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Pédiatrie générale

Publié le 20 juin 2010Lecture 11 min

Prise en charge de la douleur aux urgences pédiatriques

R. CARBAJAL, Hôpital Armand-Trousseau, Paris

La douleur n’est plus vue comme une fatalité ou une « rançon » obligatoire à payer pour être soigné. La prise en charge des enfants aux urgences comporte très souvent des actes diagnostiques et thérapeutiques générateurs de douleur. L’agression que ces actes engendrent chez l’enfant est augmentée par le fait que la plupart d’entre eux, surtout les plus jeunes, ne comprennent pas qu’étant déjà malades et souffrants, on leur inflige une nuisance supplémentaire. 

 
Aux urgences, la douleur peut être liée aux soins mais également être le symptôme principal d’une pathologie identifiable ou non. Elle doit donc être reconnue, prévenue, et soulagée rapidement dès l’accueil par les infirmières ou dès qu’une orientation diagnostique ou thérapeutique est posée. Une analgésie adéquate, une atmosphère sereine et une présence parentale sont actuellement indispensables pour améliorer la prise en charge des enfants aux urgences. La prévention et le soulagement de la douleur induite par les actes ou la maladie sont une obligation de tous les soignants. Tout doit être fait pour empêcher des douleurs aux enfants. Une analgésie adéquate contribuera à éviter ou diminuer la phobie des aiguilles.   Évaluation de la douleur Pour traiter la douleur, il faut d’abord la reconnaître et l’évaluer. Cette évaluation est une responsabilité de tout soignant. Or, chez le jeune enfant, l’identification et l’évaluation de la douleur ne sont pas toujours faciles. Il n’existe aucune mesure objective formelle de la douleur et par conséquent nous ne pouvons l’approcher que par une mesure subjective. Nous disposons actuellement de nombreuses échelles destinées au jeune enfant. L’utilisation de ces échelles n’a de sens que si le processus d’évaluation de la douleur conduit à l’instauration ou à l’adaptation d’un traitement analgésique. Quelle échelle utiliser aux urgences ? ● Hétéro-évaluation La douleur continue ou prolongée est évaluée aux urgences avec l’échelle EVENDOL, qui a été récemment développée et validée en France (1). Elle a été validée pour l’enfant allant du nouveau-né à 7 ans. Elle comporte cinq items comportementaux simples : expression vocale ou verbale, mimique, mouvements, positions et relation avec l’environnement. Pour chaque item, quatre cotations sont possibles : 0 ou 1 ou 2 ou 3, en tenant compte à la fois de l’intensité et de la permanence du signe pendant le temps d’observation (signe absent = 0 ; signe faible ou passager = 1 ; signe moyen ou environ la moitié du temps = 3 ; signe fort ou quasi permanent). Le score peut aller de 0 à 15. Le seuil de prescription analgésique est 4/15 (tableau). Le seuil de prescription analgésique est de 4/15 sur l’échelle EVENDOL. ● Auto-évaluation Quelques enfants âgés de 4 à 6 ans peuvent effectuer correctement une auto-évaluation de leur douleur. Cependant, l’autoévaluation est délicate dans cette tranche d’âge. Les outils les plus utilisés chez ces jeunes enfants sont l’échelle visuelle analogique (EVA), les échelles de visages et le Pocker Chip (jetons de douleur). En pratique, il est rare que des enfants de moins de 6 ans puissent utiliser de façon adaptée l’EVA. Les échelles de visages sont probablement mieux comprises par les jeunes enfants car elles sont plus directes. Un bon nombre d’enfants sont capables d’utiliser ces échelles vers 5 ans. Il est important de signaler que les échelles de visages ne doivent pas comporter des visages gais ou souriants à l’extrémité inférieure comme repère de la douleur la plus faible, mais plutôt un visage neutre car ceci peut entraîner une confusion chez l’enfant.   