Publié le 14 mar 2007Lecture 11 min
Ces enfants que l’on voudrait adultes… trop tôt…
C. GRAINDORGE - Fondation Vallée, Gentilly
Des bébés « tyrans » aux enfants « tyrans »… il n’y a qu’un pas. Il semble que les enfants d’aujourd’hui soient plus hyperactifs, présentent plus « de troubles des conduites », en tout cas moins de limites, de repères. Seraient-ils en manque de créativité ? À leur demander d’être adultes trop tôt, ne les aiderions-nous pas assez à construire une aire transitionnelle suffisamment élargie ? Les messages médiatiques en rajoutent : tous les bébés se doivent d’être précoces, de ne pas gêner leurs parents, et de répondre à une image de développement rapide, réglée, parfaite.
On lit partout qu’il faut stimuler les bébés pour accélérer la mise en place de leur capacité, et les fabricants de jouets ou d’ordinateurs accélèrent encore le mouvement : des logiciels pour tout petits, aux jeux éducatifs pour les très jeunes enfants, tout s’emballe. Notre société ne donne-t-elle pas assez de contenance par-excitante à nos enfants pour que ceux-ci trouvent véritablement leur rythme pour grandir ? Quels enfants en 2007 ? L’enfant d’aujourd’hui se doit d’être parfait, puisque la science, la technique, doit aider à le fabriquer sans dysfonctionnement. Puisque né parfait, il se doit ensuite de se développer vite et bien. Pourtant, pour grandir, un enfant a d’abord besoin de se situer dans une certaine dépendance avec ses parents. Pour aménager les espaces de liberté, pour être capable d’exister seul à une certaine distance de ses parents, il doit d’abord s’approprier ceux-ci, pour se sentir en sécurité à l’intérieur de lui-même. Les parents doivent donc accepter cette dépendance, ce qui entraîne généralement l’abandon de certains loisirs ou de certains modes de vie, avec un recentrage sur l’enfant. Ils peuvent alors fournir à l’enfant un cadre assez « secure » pour qu’il ne soit pas envahi par trop de stimulation. Cette fonction de par-excitation est essentielle. Or, aujourd’hui, certains parents semblent en difficulté pour assumer à la fois cette dépendance et cette protection. Ils renâclent à abandonner des activités essentielles pour eux, et du coup, y associent leur bébé parfois de façon un peu inadaptée… Faire du roller en poussant une poussette tout terrain en plein milieu de Paris… est-ce vraiment la meilleure activité à partager avec son bébé de 4 mois le dimanche matin ? Les parents ont aussi une fonction de présentation du monde au bébé. Cette fonction doit être adaptée à l’âge de celui-ci. Quand on porte un très jeune bébé en kangourou, on lui présente le monde en le lui racontant. Bien calé contre nous, le visage niché dans notre cou, il peut entendre les bruits de la rue et, peu à peu, naviguer avec nous dans un monde véritablement extérieur à lui. Si nous le plaçons le visage face à la rue, tout devient différent. Quand il est trop jeune, il est assailli par une multitude de stimulations, et le monde extérieur, au lieu d’être attrayant devient inquiétant, voire véritablement dangereux. De trop d’excitation à la dépendance… Quand les bébés trop jeunes sont beaucoup et trop stimulés, ils peuvent développer une véritable « addiction » à la sensation, à la stimulation. Au lieu d’être calme, et de demander du calme pour aller bien, il demande au contraire un surcroît d’excitation permanente, ce qui provoque encore plus d’excitation, etc. Ce cercle vicieux fait le lit des troubles du sommeil, des crises d’agitation, etc. Certains parents essayent alors de calmer le jeu en leur proposant des activités éducatives pour cadrer un peu les choses. Cependant, les jeux purement éducatifs, faits pour développer l’intellect des enfants, ne leur permettent souvent pas d’exprimer une créativité personnelle. Dans le jeu, la chose la plus importante est sans doute l’appropriation par l’enfant du jouet. Il peut véritablement transformer sa fonction, en créant ses premières métaphores ludiques. Par exemple, transformer un petit morceau de pain en camion est un jeu extrêmement positif, puisque l’enfant créé véritablement du sens et nous le communique. Nous pouvons ensuite échanger avec lui autour de ce qu’il invente. Pourtant, beaucoup de messages médiatiques nous proposent des jeux préformatés, pré-câblés. Ainsi, les logiciels d’ordinateur pour tout