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Gastro-entérologie

Publié le 02 mar 2009Lecture 16 min

Prise en charge actuelle de l’ictère néonatal. Quels appareils, quel rythme, quelle surveillance ?

A. SENDER, A. CORTEY - Centre national de référence en hémobiologie périnatale Hôpital Saint-Antoine, Paris

L’amélioration de la prise en charge de l’ictère du nouveauné et de la prévention de l’ictère nucléaire repose sur un dépistage instrumental quotidien et individualisé de l’ictère pour tous les nouveau-nés en maternité, une connaissance précise des modalités thérapeutiques, de leurs indications et de leurs limites permet une application rigoureuse de la photothérapie en particulier. Enfin, l’organisation d’un suivi adapté après la sortie est primordial.

Il est difficile de tracer une frontière précise entre ictère « physiologique » et ictère pathologique chez le nouveau-né. Les limites de l’hyperbilirubinémie dite « physiologique » chez le nouveau-né à terme fixées à 200- 220 μmol/l sont tout à fait arbitraires. Si des bilirubinémies élevées peuvent relever des seuls processus d’adaptation postnatale du métabolisme de la bilirubine, des bilirubinémies plus modérées peuvent être le témoin d’un processus pathologique. En pratique, c’est encore sur l’importance de l’ictère que repose la prévention de l’encéphalopathie hyperbilirubinémique.   Le bilirubinomètre transcutané (BTC) : un dépistage non invasif de l’hyperbilirubinémie Jusqu’à une période récente, le dépistage de l’ictère reposait exclusivement sur la surveillance oculaire responsable de surcomme de sous-évaluations. L’oeil sous-estime considérablement l’ictère chez de tels enfants et est responsable de retards à la prise en charge. Ce mode de dépistage doit être aujourd’hui remplacé par un dépistage instrumental utilisant les bilirubinomètres transcutanés (BTC) pour une évaluation objective et non invasive de l’ictère. Les BTC sont des réflectomètres qui mesurent, à partir de la lumière réfléchie, la densité optique de la peau à plusieurs longueurs d’onde. Plus la peau est ictérique et plus la lumière réfléchie sera appauvrie en composante bleue. Pour des populations homogènes de nouveau-nés à terme et à peau claire, il existe une bonne corrélation statistique entre les mesures BTC et les dosages concomitants de bilirubinémie (r = 0,8-0,9), ce qui a permis une application clinique pour le dépistage et le suivi de l’ictère.   Matériel utilisé  Les BTC de première génération, JM101® et 102® ne sont plus commercialisés mais sont encore largement utilisés. Ils expriment la mesure sous forme d’un index ictérique converti en bilirubinémie selon un tableau de correspondance propre à chaque appareil. Ils n’utilisent que deux longueurs d’onde (450 et 550 nm) pour la mesure expliquant l’interférence de la mélanine par exemple avec surestimation fréquente de la bilirubinémie chez les nouveau-nés à peau pigmentée.  Les BTC de deuxième génération, JM103®, Bilicheck®, Bilimed®, expriment les résultats de bilirubinémie cutanée estimée directement en mg/dl ou μmol/l, ce qui peut facilement prêter à confusion avec les résultats de dosages de bilirubinémie plasmatique. La technologie plus sophistiquée de ces appareils leur permet de s’affranchir plus ou moins parfaitement de l’interférence de la pigmentation mélanique sur le résultat fourni. Ne jamais perdre de vue que les BTC estiment la bilirubine cutanée tandis que le laboratoire dose la bilirubine plasmatique. De nombreux facteurs incomplètement identifiés (terme, poids, taux d’albumine) interviennent dans l’équilibre des concentrations de bilirubine entre les secteurs plasmatique et cutané. Cet équilibre comporte également un aspect dynamique avec un retard de l’imprégnation par la bilirubine du secteur cutané par rapport aux variations du secteur plasmatique. Tout cela peut expliquer les écarts parfois rapportés entre les mesures obtenues par différents appareils et les résultats des dosages de laboratoire à l’échelon individuel. L’utilisation des BTC a permis de réduire de plus de 50 % le nombre de dosages de bilirubine tout en assurant une plus grande sécurité dans le dépistage et le suivi de l’ictère néonatal.   