Traitement La douleur induite par les soins est une des sources principales de douleur aux urgences. Le meilleur moyen de soulager la douleur de gestes des enfants est d’associer des moyens non médicamenteux avec les moyens médicamenteux et de respecter des règles de bonne pratique lors de gestes. La douleur induite par les soins est une des sources principales de douleur aux urgences. Moyens non médicamenteux Le personnel médical et infirmier a un rôle important pour rassurer et informer l’enfant et sa famille. On doit expliquer à la famille, et le cas échéant, à l’enfant, selon sa capacité de compréhension, les moyens analgésiques qui seront utilisés. Il faut respecter la dignité de l’enfant, éviter de parler de l’enfant sans s’adresser à lui, éviter de paraître pressé, car ceci fait très rarement gagner du temps. Il ne faut pas oublier qu’un enfant comprend beaucoup plus qu’il n’est capable de dire. ● Techniques de distraction et d’imagerie Les méthodes comportementales peuvent avoir un puissant effet chez l’enfant pour l’aider à mieux supporter la pénible expérience des soins douloureux aux urgences. Les techniques les plus simples à utiliser lors de gestes courants tels que la fermeture d’une plaie ou une ponction veineuse sont la distraction, l’imaginaire orienté (fantaisie), et la relaxation progressive. Les jeunes enfants adorent les histoires et il est profitable, pendant les gestes douloureux, de raconter une histoire à l’enfant dans laquelle il (ou elle) participe (2), car ceci aide à gagner sa confiance et contribue à sa relaxation. Les techniques de distraction sont très utiles lors de gestes, car l’enfant focalise son attention sur la personne ou le sujet de distraction plutôt que sur sa douleur. Quelques-unes de techniques de distraction sont : tenir un objet familier comme un doudou, chanter, se concentrer sur quelque chose d’agréable, faire un voyage imaginaire, souffler ou expirer, regarder la vue d’une fenêtre proche à l’aide d’un miroir, écouter des histoires ou de la musique avec des écouteurs, entre autres (3). ● Solutions sucrées, succion, allaitement maternel L’efficacité analgésique des solutions de saccharose ou de glucose à 30 %, de la succion d’une tétine et de l’allaitement maternel ont été largement démontrés chez le nouveau-né et le jeune nourrisson. L’Afssaps a recommandé en 2009 l’utilisation des solutions sucrées associées à la succion d’une tétine pour les gestes courants chez les enfants de moins de 5 mois (4). Elle a également recommandé, pour les enfants allaités et lorsque cela est possible, la mise au sein des jeunes nourrissons lors des gestes douloureux tels que les ponctions veineuses. Chez le nouveau-né et le jeune nourrisson (moins de 6 mois), la succion d’une tétine ainsi que l’administration d’une solution concentrée de saccharose ou du glucose ont montré un effet analgésique lors de gestes mineurs tels que des prélèvements sanguins(5). L’effet est plus important avant 3 mois. L’effet analgésique débute environ 1 minute après le contact de la solution sucrée avec la langue ; il est maximal au bout de 2 minutes et il dure au total environ 5 à 7 minutes. Si le geste se prolonge au-delà de 5 minutes, il est conseillé de renouveler l’administration de solution sucrée. On utilise soit une solution de saccharose de 24 à 30 %, soit la solution glucosée à 30 % (G30 % ; dose : 1 à 2 ml pour les nouveaunés à terme ou jeunes nourrissons). Il existe un effet synergique entre les solutions sucrées et la succion d’une tétine(4). L’allaitement maternel donné aux nouveau-nés lors d’un geste douloureux mineur possède un effet analgésique très puissant (5). Cette technique est très utile en maternité et en néonatologie et peut être proposée également aux urgences ou en pédiatrie pour les jeunes nourrissons allaités (4). L’allaitement maternel du nouveau-né, lors d’un geste douloureux mineur, possède un effet analgésique très puissant. Moyens médicamenteux Les médicaments les plus utilisés dans la prise en charge analgésique des gestes douloureux sont la lidocaïne pour une anesthésie locale, le mélange anesthésique prilocaïne-lidocaïne (crème Emla®, Anesderm®) et le mélange gazeux protoxyde d’azote/oxygène. Dans quelques occasions, un médicament sédatif, le midazolam, peut aussi être employé. Pour la douleur continue, les principaux analgésiques utilisés sont le paracétamol, les AINS, la codéine, la nalbuphine et la morphine. ● Morphine C’est l’analgésique majeur de référence. Elle procure une analgésie, une sédation et une anxiolyse. Elle est plus efficace pour la douleur intense et continue que pour la douleur aiguë ponctuelle d’un geste douloureux. Par voie IV, son délai d’action est de 5 min et sa durée d’action de 3 à 4 heures. La morphine, comme tous les morphiniques, est synergique avec le paracétamol. En cas de douleur intense, la voie IV est souvent préférée avec l’administration d’un bolus initial de 0,1 mg/kg suivi habituellement d’une perfusion veineuse continue à