Publié le 13 nov 2020Lecture 13 min
Troubles du spectre autistique (TSA) chez l’enfant de moins de 2 ans
Marie-Agnès JEUNE, pédiatre responsable du CAMSP et de la PDAP (plateforme diagnostic de proximité), Les Loupiaux, Châtenay-Malabry
Comment repérer les atypies du neuro-développement, comment soutenir précocement le développement d’un bébé grâce à une « stratégie de soutien actif du développement » (SSAD) ? Quels sont les signes d’alerte précoce ? Quelles prises en charge précoces des nourrissons présentant un trouble neuro-développemental (TND) à risque autistique ? Les réponses de M.-A. JEUNE (Châtenay-Malabry).
Introduction et généralités
Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) affectent environ 1 enfant sur 54 (selon les Centers for Disease Control an Prevention aux États-Unis). Beaucoup sont diagnostiqués tardivement, après l’âge de 4 ans. C’est encore plus tardif chez les filles qui sont 4 fois moins susceptibles d’être diagnostiquées que les garçons. Chez le nourrisson, la recherche des atypies du neuro-développement est donc fondamentale. Quand on intervient au moment des fenêtres du développement cérébral, le pronostic est bien meilleur.
La prise en charge précoce va soutenir le développement cérébral et les apprentissages, permettre de réduire le handicap et les sur-handicaps en favorisant aussi l’épanouissement de l’enfant, son bien-être et celui de sa famille. C’est pour cela qu’ont été publiées des recommandations pour le repérage des troubles du neurodéveloppement (TND). Ces recommandations sont très complètes et sont une aide précieuse, mais dans notre pratique quotidienne, comment guider le développement des nourrissons ? Quels signes rechercher en priorité, comment trouver les bons mots, la bonne place, quels conseils donner, quand et vers qui orienter ?
Définitions
Le neuro-développement
Mécanismes qui guident le développement du cerveau en organisant les fonctions cérébrales : motrices, langagières, cognitives, intégration sensorielle, structuration psychique, comportement, etc. C’est un processus dynamique, influencé par des facteurs environnementaux : biologiques, génétiques, socioculturels, éducatifs et affectifs. Il débute dès la période anténatale et se poursuit jusqu’à l’âge adulte. C’est un flux maturatif qui modifie chaque jour les capacités de l’enfant. Il est plus ou moins rapide selon les enfants. Il suit des étapes incontournables qui s’enchaînent à des âges clés et qui s’intriquent de façon fluide. La perturbation de ces processus de développement cérébral conduit à un trouble neuro-développemental (TND) correspondant à des difficultés plus ou moins grandes dans une ou plusieurs de ces fonctions cérébrales.
Les troubles du spectre de l’autisme (TSA)
Ils sont un ensemble de désordres d’apparition précoce perturbant le développement du système nerveux central et qui induisent des déficits et des anomalies qualitatives dans le fonctionnement intellectuel, sensoriel, moteur ou du langage. Les TSA font partie des TND, ils peuvent aussi être associés à d’autres TND. Il s’agit d’une dyade de symptômes associant :
– un déficit persistant de la communication et des interactions sociales observés dans les contextes variés ;
– le caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités.
Chez un nourrisson, la présentation clinique est très différente de celle du grand enfant, car c’est l’installation de la communication, de la socialisation et de la flexibilité mentale qui sont atypiques, et non les fonctions elles-mêmes pas encore arrivées à maturation.
Comment influencer positivement le développement cérébral dans la vie quotidienne ?
Chez tous les enfants, la plasticité cérébrale et les capacités d’apprentissages sont très grandes les 3 premières années, elles sont programmées par notre capital génétique. Les études actuelles sur le cerveau montrent le rôle fondamental de l’environnement. Il peut y avoir une influence positive, mais aussi négative s’il n’est pas adapté. Pour se développer, le bébé utilise d’abord ses sens, chacune des informations sensorielles qu’il reçoit s’imprime en lui et crée des synapses dans son cerveau. Du fait de cette synaptogenèse, on peut imaginer le cerveau comme un organe en mouvement, qui bouge, fluctuant, fluide et dynamique. À chaque instant, de nouvelles connexions neuro-gliales se créent ou sont supprimées. Il existe une chronologie spécifique pour chaque fonction cérébrale avec une « période critique » : période d’optimisation de la mise en place des réseaux neuronaux pour une fonction donnée. Les fonctions cérébrales sont aussi intriquées et s’influencent mutuellement :
– en 1er, la sensorialité et la motricité ;
– en 2e, l’acquisition du langage et de la coordination ;
– en 3e, le développement des fonctions supérieures et psychoaffectives.