Principes d’utilisation Dans tous les cas, il est nécessaire de respecter certains principes : – les mesures sont à réaliser exclusivement au niveau du front et/ou de la région sternale ; l’étalonnage n’est valable qu’au niveau de ces deux site ; – lors de mesures couplées, toujours retenir le résultat le plus élevé ; – attention au risque de sousestimer gravement un ictère par une seule mesure frontale en cas de pétéchies ou après exposition près d’une fenêtre ensoleillée ; – tout résultat de BTC doit être interprété en fonction de l’âge post-natal et du contexte clinique ; – en cas de discordance, c’est le dosage plasmatique de bilirubine qui fait foi. Au quotidien, en pratique, la qualité du dépistage de l’ictère est optimisée par l’utilisation du BTC quotidiennement chez tous les nouveau-nés. La valeur obtenue est reportée sur le diagramme journalier de l’enfant, permettant de tracer une courbe individuelle de l’ictère. Cette méthode exprime directement l’évolutivité de l’ictère pour chaque nouveau-né. Ainsi, dans une population de nouveau-nés au voisinage du terme (figure 1) : chez 30 %, le tracé reste horizontal permettant de prédire l’absence d’ictère dès la seconde mesure vers H36 ; chez 70 % des nouveau-nés, on observe une ascension très rapide des chiffres BTC, ne permettant pas à 36-48 heures de savoir s’il s’agit d’un ictère « physiologique » ou « pathologique ». Les BTC permettent une utilisation quotidienne systématique et personnalisée intégrée dans un raisonnement diagnostique. Dans l’ictère d’adaptation (60 % des nouveau-nés), la pente s’atténue très vite pour atteindre un maximum (parfois un plateau) suivi d’une décroissance plus ou moins rapide. Pour 10 % des enfants, l’ictère est « pathologique » ; la pente ascendante ne se termine qu’après plusieurs jours ; la courbe atteint des valeurs élevées si aucun traitement n’est mis en place. L’utilisation ponctuelle du BTC à partir de la surveillance oculaire, au cours des premiers jours de la vie, ne permet pas de prendre en compte le degré d’évolutivité de l’ictère, même si elle est rapportée à un nomogramme (courbes de Buthani, Maisels).     Figure 1. Les trois courbes type de l’ictère néonatal.           Enfin, ces données d’évolutivité de l’hyperbilirubinémie sont encore plus informatives si elles sont enrichies du recueil de facteurs de risque d‘hyperbilirubinémie sévère définis dans la littérature (ictère dans la fratrie, terme limite…). Cette évaluation sous forme de courbe individuelle permet de moduler la décision thérapeutique, mais aussi de fournir au moment de la sortie des arguments plus informatifs qu’une estimation ponctuelle de l’ictère.   La photothérapie L’exsanguino-transfusion (ET) a été le premier traitement symptomatique proposé pour faire baisser de manière immédiate le taux de bilirubine. Suite à la découverte, de manière fortuite à la fin des années 50, de l’action de la lumière sur l’ictère et la bilirubine (formation de photodérivés de bilirubine hydrosolubles directement excrétables au niveau intestinal et urinaire), la photothérapie (PT) n’a d’abord constitué qu’un traitement accessoire et complémentaire de l’ET. Elle s’est progressivement imposée comme le principal traitement symptomatique de l’hyperbilirubinémie du fait de sa facilité de mise en oeuvre et de ses risques mineurs par rapport à ceux d’une ET.   Recommandations d’administration Les conditions à réunir pour une photothérapie optimale ont été définies par la formule de Wiese : C = Coe-kCo(S/G)ET exprimant la concentration de bilirubine après photothérapie (C) comme la résultante de plusieurs facteurs : la concentration de bilirubine initiale (Co), la surface exposée (S), le poids (P), la durée d’exposition (T) et l’éclairement énergétique (E), c’est-à-dire la densité des photons « efficaces » parvenant au niveau de la peau. E dépend, d’une part, de la longueur d’onde de la lumière et, d’autre part, de la distance entre la source et l’enfant traité. • La lumière bleue a été reconnue de façon empirique, comme étant la plus performante. Il s’agit de la partie bleue du spectre visible (400 à 500 nm) et en aucune manière d’un rayonnement ultra-violet. De nombreuses sources de lumière ont été successivement proposées et utilisées. Actuellement, la source encore la plus utilisée en France est un tube fluorescent classique bleu à  spectre étroit dit « bleu spécial » TL20-52, dont l’émission épouse pratiquement la courbe spectrale d’efficacité photobiologique (norme DIN 5031). Plus récemment, de nouvelles sources de lumière bleue, moins encombrantes, équipent les nouveaux appareils de PT : tubes fluorescents du type « crayon » et surtout diodes électroluminescentes (DEL ou LED des Anglo- Saxons). Les LED présentent de nombreux avantages : faible encombrement, échauffement réduit, moindre coût et durée de vie prolongée. • L’énergie reçue