publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Comportement

Publié le 28 aoû 2006Lecture 13 min

Succion du pouce : effets immédiats, à moyen et à long termes

E. Ameisen - Institut Georges Eastman, Paris
Les effets de la succion du pouce sont très variables d’un enfant à l’autre et dépendent non seulement de la durée de succion quotidienne mais, surtout, des mouvements des lèvres, des joues et de la langue associés.
La succion d’un doigt, d’un biberon ou d’une tétine est habituelle chez le nourrisson. Lorsque l’enfant grandit, le plus souvent à l’âge où les dents de lait ont fini leur éruption, il a cessé de sucer son doigt. Vers l’âge de 5 ou 6 ans, la majorité des enfants ne tète plus. Parfois, certains continuent de sucer leurs doigts ou de téter leur langue, pour « grandir plus doucement » et conserver ce geste qui les rassure.       Figure 1. Béance incisive, plus marquée à gauche, en rapport avec une succion du pouce.   Succion du pouce et maturation de la déglutition Chez un enfant qui ne présente aucun tic de succion, la maturation physiologique (transition d’une déglutition infantile en déglutition adulte) s’effectue spontanément vers 3-4 ans, lorsque la denture lactéale est en place et que l’enfant se sert de ses dents pour s’alimenter. Un tic de succion s’accompagne toujours, par définition, d’une déglutition et d’une phonation infantile. L’enfant qui tète ne peut apprendre un comportement de grand avec sa langue au cours de la déglutition et de la parole. Chez l’enfant qui présente un tic de succion, la maturation ne peut se faire. Il est donc vain de prescrire une éducation orthophonique de la position de sa langue avant de s’être assuré de l’arrêt complet de la succion du pouce. Enfin, il faut éliminer l’idée communément répandue que « sucer son pouce déforme le palais ». Les déformations ne concernent que l’arcade dentaire et l’os alvéolaire qui soutient les dents. Le palais ogival de certains enfants correspond à un visage long et non à un appui prolongé d’un pouce dans la bouche.   « Sucer son pouce ne déforme pas le palais ».   Conséquences d’un tic de succion La béance incisive Ce signe pathognomonique est le premier retentissement d’un tic de succion. Il se traduit par une béance incisive ou infraclusie (absence de contact entre les incisives dans le sens vertical) car le pouce, la langue, la tétine ou le biberon font un obstacle à l’éruption dentaire. Lorsqu’un doigt est responsable de la béance, celle-ci est plus marquée du côté où le doigt est introduit dans la bouche (figure 1). Lorsque le tic concerne un biberon, une tétine ou la langue, la béance est, le plus souvent, symétrique (figure 2). La succion d’un doigt, s’accompagnant toujours de mouvements de la langue et des lèvres associés, peut aussi conduire à une béance symétrique.       Figure 2. Béance incisive symétrique en rapport avec une succion de la langue.   Le cal sur le doigt sucé     Figure 3. Cal de succion sur le pouce gauche   Un autre signe qui ne trompe pas est la présence d’un ou de plusieurs cals sur le doigt concerné (figures 3 et 4). Ce cal est un témoin très fiable pour suivre la progression de l’arrêt de la succion : il disparaît environ 3 mois après l’arrêt complet de la succion du doigt.       Figure 4. Cal de succion sur l’index droit.    Décalage sagittal des incisives Les incisives supérieures s’inclinant vers l’avant, le décalage entre les incisives sera dans le sens sagittal. Parfois, ce décalage est si important que les incisives supérieures sortent de la bouche, devant la lèvre inférieure (figure 5).     a b c Figure 5. Béance incisive sagittale, dents en avant et interposition des lèvres.  a. Bouche fermée, b. Bouche ouverte de face, c. Bouche ouverte de profil.    Autant la béance verticale se guérit d’elle-même par le simple arrêt de la succion, autant le retour vers l’arrière des incisives supérieures est bien plus difficile à obtenir spontanément, surtout si les dents sont retenues en dehors par la lèvre inférieure qui s’interpose.   Retentissement sur les molaires Le retentissement de la succion du pouce peut s’exercer aussi sur les molaires, dans le sens transversal, par contraction des muscles buccinateurs et interposition de la langue. Les petites fossettes, si mignonnes au coin des lèvres, en sont souvent le témoin. Absence de conséquences dentaires Enfin, il arrive qu’un tic de succion ne provoque aucune déformation de l’arcade dentaire. Cette absence de conséquences est indépendante du temps passé à cette activité mais dépend des mouvements des muscles associés. Dans ces cas-là, il est important d’insister sur le fait qu’il n’est pas nécessaire, d’un point de vue stomatologique, de demander de cesser cette habitude puisqu’elle n’est pas nocive pour les dents. La décision pourra être prise, mais pour d’autres motifs (hygiène, psychologie et selon l’avis du pédiatre).   