiques utilisables dans le cadre du diagnostic ou du suivi des allergies, conseillent pour le diagnostic initial et le suivi de l’allergie alimentaire à l’œuf de doser uniquement les IgEs blanc d’œuf (f1) et ovomucoïde (f233)(6). Le dosage initial des IgE totales est utile pour interpréter le résultat des IgEs. Atopy patch tests, peu d’indications L’atopy patch test à l’œuf est souvent responsable d’une urticaire de contact sans valeur diagnostique. En conséquence, les dernières recommandations rappellent que l’atopy patch test n’a aucune place dans le diagnostic des manifestations IgE-médiées(7). Néanmoins combiné à d’autres tests, il pourrait avoir une place dans le diagnostic des œsophagites à éosinophiles(7). Le TPO n’est pas systématique L’indication des TPO a été réduite par les stratégies de détermination des valeurs seuil (PT, IgEs) et la stratégie combinée PT et IgEs f1 et f233 (figure 1). Néanmoins, ces stratégies ont des limites. Le TPO permet : de déterminer les valeurs seuils des réactions à l’œuf cru ou cuit, quand l’histoire clinique ne peut pas retrouver cette information ; d’évaluer la tolérance à l’œuf cuit, chez un patient n’ayant jamais consommé d’œuf et dont le profil biologique est défavorable ; de savoir si l’AA est guérie. Il ne peut être effectué que dans des conditions techniques idéales de compétences et de sécurité. Évolution et pronostic La guérison de l’AA à l’œuf est obtenue chez 50 % des patients à un âge moyen de 3 ans, et chez 66 % à l’âge de 5 ans. D’autres estimations sont moins optimistes : 4 % (à 4 ans), 12 % (à 6 ans), 37 % (à 10 ans) et 68 % (à 16 ans). Les patients ayant une AA persistante ont des taux d’IgEs plus élevés à 18 ans. Les enfants présentent souvent une guérison partielle, tolérance de l’œuf cuit, mais dégoût et intolérance de l’œuf moins cuit. Les enfants allergiques à l’œuf sont exposés à développer d’autres symptômes d’atopie (rhinite, asthme, eczéma), de nouvelles sensibilisations et/ou allergies à d’autres aliments et à des pneumallergènes. Vacciner sans inquiétude Le plus souvent, la vaccination d’un sujet ayant (ou ayant eu) une AA vraie à l’œuf ne nécessite aucune précaution. Les recommandations conseillaient la vaccination antigrippale sans restriction chez les allergiques à l’œuf, même ceux qui ont présenté une réaction anaphylactique. Les dernières recommandations(2) sont plus prudentes si l’enfant a présenté un choc anaphylactique pour des quantités minimes d’œufs. L’allergie vraie à l’œuf ne nécessite pas de précautions particulières pour la vaccination contre le triple vaccin ROR. Les protéines d’œuf ne sont pas détectables dans les vaccins disponibles en France. Des quantités moins négligeables sont présentes dans le vaccin antiamaril (fièvre jaune) qui est fabriqué sur embryon de poulet. Un schéma de vaccination fractionnée est utilisé en cas de réaction sévère à l’œuf pour des doses faibles. Une éviction adaptée au degré de tolérance Les patients allergiques à l’œuf doivent éviter l’œuf et tous les produits qui en contiennent (aliments, cosmétiques, médicaments). Le régime doit être adapté au degré de tolérance. L’ingestion d’œuf cuit chez les enfants qui le supportent facilite l’acquisition de la tolérance à l’œuf. Il faut poursuivre l’ingestion d’œuf au degré de cuisson toléré et dans les quantités tolérées. Progressivement, en fonction de la tolérance et de l’évolution des prick-tests et des IgEs, l’œuf est proposé moins cuit en plus grande quantité. C’est le principe des échelles d’aliments (figure 2). Une allergie légère (simple urticaire ou eczéma) aux œufs se résout généralement. L’introduction d’œufs cuits au four (par exemple dans un gâteau) peut être faite dès l’âge de 12 mois, ou 6 mois à compter de la dernière réaction. Les avantages de cette introduction à domicile chez les enfants allergiques sont nombreux : accélération de la résolution naturelle de l’allergie ; réduction de l’anxiété liée à l’alimentation, élargissement et normalisation du régime, amélioration du statut nutritionnel, évitement de l’anxiété liée à l’hôpital(2). Les conditions nécessaires pour réintroduire à la maison sont indiquées dans le tableau 1(8). L’éducation du patient et de sa famille, si possible avec l’aide d’une diététicienne, est indispensable pour : apprendre à décoder les étiquetages, composer des menus adaptés, reconnaître les premiers symptômes d’une réaction allergique, administrer les premiers traitements. L’œuf est obligatoirement mentionné sur la liste des ingrédients des produits pré-emballés (directive européenne sur l’étiquetage, annexe IIIa). L’immunothérapie par voie orale (ITO) On s’oriente actuellement, quand l’allergie à l’œuf persiste avec des marqueurs biologiques qui ne sont pas en faveur de la guérison, vers la pratique d’un TPO à l’œuf cuit (tableau 2). Si la dose d’œuf déclenchant la réaction n’est pas minime on propose une immunothérapie par voie orale (ITO) pour les produits contenant de l’œuf cuit (figure 2). Le but n’est pas d’obtenir une guérison complète de l’allergie, mais de permettre la consommation d’œuf dans les préparations, ce qui facilite la vie sociale. Les études de tolérance par voie orale identifient quatre profils de réponse : les enfants qui guérissent (ils sont devenus tolérants) ; ceux qui répondent favorablement, mais avec nécessité d’une ingestion régulière d’œuf (ils sont désensibilisés) ; les répondeurs partiels qui ne tolèrent pas de grandes quantités d’œufs ; les non-répondeurs qui réagissent à de faibles quantités d’allergène d’œuf. Conclusion L’AA à l’œuf de poule est une allergie fréquente de l’enfant. De grands progrès ont été effectués pour la détection et la caractérisation des allergènes de l’œuf. Les dosages d’IgEs blanc d’œuf (f1) et ovomucoïde (f233) permettent de mieux comprendre les phénotypes particuliers de l’AA à l’œuf. Le suivi de la clinique, des tests et des IgEs f1 et f233 guident le moment de la réintroduction à la maison ou la pratique d’un TPO qui permet parfois d’envisager une ITO.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  • 3 sur 26

Vidéo sur le même thème