petit (18 mois) proposent à l’enfant des choix souvent binaires. Cela peut tout à fait intéresser les enfants mais ne développe pas du tout leurs capacités à gérer leurs émotions et au contraire les enferme plutôt dans un monde un peu trop simpliste, maîtrisable, contrôlable, et dans une temporalité qui ne renvoie pas du tout à la « vraie » vie. Inventer une histoire avec des bonshommes, jouer au papa et à la maman, donner une fessée à son nounours, c’est tout autre chose ! Des adultes en manque de repères Il est vrai que beaucoup d’adultes parents semblent en manque de repères. Certaines émissions télévisées en rendent d’ailleurs bien compte. De « On a échangé nos mamans » à « Supernany », les adultes apparaissent comme démunis face à leurs enfants, en mal de « recettes » éducatives, ou de confrontations à d’autres, pour arriver à mieux assumer leurs rôles de parents. Par ailleurs, ces émissions ne montrent que des séquences rapides, avec des solutions quasiment miraculeuses à des problèmes pourtant beaucoup plus complexes. On peut aussi noter qu’un certain nombre d’enfants plus grands consomment des émissions qui ne correspondent pourtant pas du tout à leur âge. « Caméra café » ou « Camelot », peuvent faire rire les adolescents ou les pré-adolescents. À 5 ans, c’est beaucoup plus compliqué… La plupart des enfants qui regardent ces émissions en famille, rient, s’excitent, sentant bien que ce qui est en jeu est une histoire d’adultes. Ils n’ont pas accès au sens profond, mais rient finalement du non-sens. Cela bloque également leur créativité à eux, leur imagination. Abreuvés par des histoires écrites au fond pour les adultes, ils en perdent le sens de l’enfance… Ne parlons même pas de la télé réalité : de « Fearfactor » à « Koh-Lanta », certains enfants jeunes visualisent des images véritablement traumatiques pour eux. Enfin, des émissions telles « Le Loft », « Nice people », « Bachelor » véhiculent une image très particulière des liens soi-disant amoureux entre adultes. S’agit-il d’amour ou de sexe ? On a l’impression souvent que tout est mensonge, manipulation et aussi excitation. À la période œdipienne, ce type de spectacle reste extrêmement problématique puisqu’il nivelle les différences de génération, et propose une vision à la fois excitante et négative des relations entre hommes et femmes. Et la violence ? On ne peut non plus oublier certains jeux vidéo qui sont véritablement impressionnants à la fois dans leur contenant et dans leur contenu. Ils sont extrêmement stimulants, pleins d’images rapides, de sons extrêmement forts, de musiques lancinantes. Les enfants disent d’ailleurs « on en prend plein les yeux. » Ces sur-stimulations permanentes, quand les enfants restent des heures, plusieurs heures par jour devant leur écran, sont assez négatives. Elles concourent à l’effraction du système de par-excitations décrit plus haut. Le contenu de ces jeux est également inquiétant. « The Warriors » défend ces couleurs : « homicides sanglants, sans gants mais avec gang. » Un commentaire rajoute « violent, vous en ne restez pas moins artiste. Entre deux rixes, exprimez donc votre génie sur les murs des territoires adverses ». « City of villains » exhorte : « faites le mal…, mais, faites le bien ! », un autre jeu guerrier affirme : « déchaînez vos instincts de prédateur. » Ce type de mélange est extrêmement néfaste dans la tête de jeunes enfants s’ils n’ont pas d’autres messages à se mettre sous la dent ! Dans tous ces jeux, des scènes de violence sont très fortes, voire véritablement sanguinolentes. On peut abattre à main nue un partenaire, visualiser la blessure qu’on a produite, en rajouter. Les images de synthèse sont de plus en plus réalistes, et de très jeunes enfants, soumis à ce type de spectacle régulièrement, peuvent perdre un certain sens de la réalité. Parfois les mélanges sont encore plus compliqués, puisque des policiers deviennent de véritables brigands, ou que le jeu exhorte à une violence illégale. Il est alors question d’écraser des piétons et de gagner plus de points si ces piétons sont des femmes enceintes ou des vieillards ! Ou bien defabriquer une émeute urbaine et de faire exploser les commis-sariats… Si chez l’adolescent ou l’adulte de tels messages peuvent être relativisés, pris au second degré, s’ils sont consommés trop tôt