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Psychiatrie

Publié le 11 avr 2018Lecture 6 min

L’adolescent, l’acné, le pédiatre et le psychiatre

Élise RIQUIN, Pédopsychiatre, CHU d'Angers

Nombre d’adolescents consultent des spécialistes pour des problèmes d’acné, qui ont très fréquemment des répercussions graves sur leur santé psychique. Dans ce contexte, des prescriptions médicamenteuses dermatologiques sont parfois nécessaires. L’isotrétinoïne (IT) est un traitement controversé depuis sa première commercialisation, accusé de vagues de suicide et de dépression. Qu’en est-il en pratique ? Devons-nous craindre sa prescription ?

La peau, organe de la rencontre et du lien La peau est une enveloppe, une barrière contre les agressions extérieures ; elle est également lieu de plaisir, lieu du toucher, lieu d’identité qui sépare le dedans du dehors, le moi du non moi. Sur la peau se tracent les méandres du temps qui passe, les stigmates des épreuves traversées, elle est celle-que l’on voit quand on se regarde dans le miroir, mais aussi celle que l’on rencontre quand on regarde l’autre. Elle est le lieu des sensations (caresses, stimulations nociceptives), et le miroir des émotions qui parfois trahissent l’émoi ou l’effroi d’un moment (rougissement, frissons, etc.). Plus que tout autre, la peau est l’organe de la rencontre. Avoir une maladie de peau, c’est porter atteinte à la part symbolique de cet organe. La maladie de peau s’impose à l’autre, d’autant plus lorsqu’elle touche des zones exposées. Elle convoque la perte du choix de garder secret son trouble. Cela se voit et cela va sans dire en quelque sorte. Elle suscite du dégout, de la peur, du rejet, des croyances. « Est-ce contagieux ? C’est sale ! Le pauvre… » ; mais avant tout, la maladie de peau influe alors sur la rencontre et le lien. « J’ai des boutons donc je suis un ado » Acné et adolescence sont deux termes associés et l’un se contamine des mythes de l’autre. L’adolescence : l’âge ingrat, bête, sont autant de quolibets caractérisant cette étape cruciale du développement psycho-affectif. L’acné est très souvent associée au mythe de la mauvaise hygiène corporelle ou alimentaire, ou à celui de la contagion. Dès lors, le raccourci entre avoir de l’acné et être un adolescent sale, libidineux et qui mange n’importe comment, est donc rapide ! L’acné touche, entre autres, le visage. Elle s’offre à l’autre, oserait-on dire qu’elle s’impose, là où, fréquemment, les adolescents préfèreraient se faire discrets. De nombreux adolescents souffrent de sentiments de perte d’appartenance du corps, du fait de cette surexposition. Les remarques de la famille ou des amis « Et bien, ça bourgeonne ! », « Oh, mais c’est que tu es un ado maintenant ! » aggravent ce vécu de porosité entre intime et extime. Tout se passe comme si le corps était mis à nu, dévoilé, à l’insu de l’adolescent. L’acné apparaît comme un aveu public et non consenti du passage à l’adolescence et ce qu’elle représente : la fin de l’enfance, les processus de sexualisation du corps, le début de l’autonomisation, l’individuation… Et l’adolescent se retrouve à découvert, comme si le fait même d’avoir de l’acné indiquait publiquement que ces processus intimes sont en cours. Dans ce contexte, il existe très fréquemment une importante altération de l’image corporelle et de l’estime de soi à un mo - ment clef de l’histoire de l’individu. Acné, IT et suicide L’IT est le traitement de l’acné sévère et résistante. Depuis sa commercialisation en 1982, une controverse importante existe concernant les liens entre prescription et idéations suicidaires, voire passage à l’acte suicidaire. En 2004, la Food and Drug Administration alerte sur le risque de dépression, de troubles bipolaires, d’agressivité et de psychose et en 2005, l’IT apparaît dans le « top 10 » des médicaments dépressogènes. Sur le plan neurobiologique, des modifications fonctionnelles cérébrales lors de la prescription d’IT peuvent expliquer l’apparition des symptômes dépressifs. Ainsi, l’hypothalamus est un site d’action de l’acide rétinoique (Bremner et coll., 2012). Une dysfonction du striatum, de l’hippocampe et du cortex orbito-frontal (région cérébrale associée à la dépression), des modifications des systèmes dopaminergiques, sérotoninergiques et possiblement noradrénergique, systèmes impliqués dans la genèse des troubles dépressifs, existent (Bremner et coll., 2008), ainsi qu’un hypométabolisme du cortex orbito-frontal retrouvé à l’imagerie. Néanmoins, l’acné est fréquemment associée à une baisse de l’estime de soi, et dès lors à une dépressivité, voire une dépression (encadré 1). La période de l’adolescence en elle-même est également une période de vulnérabilité psychique. Il est dès lors délicat de distinguer les déterminants à l’origine de la dépression ou du passage à l’acte lorsque plusieurs facteurs de risque se surajoutent ainsi. Aussi, il existe un manque de preuve pour parler de relation causale simple et il apparaît raisonnable d’évoquer une probable association entre acné, IT et dépression, voire suicide. Malgré ces probables liens ou associations, le dermatologue ne doit pas, pour autant, s’empêcher ou craindre de prescrire ce traitement qui pourra améliorer considérablement l’image du corps et l’estime de soi de l’adolescent. La balance bénéfice/risque de l’IT est ainsi très souvent en faveur du bénéfice chez des jeunes. L’information et l’éducation des jeunes est donc capital et semble jouer un rôle protecteur dans la genèse des troubles thymiques. Un adolescent informé sur les risques d’apparition de troubles thymiques et leur mécanisme sera probablement plus armé pour y faire face (encadré 2). Afin de repérer précocement les symptômes thymiques lors de l’instauration de traitements par IT, il est important d’engager une surveillance stricte des patients. Des symptômes prodromiques sont fréquents et devront être régulièrement recherchés. Deux pics d’apparition des symptômes dépressifs sont observés ; le premier se situe au début du traitement, vers 1 à 2 mois après la mise en place, puis ensuite vers 2 à 4 mois après l’initiation de l’IT. Le premier pic est constaté au moment où l’acné s’aggrave. Le traitement est attendu, souhaité, mis en place, et finalement, là où l’adolescent espérait (rêvait) du mieux, survient le pire. Les pertes d’espoir sont fréquentes et peuvent expliquer ce premier pic. Le second pic intervient au moment où, paradoxalement, les boutons commencent à disparaître, et les choses vont mieux – au moins sur la peau. C’est le moment de constater que l’acné n’est pas seule responsable de toutes les souffrances. D’autres choses, plus complexes, sont à l’œuvre. Enlever les boutons n’enlève pas la souffrance. Encore une fois, la déception : c’est le deuxième pic. L’arrêt du traitement est recommandé officiellement mais reste discutable. En effet, parfois, l’arrêt est plus délétère sur le plan thymique tant la déception est intense pour le jeune. Il est intéressant de discuter la place du traitement dans l’économie psychique de l’adolescent, celui-ci pouvant représenter un objet quasi magique dont il est impossible de se séparer. Évoquer ces questions avec le jeune éventuellement dès la consultation d’information semble nécessaire afin de prévoir l’éventualité d’un arrêt du traitement ; car si l’arrêt doit se discuter, il convient aussi de ne pas le maintenir le traitement à tout prix. Le professionnel devra également rester vigilant, car arrêter le traitement n’induit pas une disparition immédiate des symptômes thymiques, dépressifs et idéations suicidaires peuvent persister jusqu’à 6 mois après l’arrêt de l’IT.

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