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Néphrologie et Urologie

Publié le 23 sep 2020Lecture 10 min

Le nourrisson qui ne grossit pas : quand penser au rein ?

Pauline KRUG-TRICOT, AP-HP, hôpital Necker, service de néphrologie pédiatrique

En maintenant l’homéostasie de l’organisme, mais aussi et surtout par son rôle endocrine, le rein prend sa part dans la croissance staturo-pondérale de l’enfant. Dès lors, quand évoquer une cause rénale chez un nourrisson qui ne grossit pas ? Pauline Krug (Paris) nous livre les éléments d’orientation.

La croissance staturo-pondérale chez le nourrisson est dépendante de différents facteurs : nutritionnels en premier lieu et notamment la première année de vie, mais aussi hormonaux avec l’intervention de la GH (hormone de croissance) à partir de la 2e année de vie, et bien sûr de facteurs génétiques, socio-économiques et psycho-affectifs, qui ont particulièrement leur importance dans la maladie chronique. Le rein a pour rôle d’épurer les toxines urémiques et réguler le milieu intérieur. De plus, son rôle endocrine est prépondérant : synthèse de l’érythropoïétine, hydroxylation de la vitamine D et régulation hydro-électrolytique, ainsi que celle de la pression artérielle par le biais du système rénineangiotensine-aldostérone. Un dysfonctionnement rénal, qu’il soit tubulaire ou glomérulaire, peut ainsi entraîner un ralentissement de la croissance. Chez le grand enfant, on observera souvent une cassure staturale précédant la croissance pondérale ; au contraire chez le nourrisson, la stagnation ou cassure pondérale sera au premier plan. Ainsi, devant un nourrisson qui ne grossit pas bien, il faut savoir évoquer une cause rénale et l’explorer. Vignettes cliniques Cas clinique 1 : Éva, 18 mois Éva est la 2e enfant d’une fratrie de deux, née de parents jeunes, non-apparentés, bien portants. La grossesse s’est déroulée sans particularité, et elle est née à terme, eutrophe. Les parents décrivent une appétence pour les aliments salés, et un syndrome polyuropolydipsique qui a progressivement augmenté pour atteindre 6 litres par jour. On observe une cassure de la courbe pondérale depuis l’âge de 6 mois, sans retentissement initial sur la croissance staturale. À l’âge de 18 mois, elle présente une gastro-entérite fébrile avec déshydratation sévère et troubles de la conscience. Le bilan biologique met en évidence une hyponatrémie à 126 mmol/l, une hypokaliémie à 1,9 mmol/l, une acidose métabolique, une hypophosphatémie à 0,61 mmol/l, une fonction rénale normale. Sur le bilan urinaire : glycosurie à 5 g/l, protéinurie, natriurèse à 40 mmol/l non adaptée, kaliurèse à 7 mmol/l, hypercalciurie (rapport calcium/créatinine à 2 mmol/mmol). Il s’agit donc d’un tableau biologique de tubulopathie proximale. Sur le plan étiologique, le diagnostic de cystinose est posé suite à l’examen ophtalmologique, par la découverte de cristaux de cystine au niveau de la cornée, puis confirmé par le dosage de cystine intra-leucocytaire et l’étude génétique. Cas clinique 2 : Rohan, 9 mois Rohan est le premier enfant d’un couple non apparenté. La grossesse était sans particularité. Il présente une cassure de la courbe pondérale à partir de 9 mois, dans un contexte de vomissements et de syndrome polyuro-polydipsique, qui oriente vers une étiologie rénale. Une bandelette urinaire faite chez son pédiatre retrouve une glycosurie. Le bilan biologique sanguin et urinaire est complété, retrouvant une glycémie normale et une acidose métabolique, conduisant au diagnostic de tubulopathie proximale dans une forme incomplète. Chez lui aussi, le diagnostic de cystinose sera posé. Cas clinique 3 : Rana, 8 mois Rana est la 3e enfant d’une fratrie de 3, née de parents tunisiens non apparentés, bien portants. La grossesse était sans particularité, et elle est née à terme, eutrophe. Elle a reçu un allaitement maternel exclusif jusque 2 mois ½, mixte jusque 6 mois. La diversification alimentaire a été débutée à 5 mois. Elle présente une cassure de la courbe pondérale à partir de 2 mois, suivie d’une cassure staturale à vers 8 mois, dans un contexte de vomissements fréquents. Son bilan biologique retrouve une hyponatrémie à 129 mmol/l, une hypokaliémie à 2,9 mmol/l, une alcalose métabolique avec des bicarbonates à 29 mmol/l. Pour faire la part entre des pertes digestives liées aux vomissements et des pertes rénales, un ionogramme urinaire est demandé : natriurèse inadaptée à 103 mmol/l, kaliurèse à 58 mmol/l, pas de glycosurie, ni d’autres signes proximaux. Le diagnostic de syndrome de Bartter est posé et confirmé par l’analyse génétique. Cas clinique 4 : Malek, 5 mois Malek est le 2e enfant de parents bien portants, non apparentés. La grossesse a été marquée par un oligoamnios apparu au 3e trimestre. Les échographies étaient par ailleurs dites normales. Il est né par césarienne