au niveau de la peau décroît très vite avec la distance entre la source et l’enfant. Il est donc primordial de réduire le plus possible cette distance et de la ramener en dessous de 50 cm. Les appareils de PT doivent permettre de régler cette distance même si la hauteur de l’habitacle des incubateurs est un facteur limitant. Il ne faut cependant pas oublier qu’en diminuant la distance on risque plus d’échauffement. • Selon la formule de Wiese, l’effet de la PT est proportionnel à la surface exposée et inversement proportionnel au poids. Les nouvelles sources de lumière, tubes crayon et LED, ont pour inconvénient de focaliser l’énergie lumineuse dispensée et donc de diminuer la surface exposée qui souvent ne recouvre plus l’enfant dans sa totalité. De plus, l’énergie E, importante au centre, chute rapidement dès qu’on s’en écarte.   Sécurité de la photothérapie     Mesures de l’éclairement énergétique     L’évaluation de la performance d’une installation de PT fait appel à des mesures de E qui doivent être réalisées au moyen de radiomètres spécifiques ne prenant en compte que le rayonnement bleu. La qualité d’une PT est ainsi immédiatement connue sans nécessiter d’étude clinique. Suivant les radiomètres utilisés, les mesures sont exprimées en mW/cm² ou en μW/cm²/nm, unité moins appropriée. La difficulté d’interprétation des résultats est encore accrue en raison de la diversité des radiomètres utilisés pouvant donner des résultats différents pour une même source. Les mesures systématiques de tous les appareils de PT utilisés en France avaient permis de définir des valeurs d’E de 1 à 1,5 mW/cm² pour une PT efficace (radiomètreVQ 460®) et de 2 à 3 mW/cm² avec le radiomètre Baby-Blue®. Toute mesure d’éclairement devrait obligatoirement comporter la référence du radiomètre employé. Grâce à cette mesure, on peut définir trois niveaux d’efficacité de photothérapie.   Trois niveaux d’efficacité  La PT « maternisée » est une PT douce dispensée au moyen de divers dispositifs qui diffusent de la lumière par un tube crayon à travers un hamac ou par un matelas de fibres optiques. Ces appareils permettent de traiter l’enfant auprès de sa mère, car ils n’exigent ni protection oculaire ni monitorage. Son efficacité reste modérée (10 % de décroissance maximum de la bilirubinémie après 24 heures) en raison d’un éclairement dispensé sur une zone trop limitée.  La PT « conventionnelle » unidirectionnelle est appliquée par une rampe lumineuse sur un nouveau- né couché dans un berceau, ou plus souvent, placé dans un incubateur. Les appareils de ce type sont nombreux et leurs performances sont variables, fonction de l’E qui peut être atteinte (1,5 mW/cm² pour VQ 460®). L’amélioration des performances de la PT conventionnelle est permise par : – l’adjonction d’un réflecteur parabolique placé sous l’enfant couché sur un hamac transparent, qui réfléchit une partie de la lumière incidente, ou celle d’un dispositif à fibres optiques placé sous l’enfant, type photothérapie « maternisée » ; – le développement récent de nouveaux appareils de PT équipés de LED. L’E de ces dispositifs peut dépasser les 3 mW/cm² (pour VQ 460®), mais l’enfant n’est traité que sur une partie, pas toujours étendue, de la surface cutanée. Les résultats thérapeutiques (publiés) de ces dispositifs, quoique prometteurs, sont encore peu nombreux.  La PT « intensive ». L’enfant est soumis à un éclairement intense bidirectionnel (E de l’ordre de 3 mW/cm² pour VQ 460®) à la fois par-dessus et par-dessous. Cette PT, qui représente le « gold standard » actuel de la PT, conduit à des décroissances de la bilirubinémie de 35 à 40 % en 6 heures. L’indication de photothérapie exige une prescription qui s’appuie sur un dosage sanguin et non sur la seule évaluation de l’ictère par un BTC.   Conduite de la photothérapie   Les indications   Elles ont fait couler beaucoup d’encre et l’on est certainement loin d’un consensus. De nombreuses courbes d’indications sont disponibles pour aider la décision en tenant compte du taux de bilirubine, de l’âge gestationnel et postnatal, du poids de naissance ainsi que de facteurs exposant à une aggravation du risque de toxicité neurologiques (hémolyse, infection, souffrance périnatale… (figure 2).     Figure 2. Courbes de photothérapie.           Une autre manière d’aborder le problème des indications est d’introduire les types de PT disponibles au sein d’un établissement (figure 3).  La PT « maternisée » doit être réservée aux valeurs de bilirubinémie inférieures aux seuils classiques et en cas d’ictère non hémolytique.  