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Allergologie - Immunologie

Publié le 06 nov 2016Lecture 9 min

Immunothérapie orale au lait de vache cuit

E. BIDAT, C. TRESSOL, service de pédiatrie et hôpital de jour de pneumo-allergologie, hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt

L’immunothérapie orale (ITO) est un important changement dans le paradigme du traitement de l’allergie alimentaire. Néanmoins, à ce jour, les recommandations déconseillent de pratiquer l’ITO en ville en raison du rapport bénéfice/risque encore incertain.L’ITO est à réserver aux centres spécialisés dans le cadre de protocoles. Des exceptions sont cependant à discuter, comme certaines allergies non IgE médiées, l’ITO à l’œuf ou au lait de vache (LV) cuits. Nous évaluerons ici l’ITO au lait de vache cuit(1,2).

L’introduction du lait de vache est parfois tolérée et accélère la guérison Dans cette étude(3), trois quarts (68/91) des enfants (médiane âge : 6,6 ans ; 2,1-17,3 ans) présentant une allergie aux protéines du lait de vache IgE-médiée (APLV), tolèrent le lait cuit sous forme de gâteaux. Les tolérants au lait cuit absorbaient ensuite chaque jour une part d’aliment contenant du lait cuit, pendant 6 mois, puis du fromage cuit. Au terme de l’étude, chez les enfants qui toléraient initialement le lait cuit et qui poursuivaient l’ingestion, 60 % toléraient le lait cru, 28 % toléraient le lait cuit. Douze pour cent ont préféré revenir à un régime sans aucun produit laitier. Quand un enfant présente une APLV, les trois quarts tolèrent le lait cuit. Quand la consommation de produits à base de lait cuit est poursuivie, 60 % guérissent de leur APLV.   Quels enfants vont tolérer le lait de vache cuit ? Si les parents ne peuvent pas rapporter dans l’anamnèse un niveau de tolérance pour le lait de vache cuit, un test de provocation par voie orale (TPO) avec l’aliment cuit est indispensable avant d’envisager une ITO. Nous effectuons ce TPO en débutant habituellement avec les Véritable Petit Beurre LU® (1,31 ml de lait de vache par unité). Nous les fractionnons pour les premières doses. Si 4 Véritable Petit Beurre LU® sont tolérés, nous poursuivons le TPO avec des quantités croissantes des gâteaux maison (encadré).   Ce TPO permet de retenir pour l’ITO avec le lait cuit uniquement les patients qui ne réagissent pas à des doses infimes. Chez ceux qui réagissent à des doses infimes, il est préférable de surseoir à l’ITO. La dose initiale de lait de vache cuit à prendre est toujours très inférieure à celle à laquelle l’enfant a réagi lors du TPO. En pratique, nous débutons l’ITO par les plus petites doses de lait cuit (Véritable Petit Beurre LU®). Par contre la progression sera d’autant plus rapide que la dose réactogène est élevée. Il n’est pas possible à ce jour de fixer un seuil de test cutané ou d’IgE spécifiques qui permettent d’éviter la pratique d’un TPO. De même, il n’existe pas de seuil permettant de prédire la réactivité au lait cuit. Leonard et coll.(4) suggèrent qu’il est intéressant de faire un TPO au lait cuit chez les patients dont les IgE au lait de vache sont < 5 ou 10 kU/l, ou dont les IgE caséines sont < 5 kU/l. Quand le patient a des IgE supérieures à ces taux, les chances de succès du TPO au lait cuit sont faibles. Cela reste à discuter au cas par cas, en tenant compte de nombreux facteurs : l’histoire clinique, la cinétique des tests cutanés et des IgE spécifiques, le taux des IgE totales, l’évolution des autres allergies alimentaires, et l’asthme associé s’il est sévère.   L’échelle de lait Dès lors que les petites quantités de lait de vache cuit sont tolérées sous forme de biscuit (tableau), nous proposons une augmentation progressive des protéines de lait de vache sous forme cuite. Nous suivons les conseils prodigués par Carina Venter, en adaptant à la France son « échelle de lait » (figure). L’échelle comprend plusieurs étapes, avec des aliments à introduire dans un ordre précis. Les recettes de gâteaux contiennent des quantités connues de lait cuit par part (encadré). Il est possible de poursuivre l’introduction par quart ou demi-part de gâteau.   La prise de préparation contenant du lait doit être quotidienne afin de ne pas perdre la tolérance acquise. Le temps passé sur chaque étape est fonction de chaque enfant. Il dépend de la dose réactogène initiale de lait cuit. Les éventuels incidents observés dans la prise des premiers produits avec le lait cuit ainsi que l’appétence de l’enfant pour ces produits guident aussi la rapidité de la progression. Il est inutile et dangereux de forcer un enfant qui refuse un produit contenant plus de lait. Il est préférable de faire un palier plus prolongé pour un aliment contenant moins de lait, mais bien accepté. Lorsque l’aliment d’une étape est bien toléré, et bien accepté, la progression est poursuivie. Si l’aliment d’une étape provoque une réaction allergique, les parents utilisent le protocole de traitement prévu. Si la réaction est sévère, ils doivent contacter le médecin référent avant de reprendre un produit laitier. Si la réaction est modérée, l’enfant reprend le produit de l’étape précédente. Dans ce cas, le palier avec le produit toléré est généralement poursuivi pendant 15 à 30 jours, voire plus, avant d’essayer d’augmenter les doses.   