Notre responsabilité est grande auprès du tout-petit pour accompagner son développement en lui fournissant des informations sensorielles répétées, adaptées et bienveillantes. Au fil des consultations, le médecin de l’enfant va pouvoir donner des conseils de guidance, proposer une « stratégie du soutien actif du développement » (SSAD) individualisée. Le SSAD est réfléchi et dynamique, il s’adapte aux besoins du bébé. Il va pouvoir être plus soutenu si l’enfant présente une atypie du développement. Il est aussi un outil précieux pour repérer les atypies. On peut repérer deux étapes clés avant 18 mois-2 ans.
Première étape : jusqu’à l’âge du déplacement
Le bébé dépend totalement de l’adulte. Celui-ci veille à ce que le bébé soit entendu quand il appelle, qu’il soit confortable dans les bras, qu’il soit bien installé à l’éveil (à une distance des adultes adaptée pour son âge et ses capacités visuelles). L’adulte pense à lui donner du confort postural et à varier ses positions. L’utilisation du coussin d’allaitement pour le poser à l’éveil à côté de l’adulte évite « l’écrasement » lié à la pesanteur et aide à la régulation de son regard et de sa motricité fine. Le bébé sera alors secure et disponible pour comprendre ce qui l’entoure (figures 1, 2 et 3) (l’utilisation et la variation des positions à l’éveil limitent aussi considérablement le risque de plagiocéphalie).
Par le regard, grâce aux neurones miroirs, il va observer chacun des gestes, chacune des attitudes, des mimiques, il va écouter la parole, la chanson des mots et son environnement va influer au quotidien sur son développement cérébral. La guidance en consultation va aussi permettre aux parents d’oser accompagner le mouvement pour leur bébé. Chaque expérience motrice guidée va s’imprimer en lui, il pourra la retrouver facilement quand il aura la capacité de la faire seul, car on lui aura montré le bon chemin moteur. Les capacités de régulation motrices sont ainsi guidées en douceur dans la vie quotidienne. Si tout se passe bien, c’est l’étape où le bébé va mettre en place ses capacités d’initiative relationnelles et motrices. En profitant des moments de changes, on peut le retourner en enroulant son bassin (figure 4). Pour le prendre et le poser, on peut passer par le côté pour l’aider à dissocier le haut et le bas du corps, en le soutenant par les fesses (figure 5).
Deuxième étape : le bébé a trouvé un mode de déplacement
On observe sa fluidité, ses capacités d’initiative motrice, il peut aller vers l’adulte, le solliciter, il va explorer son environnement. Il est moins dépendant, mais l’adulte doit rester disponible et présent. C’est l’âge où ses capacités d’imitations sont maximales : les sons, les mimiques, les gestes sociaux, puis viendra le langage. L’adulte soutient les initiatives relationnelles, les demandes (figure 6).
Identification des signes d’alerte
Le carnet de santé propose des jalons qui aident le médecin à être vigilant, à évaluer la fluidité ou les atypies du neuro-développement. Il peut ainsi expliquer l’atypie qu’il a observée ou que la famille lui a décrite, donner des conseils de guidance, puis orienter si besoin. C’est un exercice difficile : nommer une atypie, donner un conseil de soutien du développement, demander à revoir l’enfant peuvent inquiéter la famille et parfois créer une rupture de soins. On pourrait préférer se donner du temps, attendre d’être sûr, attendre que la famille soit prête à entendre… Les parents nous rapportent souvent que la crèche, le médecin, leurs familles, leurs amis les ont rassurées : « Ce n’est pas grave », « Chacun son rythme », « On est tous différents »… Les parents ont perçu une différence, ont eu une inquiétude, mais ces paroles bienveillantes les ont rassurés et ils ont attendu. Ils reprocheront ensuite cette réassurance qui leur a fait perdre du temps, ces mots restent gravés dans leur mémoire et lors du diagnostic parfois tardif, ils expriment leu incompréhension devant ce discours et la perte de temps qu’ils ont ressenti.
Comment orienter la consultation ?