la dose de 0,5 à 1 mg/kg/j (soit 0,02 à 0,04 mg/kg/h). Pour les enfants de moins de 3 mois, commencer avec des doses de 0,01 mg/kg/h. Le soulagement d’une douleur intense nécessite d’effectuer une titration : on administre un bolus initial (souvent de 0,05 à 0,1 mg/kg) puis on attend 5 minutes. Si la douleur persiste, une deuxième dose de 0,025 à 0,03 mg/kg est administrée. Si la douleur persiste, on continue à administrer des doses similaires à la deuxième toutes les 5 minutes jusqu’au soulagement du patient. Lorsque la dose totale administrée atteint 0,2 mg/kg, il est nécessaire de réévaluer la cause de la douleur et de s’assurer clairement de l’absence d’effets secondaires. La morphine peut aussi être administrée dès le début par voie orale. Cette voie doit, d’ailleurs, être privilégiée chaque fois que cela est possible. Per os, la dose initiale habituelle est de 0,5 à 1 mg/kg/j répartie en 6 prises. Le soulagement d’une douleur intense nécessite d’effectuer une titration de la morphine.  Nalbuphine Il s’agit d’un morphinique de type agoniste-antagoniste. L’effet antalgique est inférieur à celui de la morphine. La dose est de 0,2 mg/kg IV à renouveler toutes les 4 à 6 heures ; par voie intrarectale, la dose est de 0,4 mg/kg. La nalbuphine possède un effet plafond : à partir d’une dose seuil (0,4 mg/kg), l’augmentation de la posologie n’augmente pas l’analgésie. Si la nalbuphine s’avère inefficace, il faut passer à la morphine.    Codéine La codéine est un antalgique central faible utilisé pour les douleurs d’intensité modérée. Il agit par transformation en morphine dans l’organisme. Sept à dix pour cent de la population générale est incapable de réaliser cette transformation en morphine. La dose initiale est de 0,5 mg/kg/4 à 6 h per os ; cette dose peut être augmentée à 0,75 mg/kg/prise et au maximum à 1 mg/kg/prise. La dose maximale par jour est de 6 mg/kg.    Protoxyde d’azote (MEOPA : mélange équimoléculaire d’oxygène et protoxyde d’azote ; 50/50) Il s’agit d’un mélange gazeux ayant des propriétés sédatives, anxiolytiques et analgésiques. Le pic analgésique est obtenu en 3 à 5 minutes d’inhalation et la durée d’action est brève après la fin de l’administration. Il existe peu d’effets indésirables. Il est essentiellement utilisé pour le soulagement de la douleur induite par les actes médicaux et paramédicaux. Attendre au moins 3 minutes d’inhalation du MEOPA avant de débuter le geste. En cas d’inefficacité totale au bout de 5 minutes d’inhalation, il faut savoir changer de moyen analgésique.    Paracétamol Il s’agit d’un antalgique périphérique efficace dans les douleurs peu intenses. La dose est de 15 mg/kg/prise, 4 fois par jour per os. On dispose également de la forme injectable (Perfalgan®, ampoules de 500 mg et 1 000 mg), qui est administrée à la même dose. L’AMM en France l’autorise chez le nouveau-né.    Anti-inflammatoires non stéroïdiens Ils sont utiles pour les douleurs ostéo-musculaires, la migraine et la dysménorrhée. Ils peuvent entraîner des saignements digestifs ou un dysfonctionnement rénal ou hépatique. Ils ne doivent pas être associés entre eux ni avec l’aspirine. Les AINS ne doivent pas être utilisés en cas de varicelle ni de suspicion de varicelle en raison des risques de majoration des lésions cutanées. L’ibuprofène (Advil® comprimés à 200 mg, sirop à 20 mg/ml ; Nureflex® en sirop dosé à 20 mg/ml) est administré à la dose de 30 mg/kg/j en 3 à 4 prises. L’AMM en France est à partir de 3 mois.    Crème EMLA® Il s’agit d’un mélange équimoléculaire de deux anesthésiques locaux : lidocaïne et la prilocaïne. L’anesthésie cutanée obtenue est d’une profondeur de 3 mm si la crème est appliquée pendant 1 heure et de 5 mm si elle est appliquée pendant 2 heures. Il est possible de sélectionner, à l’accueil aux urgences, des enfants qui ont de très fortes probabilités de subir une ponction veineuse et qui peuvent ainsi bénéficier de la pose de la crème EMLA® en amont de la consultation médicale(6). L’AMM est donnée en France à partir des nouveau-nés à terme.    Anesthésie locale La lidocaïne (Xylocaïne®) peut être utilisée en application topique ou en injection. La dose est de 2 à 4 mg/kg(7) ; il ne faut pas dépasser 6 mg/kg. Le délai d’action en application muqueuse et en infiltration est d’environ 3 minutes et sa durée d’action est de 20 à 30 minutes.  

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