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Pédiatrie générale

Publié le 21 sep 2009Lecture 10 min

Retard inexpliqué de la marche : une urgence « historique »

Aurélie, âgée de 14 mois, est adressée aux urgences pour rachitisme… Quelques jours auparavant cette enfant avait été amenée en consultation par ses parents préoccupés en raison d’un retard d’apprentissage de la marche, mais surtout inquiets du refus caractérisé de l’enfant de se mettre debout.
Histoire clinique Le médecin consulté a demandé des radiographies des membres inférieurs. C’est au vu des résultats qu’il adresse Aurélie directement aux urgences en précisant que cette enfant a régulièrement reçu des doses de vitamine D avec une exposition au soleil tout à fait normale. Aurélie est la cinquième enfant d’une fratrie de cinq, sans antécédents particuliers, mais dont le père présente une spondylarthrite ankylosante. Elle est née à terme (38 SA) au poids de 4 800 g pour une taille de 54,5 cm et un PC de 35 cm. La mère n’avait pas reçu de supplémentation en vitamine D pendant la grossesse, mais la lecture du carnet de santé retrouve une prise de vitamine D régulière d’Uvesterol® (dose n°1) chaque jour jusqu’à 3 mois puis de 80 000 UI à 3, 6, 9 et 13 mois. L’état général est excellent avec un poids de 9 750 g, une taille de 75,8 cm, avec une inflexion des courbes de croissance en poids et taille depuis l’âge de 9 mois environ (figure 1).   Figure 1. Courbe de croissance d’Aurélie au diagnostic. Il existe un refus de l’appui avec une déformation évidente des membres inférieurs. La palpation des poignets retrouve des nouures métaphysaires et il existe même un craniotabès. L’auscultation cardiopulmonaire est normale, la pression artérielle à 110/ 72 mmHg. Il existe une hépatomégalie débordant de 1 cm le rebord costal, un peu ferme, sans splénomégalie, mais il n’y a pas d’ictère, pas de prurit, et le transit est normal. Le développement psychomoteur et intellectuel paraît tout à fait satisfaisant. Les radiographies sont apportées par la mère en consultation (figures 2, 3, 4 et 5), quelle interprétation en faites-vous ? Figure 2. Radio de bassin : ostéopénie,  retard de maturation des noyaux d’ossification. Figure 3. Radio de fémur : élargissement de la métaphyse, défaut d’accrétion calcique.     Figure 4. Radio de thorax : chapelet costal. Figure 5. Radio de poignet : nouures métaphysaires caractéristiques. Examens biologiques • NFS : – Hb : 13,6 g g/100 ml , – GR : 4 430 000/mm3 ; VGM 87 μ3, – GB : 14 330/mm3 (PNN : 28 % ; lymphocytes 61 %), – Plaquettes : 204 000/mm3 • Glycémie : 3,4 mmol/l • Ionogramme sanguin : (mmol/l) : Na :140 ; K : 4,1 ; bicarbonates : 19 ; urée : 3,8 • Calcémie : 2, 43 mmol/l • Phosphorémie : 0,74 mmol/l • Protides : 74 g/l • Créatinine : 22 μmol/l • Vitaminémie D : 9 ng/ml (15-50) • PTH : 41 ng/l (10-65) • BU : protéinurie ++ ; glycosurie ++ • Les radiographies osseuses mettent en évidence des lésions caractéristiques d’un rachitisme, évident aussi cliniquement, qui le plus souvent est, ou était, carentiel. Mais dans le cas présent, la supplémentation semble avoir été correcte et un bilan biologique est demandé (résultats ci-contre). • Quatre éléments dans les résultats biologiques sont inhabituels et ne permettent pas de retenir le diagnostic de rachitisme commun, c'est-à-dire carentiel : – le taux de vitaminémie D est abaissé mais non « effondré » comme on aurait pu s’y attendre au vu des anomalies radiologiques ; – la calcémie n’est pas abaissée, ce qui, même en l’absence de signes d’excitabilité neuromusculaire à l’examen, était attendu au vu de l’importance de l’ostéopénie ; – la normalité du taux de PTH, ce d’autant que la calcémie normale laisse supposer une hyperparathyroïdie réactionnelle « efficace » dans la mobilisation du calcium osseux ; – l’hypophosphatémie, inhabituelle dans le