Principes de la prise en charge Souvent, les parents sont très inquiets de la succion du pouce de leur enfant et c’est un sujet de conflit quotidien. Chez le petit enfant Le retentissement de la succion du pouce sur les dents de lait est sans importance notable, et c’est pourquoi il est peut-être nécessaire de « laisser tranquille » un enfant en denture lactéale. Les déformations imposées à ces dents disparaîtront avec elles, au moment de l’éruption des dents définitives. Il est normal de téter lorsqu’on est petit, et si l’on commence à vouloir intervenir trop tôt, l’enfant risque de ne pas comprendre et de refuser de participer.   Vers 5-6 ans L’âge où les premières incisives définitives font leur éruption, c’est-à-dire vers 5 ou 6 ans, est un bon moment pour commencer à convaincre l’enfant que ses dents de grand évoluent et qu’il est temps d’adopter des « comportements de grand ». Les parents cherchent souvent à s’imposer et profitent de cette consultation pour dire « qu’il faut écouter le docteur », « que ce n’est pas trop tôt, depuis le temps qu’ils lui demandent d’arrêter ». Il est important à ce moment de parler à l’enfant, de lui dire que s’il souhaite arrêter, on peut lui donner les moyens de réussir mais il lui faut le souhaiter réellement. Il n’est pas question de le menacer, bien au contraire, il suffit simplement de lui proposer de l’aider. On lui demande d’y réfléchir puis de donner son avis. Dans 9 cas sur 10, l’enfant exprime le souhait d’arrêter mais dit qu’il n’y arrive pas. Plusieurs moyens simples peuvent être mis à sa disposition. On lui propose de mettre un gant ou une chaussette « propre » autour de la main la nuit ou de mettre de côté le doudou, la tétine ou le biberon. Il faut lui expliquer que si sa seule volonté est suffisante pour arrêter de sucer son doigt en s’endormant, il ne pourra pas se contrôler au cours du sommeil, où, inconsciemment, le doigt revient dans la bouche lorsqu’il rêve. C’est lui et lui seul qui doit le faire. C’est son doigt qui entre dans sa bouche, et ses dents qui seront déformées ; c’est à lui de se prendre en charge. On peut lui garantir que s’il suit la consigne, les améliorations seront déjà mesurables au bout d’un mois et demi. Il est important de répéter aux parents, en présence de l’enfant, qu’il est capable d’y arriver seul et qu’on lui fait confiance, qu’il est assez malin pour réussir. Souvent, l’enfant, trop content de pouvoir montrer à ses parents qu’il devient grand, arrête de sucer son pouce le jour même de la consultation (figure 6).     a b. c   a. Aspect initial., b. 1 mois et demi après l’arrêt, c. 3 mois après l’arrêt. Il est impératif de revoir l’enfant un mois et demi plus tard pour mesurer les progrès car cela le stimule et lui confirme son objectif. Dans 9 cas sur 10, l’enfant a arrêté ou a fait de grands efforts. Dans 1 cas sur 10, il refuse ou a fait quelques tentatives infructueuses. Il est alors encore trop jeune pour arrêter ou a des raisons affectives de ne pas le faire. Il est préférable alors de le laisser grandir un peu et de le revoir ultérieurement pour tenter de dénouer le problème.   Que faire en cas de succion de la langue ? Nous sommes beaucoup plus démunis devant la succion de la langue. Il est facile, si l’enfant est d’accord, de faire disparaître le doigt dans une chaussette ou un gant la nuit, de mettre un sparadrap ou du vernis amer dans la journée comme simple signe pour ne pas oublier qu’il a décidé d’arrêter (il doit choisir les instruments et ne doit en aucun cas être contraint). Il est simple de déposer le biberon, la tétine ou le doudou quelque part, là où l’enfant l’aura souhaité. Mais il est bien plus difficile de « tenir sa langue » car le geste reste le plus souvent inconscient. Lorsque la succion de la langue est associée à un autre mouvement, comme celui de caresser un doudou, des cheveux ou de se gratouiller le ventre, il est plus facile d’arrêter le tic de succion : le simple fait de demander à l’enfant de supprimer le geste accompagnateur peut permettre de faire disparaître la succion de la langue. « Supprimer le geste accompagnateur peut permettre de faire disparaître la succion de la langue. » Dans de rares cas, on proposera un appareil de nuit pour empêcher le passage antérieur de la langue, espérant que ce dispositif aidera l’enfant à perdre le réflexe de succion. Lorsque l’appareil est toléré, le risque se retrouve quand même à sa dépose car, si le tic réapparaît, les déformations dentaires en feront autant.   