La PT « intensive », en raison de son efficacité et de la rapidité de son action, peut être appliquée à tous les ictères, même les plus sévères et les plus évolutifs (hémolytiques). Elle peut éviter d’avoir à recourir à une ET en cas de découverte tardive d’une hyperbilirubinémie très élevée ou en cas d’échec d’une PT conventionnelle. Elle permet aussi de réduire le temps de traitement de nombreux ictères et ainsi, souvent, la durée du séjour en maternité, sous réserve d’un suivi organisé (rebond possible).  La PT conventionnelle garde un large éventail d’indications des ictères modérés peu évolutifs à sévères (dans ses versions améliorées [réflecteurs, LED…]) ; Dans chaque établissement les indications et la conduite de la PT doivent faire l’objet d’un consensus respecté et propre à cet établissement.     Figure 3. Indications de la photothérapie chez le nouveau-né apparemment, sain de poids de naissance supérieur à 2,5 kg (en dehors des incompatibilités Rhésus), en fonction de l’âge, du taux de bilirubine et du mode de photothérapie.     PT continue ou discontinue ?     Les PT maternisées et conventionnelles devront être continues par tranches minimales de 24 heures, renouvelables si besoin en fonction de l’évolution de la bilirubinémie. La PT intensive peut être discontinue par tranches de 6, 8, ou 12 heures, ce qui permettra de traiter le cas échéant plusieurs enfants à l’aide d’un seul appareil au cours d’une journée. En cas d’ictère hémolytique sévère (incompatibilités), la PT intensive doit être instituée dès la naissance et poursuivie de manière continue durant 3 à 5 jours si on ne veut pas être dépassé par le processus hémolytique, sans omettre de surveiller l’anémie.   Surveillance de l’enfant pendant la PT Les modalités de surveillance d’un enfant soumis à une PT conventionnelle ou intensive doivent être clairement explicitées aux équipes soignantes en charge de ce traitement, de jour comme de nuit. L’affichage bien en évidence sur les lieux de traitement de recommandations de cette surveillance est hautement souhaitable (encadré). La surveillance portera tout particulièrement sur le contrôle régulier de la température et du bon positionnement du dispositif de protection oculaire. Bien qu’actuellement obligatoire au cours d’une seule PT intensive, la mise en place d’un monitorage d’une fonction vitale, continu avec alarme, est recommandée pour tout dispositif de PT conventionnelle et intensive.   Suivi et évolution  Les effets indésirables de la PT sont en règle générale mineurs ; les incidents les plus sérieux (hyperthermie, deshydratation, malaise grave, etc.) peuvent être évités si les règles de surveillance sont bien respectées.  Le suivi de l’efficacité repose sur un dosage de bilirubinémie quotidien au minimum. L’usage du BTC pour surveiller l’évolution de l’ictère sous photothérapie n’est pas recommandé : un minimun de 12 h d’interruption de PT est en effet nécessaire pour que s’équilibrent les concentrations de bilirubine entre compartiments cutané et sanguin. Seule la PT maternisée autorise la poursuite de la surveillance de l’ictère par BTC au cours même du traitement, car le front et la région sternale ne sont pas exposés.  Arrêt de la PT En dehors des ictères par incom-patibilités foeto-maternelles, la PT pourra être arrêtée dès que la bilirubinémie sera inférieure à 200 μmol/l. Un contrôle 24 à 48 heures après l’interruption du traitement est obligatoire par un dosage sanguin ou par le Btc. afin de dépister un phénomène de rebond (très fréquent dans les ictères hémolytiques) qui pourrait nécessiter une nouvelle hospitalisation pour remise sous PT. Un contrôle par un dosage sanguin ou par le BTC est obligatoire 24 à 48 heures après l’interruption du traitement.   Après la sortie Tous les parents doivent être informés du risque d’ictère et de la conduite à tenir en cas de découverte ou d’une majoration d’un ictère après la sortie. L’ictère doit être mentionné dans le carnet de santé (avec valeur de bilirubinémie page 7) ; il est conseillé de préciser l’étiologie ainsi que le traitement pour optimiser le suivi en externe et à long terme. La sortie doit être sécurisée par l’organisation d’un suivi externe (avec bilirubinémie ou BTC ± NFS) à plus ou moins court terme (48- 72 h), chaque fois que l’ictère n’aura pas encore amorcé sa phase régressive, qu’il n’aura pas fait sa preuve étiologique ou qu’il aura été traité dans les 48 heures précédentes.  

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