rachitisme commun. La normalité du taux d’urée et de créatinine élimine de ce fait un rachitisme « pseudo-carentiel » qui serait secondaire à une insuffisance rénale chronique, pouvant évoluer à bas bruit, mais aussi être source de retard de croissance statural. Discussion  Si ce rachitisme n’est pas lié à une carence en vitamine D (« vitamino-dépendant »), c’est donc qu’il est « vitamino-résistant », terme ancien mais toujours utilisé pour caractériser, par défaut, différentes affections susceptibles de provoquer des anomalies osseuses caractéristiques d’un défaut d’accrétion calcique sur une trame protéique normale (ostéomalacie sur un os en croissance). Il pourrait donc s’agir d’un vrai syndrome de résistance à la vitamine D, dont on a pu identifier récemment une anomalie du récepteur cellulaire au 1-25 OH D3. Mais cette étiologie est très exceptionnelle et n’est rapportée que dans quelques dizaines de familles dans le monde.    La démarche diagnostique doit se faire à partir de l’hypophosphatémie, dont on peut retrouver de multiples causes aussi diverses que rares. On élimine d’emblée les rachitismes dits « oncogènes » en rapport avec une éventuelle tumeur osseuse, mais aussi des tumeurs cutanées (naevi), ou s’inscrivant dans le cadre d’une neurofibromatose de Recklinghausen, dont l’enfant est exempt de tout signes cliniques. L’hypophosphatémie répond à quatre mécanismes : Tyrosinémie et NTBC   La tyrosinémie héréditaire est liée à un déficit enzymatique, la fumarylacétoacétate hydrolase, qui conduit à l’accumulation de produits toxiques (fumaryl- et maléyl-acétoacétate) pour le système nerveux central, le foie (insuffisance hépatocellulaire) et le rein (tubulopathie). La présentation clinique se fait le plus souvent par une insuffisance hépatocellulaire dans les premières semaines de vie, pour laquelle seuls le régime dépourvu de tyrosine et, depuis quelques années, la transplantation hépatique étaient les seuls possibilités thérapeutiques.     Le NTBC inhibe la dégradation de la tyrosine par la tyrosine oxydase, créant un nouveau bloc métabolique en amont avec accumulation « seulement » de tyrosine et non plus de ses dérivés plus toxiques, comme le succinyl acétone responsable notamment de la toxicité tubulaire. Le régime de restriciton en tyrosine reste nécessaire pour avoir un taux sanguin ne dépassant pas 600 μmol/l.     L’utilisation NTBC a révolutionné le pronostic de cette maladie qui est lié à l’atteinte hépatique (40 % de survie à 1 an sous régime seul, 60 % de survie lorsque la tranplantation est possible ; 90 % à 5 ans sous traitement), mais aussi à la correction de l’atteinte tubulaire responsable d’une fuite phosphorée avec « rachitisme vitamino-résistant ».     Le contrôle du traitement (taux de tyrosine, absence de succinyl acétone dans les urines (et d’acide delta- aminolévulinique) est facile par le dosage des marqueurs biologiques spécifiques.     La surveillance du foie reste de mise en raison d’un risque possible d’hépatocarcinome (alpha foeto-protéine) et le suivi à long terme des effets du NTBC, « médicament orphelin » dont la tolérance à long terme n’est pas connue. • anomalie du métabolisme, d’origine génétique, caractérisant les rachitismes hypophosphatémiques familiaux, de transmission récessive liée au sexe, ou autosomique dominant, aussi rares que les précédents… ; • carence d’apport alimentaire, exceptionnelle en dehors de situations pathologiques comme l’anorexie mentale ; • secondaire à une malabsorption digestive, dans le cadre de cholestase ou d’une insuffisance pancréatique chroniques ; • fuite rénale, d’origine tubulaire, dans le cadre d’un syndrome de Toni-Debré-Fanconi, associant de manière variable glycosurie, protéinurieamino- acidurie, troubles de concentration des urines (syndrome poly-uropolydipsique), fuite de bicarbonates (acidose chronique), rachitisme