Appareillage : de très rares indications Les dangers de l’appareillage S’il n’est pas assez mûr pour s’intéresser à ses dents et n’en comprend pas l’intérêt, l’enfant ne supportera pas un appareil qui le gênera. En outre, s’il n’arrête pas de sucer son doigt, il y aura, si on obtient malgré tout une certaine amélioration, une récidive complète à la dépose de l’appareillage.     Il est dangereux d’appliquer des forces contraires à celles exercées par la succion car les dents sont alors très sollicitées d’une manière inhabituelle, d’avant en arrière et d’arrière en avant, et peuvent montrer des signes de souffrance conduisant parfois à une perte de la racine ou une diminution de l’os de soutien des dents (figure 7).   Conduite à tenir Traditionnellement, il faut : • convaincre l’enfant d’abandonner son tic de succion ; • suivre les efforts de l’enfant tous les mois ou toutes les 6 semaines environ et le féliciter à chaque fois de ses efforts ; • s’il persiste une anomalie de l’articulé incisif, c’est-à-dire si la béance s’est réduite ou si les dents ont reculé mais pas jusqu’au contact dentaire, c’est qu’il reste un trouble de la position de la langue au cours du premier temps de la déglutition et de la phonation. Ces troubles ne sont pas audibles mais sont visibles. On constate, pour la prononciation, une interposition de la pointe de la langue entre les incisives et la déglutition se fait toujours avec une mimique. Il faut alors prescrire un bilan puis 12 à 15 séances d’éducation orthophonique pour permettre à l’enfant de passer d’un mode de déglutition et de phonation infantile à un mode adulte (voir ci-dessous) ; « 12 à 15 séances d’éducation orthophonique permettent à l’enfant de passer à un mode de déglutition et de phonation adultes. »   La phonation adulte Elle se fait avec l’appui de la pointe de la langue, au cours de la prononciation des consones D, T, N, L, à la papille palatine. La pointe de la langue ne doit ni appuyer sur les dents ni s’interposer entre elles. La déglutition adulte Elle se fait avec l’appui de la pointe de la langue, au cours du premier temps de la déglutition, sur la papille palatine, c’est-à-dire au palais, juste au-dessus des incisives supérieures. Les arcades dentaires sont serrées. Les lèvres sont jointes, sans contraction ni mimique. • dans le cas où les incisives supérieures sont trop en avant et retenues hors de la bouche par l’interposition de la lèvre inférieure, l’orthophoniste ne pourra pas entreprendre les séances car il sera gêné pour apprendre à l’enfant à garder les lèvres fermées. Dans un premier temps, après s’être assuré de l’arrêt total de la succion du pouce, il faudra appareiller l’enfant pour lui rentrer ses dents dans la bouche avant d’entreprendre l’éducation orthophonique. Parfois, et même le plus souvent, le simple arrêt de la succion du pouce est suffisant pour corriger les déformations et permettre à l’enfant de passer spontanément des modes de déglutition et de phonation infantiles aux modes adultes.   Conclusion     Figure 8. Béance et polycaries sur les dents définitives par succion de biberons d’eau sucrée.   Il est préférable que le tic de succion disparaisse au moment où poussent les premières dents définitives. Il faut néanmoins savoir que la plupart des déformations causées par ce tic guérissent spontanément, et ce, quel que soit l’âge où l’enfant décide d’arrêter. Sont particulièrement ennuyeux les cas où : – la succion d’un biberon d’eau sucrée ou de lait entraîne, outre les déformations dentaires, des polycaries sur les dents lactéales et si cette habitude persiste tardivement, des caries sur les dents définitives (figure 8). Il est intéressant de noter que, dans ces cas, les caries atteignent plus volontiers les dents de l’arcade supérieure que de l’arcade inférieure. Cela est dû à la position de la langue au cours de la tétée. Celle-ci s’interpose entre les arcades et permet au liquide sucré de rester dans la moitié supérieure de la bouche ; – la succion du pouce a entraîné une inclinaison importante des incisives supérieures vers l’avant, car si les dents sont retenues ensuite par les lèvres, en dehors de la bouche, elles seront 7 fois plus exposées aux traumatismes que des incisives en position normale. On sera donc pressé de motiver l’enfant pour obtenir qu’il arrête de sucer son pouce avant de pouvoir l’appareiller et lui rentrer les dents, à l’abri, dans sa bouche au plus vite. Il ne faut jamais appareiller un enfant qui suce son pouce.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  • 14 sur 15

Vidéo sur le même thème