Connaissance du contexte familial (encadré 1)
On demande aux parents s’il existe des atypies familiales en les expliquant et en posant des questions précises. Ils décrivent alors très souvent leurs atypies du neuro-développement ou du comportement (TSA, difficultés sensorielles, précocité ou hétérogénéité intellectuelle, DYS, TDAH, pathologie psychiatrique, etc.). Dans une étude canadienne, 1 fois sur 2 un parent était porteur d’un TSA. Dans mon expérience personnelle, la présence d’un TND est très fréquente et même habituelle. Souvent ils demandent à se faire aussi diagnostiquer, car ils souffrent de ces particularités et veulent se faire aider, parfois même faire reconnaître leur handicap.
Par ailleurs, une fine connaissance du fonctionnement parental est précieuse pour parler à la famille, annoncer les atypies de leur enfant et mettre en place un suivi de guidance et des soins.
Observation du développement et du comportement de l’enfant (encadré 2)
Aucun signe n’est pathognomonique chez le nourrisson. Spontanément les parents signalent rarement les petites atypies du développement ou du comportement et il ne faut pas hésiter à leur poser des questions fermées et précises.
Avant 18 mois
Dans cette tranche d’âge, les atypies peuvent toucher tous les champs du développement.
• Niveau de vigilance : le bébé est trop calme et réclame peu l’adulte. Il peut aussi être très irritable et ne se calme pas facilement dans les bras. Les parents sont épuisés, ils ont essayé tous les traitements, tous les laits, les médecins douces, etc.
• Sommeil : il est souvent atypique. Le bébé dort beaucoup, n’appelle pas au réveil, il se présente comme un « enfant idéal » qui laisse dormir ses parents. Parfois au contraire, il ne dort qu’avec ses parents, pleure beaucoup, ne supporte pas qu’on le pose. Il peut aussi avoir des délais excessifs d’endormissement ou des réveils fréquents.
• Alimentation : souvent il n’a pas su téter au sein, il réclame peu ou mange tout le temps. La diversification et plus souvent encore le passage aux morceaux sont difficiles. Souvent, les parents doivent distraire l’enfant pour qu’il accepte de manger (ex. : avec le portable !). Il est souvent très sélectif, refuse les textures nouvelles et les goûts nouveaux, il est très ritualisé.
• Régulation des émotions : il peut faire des crises de colère inexpliquées. Il a des difficultés dans l’ajustement tonico-postural, il « n’aime pas » être pris dans les bras.
• Développement : son répertoire moteur est atypique avec peu d’initiatives motrices.
2 mois
Il est souvent calme, ne s’ajuste pas dans les bras, il peut être raide ou mou. « Il glisse dans les bras. » Il se met souvent en hyperextension.
4 mois
Il est souvent souriant et observateur, mais il gazouille peu ou le fait surtout quand il est seul. Il peut rire aux éclats, mais souvent seul. Il ne réclame pas souvent l’adulte. Sa motricité n’est pas bien organisée : sa préhension est peu fluide, il ne se met pas sur le côté.
5-6 mois
Il ne tend pas les bras pour qu’on le prenne, il ne se retourne pas ou le fait de façon « explosive ». Il n’appelle pas au réveil, ne réclame pas à manger. Il est encore très observateur. Il peut présenter des
postures atypiques (figure 9).
9 mois
Il a peu d’initiatives motrices, il se déplace souvent de façon atypique : sur les fesses, en rameur ; il roule pour se déplacer ; il a un rampé asymétrique. Il a encore des postures étranges. Il joue longuement avec ses mains avec des objets, il commence à faire rouler et tourner parfois les objets. Il ne jette pas, ne change pas de main. Il n’a pas de bisyllabes. Il n’a pas de gestes sociaux, ou alors, juste un « bravo » très sensoriel. Il ne répond pas à son prénom.
11 mois
Il a peu d’exploration bimanuelle, il réclame peu l’adulte, il joue longuement seul en manipulant ou, au contraire, il pleure beaucoup et ne se pose jamais sur les jeux. On observe souvent une hyperlaxité (figure 10).
1 an
Il n’a pas de mot signifiant. Sa préhension reste peu fluide, il a encore souvent une prise palmaire et peu d’activités bimanuelles, mais il est parfois très habile. Il ne tend pas la main pour demander. Il n’a pas de gestes sociaux. Il a pu marcher très tôt ou, au contraire, marcher tard. Une marche sur la pointe des pieds peut être présente ou apparaître plus tard. Les parents disent souvent : « Dès qu’il a marché, il est parti », « Il file ».
Autour de 18 mois
Les atypies présentes avant 18 mois autour du sommeil, de l’alimentation et de la régulation du comportement sont souvent retrouvées et parfois amplifiées. Les signes d’alerte de TSA sont plus facilement identifiables. Aucun de ces signes pris de façon isolée n’a de valeur prédictive, mais l’association d’au moins deux signes doit alerter.