Effets secondaires de l’ITO au lait de vache cuit Les réactions anaphylactiques au lait de vache cuit sont possibles. Elles sont plus fréquentes chez les enfants qui, lors du TPO initial, ont une réactivité pour des doses faibles de lait de vache cuit. Chez ces enfants, l’ITO ne peut être envisagée que par des médecins rompus à sa pratique. Si l’enfant présente des accidents anaphylactiques lors de la prise de petites doses de lait de vache cuit à la maison, nous suspendons l’ITO, quitte à la reprendre ultérieurement après un nouveau TPO effectué alors en double aveugle. Des oesophagites à éosinophiles ont été observées chez 2,7 % des patients bénéficiant d’une ITO principalement au lait de vache, à l’oeuf et à l’arachide. Parmi des patients guéris de leur APLV suite à une ITO au lait de vache, 25,9 % restaient allergiques au lait de chèvre ou de brebis. Il est de bonne pratique de vérifier, après guérison d’un APLV, de la bonne tolérance des protéines de lait de chèvre ou de brebis par un test de réintroduction. Des anaphylaxies à l’effort, après prise de lait, sont apparues chez des enfants « guéris » de leur allergie au lait au « repos ».   Conseils pratiques L’évolution la plus importante dans l’ITO est l’évolution des objectifs… surtout pour le médecin. Au début de notre pratique en ITO, notre objectif était d’obtenir la guérison intégrale de l’allergie au lait de vache. Cet objectif n’était pas celui du patient, qui souhaitait surtout en consommer de petites quantités, le plus souvent cuites dans des préparations. Cette modification de régime améliore considérablement sa qualité de vie. En pratique clinique, nous devons respecter les objectifs du patient et de sa famille. Il faut savoir faire un palier dans l’augmentation des doses, et pour certains patients prolonger ce palier, car ils ne désirent pas consommer d’aliments qui contiennent plus de produits laitiers. Parfois après plusieurs années d’entretien pour des petites doses de lait de vache, le patient, de lui-même, reprend la progression et normalise son régime. Il est probable, pour ces patients, que la tolérance ait été longue à acquérir. Les enfants bénéficiant d’une ITO sont à « surveiller » et à motiver sur le long terme. Ils doivent être informés du risque de perte de tolérance si le lait de vache, même en petite quantité, est arrêté. Certains patients ont un dégoût intense pour le lait, qui rend impossible l‘ITO, même pour des petites doses. Certains co-facteurs peuvent modifier, lors de la prise de lait de vache, le niveau de réactivité. Des effets secondaires surviennent alors plus facilement. Les principaux co-facteurs identifiés sont : l’exercice, les infections aiguës, la fièvre, la prise de médicaments (anti-inflammatoires non stéroïdiens, inhibiteurs de la pompe à proton, bétabloquants, etc.), la prise d’alcool, les menstruations, les facteurs psychologiques. Ces co-facteurs doivent être connus des patients et de leur famille qui pratiquent une ITO, afin de moduler la prise des doses ingérées quand ils sont présents. Le plus important avant d’envisager une ITO est d’évaluer la motivation de la famille. Elle n’est jamais proposée chez un enfant et une famille qui n’en expriment pas le désir. L’ITO nécessite des ajustements dans l’augmentation des doses. Elle ne peut être proposée que chez des familles ayant compris son principe, et maîtrisant parfaitement la gestion de l’anaphylaxie. Nous avons déjà arrêté des ITO au lait de vache cuit chez des familles que nous n’avions pas suffisamment évaluées. Elles prenaient des risques dans la progression des doses où ne géraient pas de manière optimale les incidents.   Conclusion L’ITO au lait cuit est un important changement dans le paradigme du traitement de l’allergie alimentaire aux PLV. Elle a bouleversé la prise en charge des enfants présentant cette allergie. Elle améliore considérablement la qualité de vie des patients et de leur famille. Cette ITO présente néanmoins des risques, même s’ils peuvent être limités en sélectionnant les patients. L’ITO ne peut être proposée que chez des enfants et familles motivés. Elle doit, de notre point de vue, être conduite par des médecins qui en ont compris l’intérêt et les limites, et qui maîtrisent la technique. Dans tous les cas, cette ITO se fait sous l’entière responsabilité du médecin prescripteur.

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