par des enfants qui n’ont pas encore intégré des processus secondaires de pensées suffisants et un Surmoi assez solide, ils peuvent représenter de véritable appel à la violence puisque, du fait de leur existence même, l’enfant peut avoir l’impression que tout cela est comme dans la vraie vie. Des modes de consommation dangereux Il est clair que tous ces outils qui mettent à disposition plus d’images et moins de mots, sont plus dangereux lorsqu’ils sont consommés en toute passivité par des petits et sur de longs temps. Ils aboutissent à une sorte de sur-stimulation, pas du tout adaptés aux capacités de « digestion » de l’enfant. Quand les adultes partagent avec eux, ce qui est difficile c’est la confusion : quand ceux-ci peuvent commenter en montrant le négatif de certaines histoires, cela peut arranger les choses. Mais quand les adultes sont à parts égales avec les enfants, dans la même excitation… cela pose problème. Par ailleurs, il est clair que certains enfants mettent en place de véritable processus d’imitation de ces jeux, et, quand ils sont très jeunes, n’intègrent aucune notion de culpabilité dans ce type de violence. Ils ont l’impression que dans la vie c’est comme dans les jeux, et quand on tape, ce n’est pas si grave que ça. La souffrance de l’autre, les capacités d’identification à l’autre, sont alors difficiles à construire ! Évidemment, ce qui est compliqué dans notre société, c’est le phénoménal renforcement de ce type de message par la puissance répétitive de l’image. Présente partout, elle sur-stimule, envahit, et nous devons davantage en protéger nos enfants. Quelles conséquences pour la vie psychique des enfants ? Tout ceci pose plusieurs problèmes dans un monde pareil, les enfants ont sans doute plus de mal à intégrer des limites, certains peuvent penser que tout est possible. Par ailleurs, la sidération traumatique de certaines images peut tout à fait toucher les capacités de penser des plus jeunes. La visualisation de la sexualité adulte, provoque une véritable effraction dans la construction des théories sexuelles infantiles, excite les enfants et les pousse à mettre en actes, dans la répétition, ce qu’ils ont vu à l’écran. Certains se construisent une vision véritablement dégoûtante ou sadique de la sexualité des adultes et peuvent être par ailleurs très déroutés du partage de ces images avec les parents, sans problème apparent. Chez les plus grands, l’entrée en latence peut être compliquée. En effet, on peut assister à un véritable débordement de leurs systèmes de par-excitation avec le développement d’une sexualité infantile « adultifiée », sans culpabilité, avec des comportements d’abus des plus petits. Le risque est bien sûr pour certains de rester « addictifs » à ce type d’excitation, en même temps qu’ils deviennent des désabusés de la vie et des relationshumaines, dépendant des sensations et non des émotions. Ce sont des enfants sans doute plus difficiles à surprendre, plus cyniques, qui gardent en tête le message que « tout est possible si on en a envie », comme si le plaisir personnel était la seule valeur de la vie. L’autre n’existe finalement alors que comme un objet de soumission et pas comme un véritable partenaire. À l’adolescence, certains peuvent s’enfermer dans un monde quasiment virtuel, n’ayant plus d’amitié dans le vrai monde, mais développant de multiples contacts sur les « chats » ou sur « MSN ». Conclusion Dans une société du narcissisme, avec moins de repères clairs et institutionnalisés, rester parents devient un véritable challenge ! Le poids de l’image, des médias, étant de plus en plus extensifs, les parents, pour le rester, doivent à la fois composer avec le réel et expliquer leurs réticences. Au risque de passer pour des réactionnaires, ils doivent pourtant défendre l’idée qu’il faut du temps et de la protection, pour grandir. Ils peuvent réaffirmer que les limites sont structurantes et que les différences générationnelles le sont aussi. Les interdits, même s’ils sont contournés, doivent être posés et hiérarchisés à l’enfant, pour qu’il les intègre, et se construise, pas à pas. Alors et alors seulement, il pourra développer sa créativité, ses capacités de métaphorisation, qui pourront l’aider à devenir « ce qu’il est », un adulte… en devenir.
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