• Atypies relationnelles : il a peu d’initiatives relationnelles. Il peut jouer longtemps seul, il est très indépendant. Il peut aussi être tout le temps collé à l’adulte. Le maintien de l’attention conjointe est difficile. Il a peu de regard adressé, de sourire partagé ; il n’a pas de pointage à distance coordonné avec le regard.
• Atypie de la réactivité sociale : il a peu de réponse au prénom. Ses parents le décrivent comme « dans son monde », « dans sa bulle ». Il n’imite pas ses parents dans la vie quotidienne.
• Atypies du langage et de la communication : il comprend peu les consignes orales, son langage expressif est atypique, souvent limité à des sons ou des syllabes répétés. Il utilise parfois un jargon. Il peut aussi avoir des écholalies, répéter toujours les mêmes mots ou expressions. Il peut, au contraire, être très en avance, avoir un langage d’adulte.
• Atypies du jeu et du comportement. Son jeu est souvent pauvre et répétitif, il aime faire tourner (les roues des petites voitures, les pédales des vélos), il regarde souvent de près les objets qu’il fait tourner et peut rester longtemps devant la machine à laver. Il aime manipuler, construire, jouer avec l’eau. Il est fasciné par les lumières, les écrans et peut devenir « addict » si on le laisse faire. Il aime souvent mettre des objets dans des trous, se cacher sous les meubles (figure 11). Il a souvent une intolérance à la frustration, il veut faire comme il veut. Pour éviter qu’on le prenne, il peut se laisser glisser comme du « chewing-gum ». Il n’a pas de jeu symbolique.
• Atypie des réponses sensorielles : il peut être hypo- ou hyperréactif. On retrouve souvent : éviter le regard, mettre les mains sur les oreilles, craindre la lumière, ne pas aimer qu’on le touche, renifler, gratouiller… Il a une exploration inhabituelle des « objets » de l’environnement, humain et physique (aligne des objets, éteint/allume la lumière).
Exemples d’outils disponibles pour aider le médecin traitant
• Outil du développement : en complément du carnet de santé, on a l’échelle de Brunet-Lézine-R. Les résultats de cet examen et les observations cliniques sont mentionnés dans le carnet de santé.
• Outil spécifique aux TSA pour enfants de 16 à 30 mois : la MCHAT que l’on peut télécharger sur Internet.
Conseils aux parents
En complément de la poursuite du soutien actif du développement, on peut conseiller à la famille le site https://deux-minutes-pour.org qui donne des conseils de guidance, et le livre L’intervention précoce en autisme pour les parents (figure 12).
Conduite à tenir en présence d’un TND ou d’un risque de TSA
Si les troubles sont déjà très visibles et persistent malgré le soutien actif du développement, il est important d’engager, sans attendre la stabilisation d’un diagnostic, l’intervention coordonnée de professionnels avec si possible un suivi associant : orthophoniste, psychologue et psychomotricien. Ce suivi pourra se faire au CAMSP ou au CMP de son secteur ou par des professionnels libéraux. Pour obtenir un financement, le médecin peut remplir le document de « Repérage des troubles du neuro-développement » (figure 13), et adresser l’enfant à la plateforme de coordination de son secteur (PCO : plateforme de coordination et d’orientation prévue dans le cadre de la Stratégie nationale autisme/TND 2018-2022) : www.handicap.gouv.fr/plateformes-tnd). Ces interventions permettent soit de lever le doute, soit de progresser dans le diagnostic tout en prévenant le surhandicap.
Orientation ou suivi selon les résultats de la consultation dédiée
Si le risque de TSA est confirmé, il est nécessaire d’orienter l’enfant vers une consultation à visée diagnostique : plateforme diagnostique de proximité de son secteur : (PDAP), ou à un pédopsychiatre et/ou un pédiatre spécialisé de 2e ligne.
Conclusion
Les TSA font partie de TND. La stratégie de soutien actif du développement (SSAD) : agir avant le repérage des atypies pour mieux les limiter et mieux les repérer. Le repérage précoce des TND est un enjeu de santé publique. La mise en place de soins pluridisciplinaires précède le diagnostic. Les plateformes de coordinations PCO permettent le financement des soins non remboursés. Les plateformes diagnostiques de proximité (PDAP) proposent un diagnostic localement pour mieux accompagner la famille dans son projet de soins et la socialisation de l’enfant.
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