à 35 SA avec un poids de 2 700 g. Il a d’emblée présenté des difficultés alimentaires, une asthénie et une mauvaise prise pondérale depuis la naissance avec un poids de naissance repris à J20. À 2 mois et demi, il consulte pour des vomissements alimentaires postprandiaux, son poids est alors de 2 900 g. Le bilan retrouve un ECBU stérile, une insuffisance rénale sévère avec une créatinine à 167 μmol/l, une hyperkaliémie à 5,9 mmol/l, une acidose profonde (pH 6,98). L’échographie rénale montre de petits reins hyperéchogènes et dédifférenciés. Le diagnostic d’insuffisance rénale chronique sévère sur hypodysplasie rénale est donc posé. Cas clinique 5 : Sarah, 8 mois Sarah est la 3e enfant d’une fratrie de 3, née de parents apparentés, cousins germains. La grossesse a été marquée par un RCIU, et elle est née à 38 SA à 2 580 g. Le pédiatre note un infléchissement de la courbe pondérale à partir de 8 mois, puis de la courbe staturale à 12 mois, sans arguments nets pour une cause digestive. À l’examen clinique, la tension artérielle est extrêmement élevée à 183/122 mmHg. L’échographiedoppler rénale, complétée par un scanner puis une artériographie, met en évidence une sténose de l’artère rénale droite, une coarctation de l’aorte descendante (mid-aortic syndrome), responsable de son hypertension artérielle. Étiologies rénales de stagnation ou cassure de la courbe pondérale chez le nourrisson Pyélonéphrite aiguë Chez le nouveau-né particulièrement, devant une mauvaise prise de poids ou un retard à la reprise du poids de naissance, un ECBU est nécessaire pour éliminer une pyélonéphrite aiguë, même sans fièvre. Insuffisance rénale chronique (IRC) Les anomalies congénitales du rein et des voies urinaires ou CAKUT (congenital anomalies of kidneys and urinary tracts) représentent la cause principale d’insuffisance rénale chronique chez l’enfant. Parmi elles, on peut citer les hypoplasies et dysplasies rénales, les reflux vésico-urétéraux, les valves de l’urètre postérieur. Le diagnostic est souvent évoqué sur les échographies anténatales, mais peut aussi être posé en post-natal devant une clinique peu spécifique, comme une reprise tardive du poids de naissance, une cassure de la courbe pondérale, des vomissements, ou sur une échographie rénale ou un bilan biologique prescrits au décours d’une infection urinaire. La maladie initiale peut altérer la croissance, même avant le stade d’insuffisance rénale. C’est le cas de l’hypodysplasie rénale, qui entraîne souvent une perte d’eau et de sel responsables d’une hémoconcentration chronique. Dans les glomérulopathies avec protéinurie néphrotique, le syndrome oedémateux est au premier plan et le ralentissement pondéral n’est pas le premier point d’appel. Mais la maladie glomérulaire associée aux traitements par corticoïdes va influencer la croissance staturo-pondérale dans un 2e temps. Les tubulopathies Elles peuvent être acquises ou congénitales, isolées ou associées à des signes extra-rénaux. Tubulopathies proximales On distingue tout d’abord les tubulopathies proximales responsables d’un syndrome de Fanconi, qui associe de façon plus ou moins complète les signes biologiques suivants : hypokaliémie avec kaliurèse inadaptée, glycosurie orthoglycémique, hypophosphatémie avec taux de réabsorption du phosphate diminué, aminoacidurie généralisée, acidose métabolique, hypercalciurie, hyperuricurie, protéinurie tubulaire (ß-2-microglobulinurie). Chez l’enfant, devant une tubulopathie proximale isolée découverte dans la première année de vie, il faut évoquer le diagnostic de cystinose. Il s’agit d’une maladie génétique, de transmission autosomique récessive, très rare (1/200 000 naissances), liée à un déficit du transporteur lysosomal de la cystine, la cystinosine. La cystine s’accumule dans différents organes et tissus : rein, oeil, thyroïde, pancréas, muscle, cerveau, etc., entraînant des dysfonctions d’organe dans des délais variables. Le traitement comporte de la cystéamine per os, ainsi qu’en collyre, et en une supplémentation des fuites urinaires (bicarbonate de sodium, chlorure de sodium, phosphore, calcium, etc.). La cystinose évolue vers l’insuffisance rénale terminale malgré le traitement, et nécessite alors un traitement de suppléance par dialyse et transplantation rénale. Parmi les tubulopathies proximales isolées, on peut aussi citer le syndrome de Lowe, qui associe une cataracte congénitale et un retard des acquisitions, et le syndrome de Dent, dans lequel l’hyper calciurie est au premier plan. Les tubulopathies proximales peuvent être aussi secondaires à certaines maladies métaboliques : tyrosinémie de type I, intolérance au fructose, galactosémie, glycogénoses, maladie de Wilson, cytopathies mitochondriales, ou à des toxiques (plomb, cadmium, mercure, antibiotiques, antiviraux, chimiothérapie, etc.). Tubulopathies touchant l’anse