et retard de croissance. La présence d’une petite glycosurie et protéinurie à la bandelette urinaire est un fort argument de présomption. Ce syndrome peut être primitif, secondaire à une intoxication par les métaux lourds (saturnisme). Plus souvent, il s’inscrit dans un tableau complexe de maladies héréditaires du métabolisme multi-organes, mais concernant principalement le foie et le rein, et dont l’orientation diagnostique est accessible par des examens biologiques « simples » : – intolérance au fructose ou galactosémie, glycogénose de type 1, se révélant généralement plus tôt par des vomissements avec hypoglycémie et atteinte hépatique grave (ictère, troubles de l’hémostase, insuffisance hépatocellulaire) ; – cystinose (soif intense, vomissements, retard staturopondéral sévères, dépôts cornéens), dont le diagnostic est apporté par le dosage de cystine dans les fibroblastes (accumulation lysosomale) ; – maladie de Wilson, trouble du métabolisme du cuivre avec effondrement du taux de céruléoplasmine ; – cytopathie mitochondriale, avec hyperlactatémie, modi fication du rapport lactate/ pyruvate ; – tyrosinémie héréditaire, caractérisée par la présence anormale de succinyl acétone et d’acide delta aminolévulinique dans les urines. Diagnostic   Figure 6. Courbes de croissance après 18 mois de traitement. • Dans le cas présent, après un « screening » métabolique pratiqué en hôpital de jour, c’est le diagnostic de tyrosinémie héréditaire de type 1 qui a pu être porté. • Au cours des dernières décennies, le pronostic de cette maladie a été considérablement amélioré par des mesures diététiques stricts (limitation des apports en tyrosine et méthionine), puis par l’essor de la transplantation hépatique « guérissant » le déficit métabolique hépatique, et désormais par un modificateur de ce métabolisme, le 2-(2-nitro-4-trifluoromethylbenzoyl)- 1,3-cyclohexanedione, appelé plus simplement NTBC. • Sous traitement par NTBC la correction de l’atteinte rénale, principalement liée à la toxicité de l’accumulation des métabolites anormaux liés au déficit métabolique primitif, a été progressive avec disparition du rachitisme et reprise d’une croissance normale (figure 6). Une surveillance hépatique à long terme reste cependant nécessaire en raison d’un risque possible de survenue d’une cirrhose et d’un carcinome hépatocellulaire imposant un suivi clinique, échographique et biologique (dosage de l’alphafoetoprotéine). • Un traitement par 1-alpha OH-D3 (3 gouttes = 0,3 μg/j) et une supplémentation en phosphore Phosphoneuros® (50 gouttes/j) sera bien sûr associé, avec normalisation progressive de la phosphorémie et maintien d’un calcémie stable.   Commentaire • La survenue actuelle d’un rachitisme doit faire évoquer en premier ces rachitismes dits « vitamino-résistants », car la supplémentation médicamenteuse systématique au cours des premiers mois de vie et l’adjonction de vitamine D dans les différentes formules des aliments lactés pour nourrisson (qui apportent environ 4 à 500 unités par jour) ont permis à l’heure actuelle d’éradiquer le rachitisme carentiel. • Certains enfants sont plus à risque que d’autres et doivent faire l’objet d’une prévention ciblée en fonction des facteurs de risque identifiés : – carence maternelle justifiant un apport au cours des 3 derniers mois de la grossesse ; – apports augmentés chez les enfants nés prématurés, car le stock de vitamine D venant de la mère est acquis au cours du dernier trimestre de la grossesse – apports supplémentaires en fonction de la coloration de la peau et de l’exposition au soleil ; – adjonction systématique en cas de cholestase chronique, de malabsorption (maladie coeliaque, insuffisance pancréatique), avec ajustement en fonction des taux de la vitaminémie (taux optimaux > 20- 30 ng/ml).

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