de Henle : syndromes de Bartter et de Gitelman Le syndrome de Bartter est une maladie génétique de transmission autosomique récessive, dont la prévalence est estimée à 1/100 000 naissances. Elle est liée à la mutation de gènes codant des co-transporteurs sodés au niveau de l’anse de Henle. La biologie est caractéristique : hypokaliémie avec kaliurèse élevée, alcalose métabolique, hypercalciurie, néphrocalcinose. Il existe une forme de révélation anténatale. La polyurie anténatale est responsable d’une polyhydramnios qui nécessite des ponctions itératives de liquide amniotique et conduit à une prématurité (28 à 30 SA). À la naissance, la tubulopathie est très marquée avec risque majeur de déshydratation, imposant une prise en charge en réanimation néonatale pour rééquilibration hydroélectrolytique et hydratation IV. La néphrocalcinose est précoce. La forme à révélation infantile est plus modérée, avec des signes d’appel peu spécifiques : retard de croissance, déshydratation, polyurie, constipation liée à l’hypokaliémie, et quelques particularités morphologiques. La maladie peut se révéler au cours d’une gastroentérite par un accident grave de déshydratation. Enfin, il existe une forme associée à une surdité. Le syndrome de Gitelman est souvent paucisymptomatique dans l’enfance (polyurie modérée ou absente). La croissance est normale ou peu altérée. Le diagnostic est souvent fortuit. Le tableau biologique associe une alcalose hypokaliémique et se distingue du Bartter par une hypomagnésémie et une hypocalciurie. Cas particulier de l’hypertension artérielle L’hypertension artérielle chez le nourrisson peut être responsable d’une altération de l’état général avec agitation, mauvaise prise des biberons, polyuro-polydipsie, à l’origine d’une mauvaise prise de poids. Il faut donc penser à mesurer la pression artérielle avec un brassard huméral de taille adaptée, systématique à partir de l’âge de 3 ans, et devant des signes cliniques évocateurs chez l’enfant plus jeune. Comment le rein influence-t-il la croissance ? Les maladies rénales ont diverses conséquences clinico-biologiques qui peuvent influencer la croissance : déplétion sodée, responsable d’une déshydratation extracellulaire, fréquente dans les maladies du développement rénal (hypoplasie et dysplasie rénales) et systématique dans les tubulopathies ; hypercatabolisme et augmentation des besoins énergétiques ; acidose métabolique ; anorexie et vomissements, d’origine multifactorielle : liés à l’hypokaliémie, à l’accumulation de toxines urémiques, à l’hyperhydratation qui coupe la faim ; résistance à la GH avec diminution de l’expression et de la synthèse d’IGF1 en insuffisance rénale chronique ; troubles du métabolisme phosphocalcique. Prise en charge du retard de croissance dans la maladie rénale chronique Le retard de croissance staturopondéral doit être prévenu et traité par différentes lignes de traitements. Les apports caloriques doivent être optimisés, pour assurer au moins 100 % des apports nutritionnels conseillés pour l’âge, et un support nutritionnel par nutrition entérale doit être envisagé si les ingestats sont insuffisants, par sonde naso-gastrique ou si possible par gastrostomie, tout en assurant une hydratation adaptée répartie sur tout le nycthémère. Les apports protidiques recommandés sont de 8 à 13 % de l’apport énergétique total. Par ailleurs, il faudra introduire une supplémentation hydro-électrolytique et corriger les troubles du métabolisme minéral et osseux (chlorure de sodium, bicarbonate de sodium, calcium, phosphate, dérivés de la vitamine D), contrôler la pression artérielle, corriger l’anémie, puis envisager un traitement de suppléance par dialyse et transplantation rénale. Après toutes ces mesures, si la taille reste < - 2 DS ou la vitesse de croissance < -1 DS/an, le traitement par hormone de croissance recombinante est débuté à la posologie maximale de 0,05 mg/kg/j. Enfin, le traitement spécifique de la maladie initiale doit être optimisé. En conclusion Devant un nourrisson qui ne grossit pas, la clinique qui oriente le médecin vers une étiologie rénale est peu spécifique : histoire anténatale (hydramnios ou oligoamnios, anomalies échographiques), antécédents familiaux, consanguinité, hypertension artérielle, syndrome polyuro-polydipsique, anorexie, vomissements, etc. Un examen clinique complet avec mesure de la pression artérielle et bandelette urinaire s’impose. Sur le plan biologique, le « bilan rénal » doit faire partie des explorations standard d’un retard pondéral, avec en première intention : ECBU chez le nouveau-né, ionogramme sanguin, urée, créatinine, protéinurie et créatininurie, et en deuxième intention : ionogramme urinaire et échographie rénale. Un avis spécialisé sera ensuite requis auprès d’un néphrologue pédiatre.

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