Publié le 03 mar 2016Lecture 7 min
Conduite pratique raisonnée devant une constipation du jeune nourrisson
O. MOUTERDE, CHU de Rouen, Université de Sherbrooke (Canada)
La constipation du jeune nourrisson est fréquente (17 à 40 % des constipations de l’enfant). Elle concerne 3 % des consultations de pédiatres et 25 % de celles des gastropédiatres, et commence avant 1 an. Les étiologies sont diverses, parfois graves et peuvent être classées selon plusieurs catégories : l’occlusion néonatale, la constipation organique, la constipation secondaire et la constipation fonctionnelle.
Cet article propose cette classification des diagnostics et insistera surtout sur la prise en charge de la constipation fonctionnelle. Il nous a cependant paru intéressant d’élargir le problème au retard, à l’absence ou à une anomalie d’exonération dès la période néonatale, afin de guider le praticien de façon plus complète vers le diagnostic et le traitement de tels symptômes.
Arbre décisionnel devant une constipation chez un nourrisson.
L’occlusion néonatale est un chapitre à part que nous ne détaillerons pas. C’est le mode de révélation fréquent de la maladie de Hirschsprung, mais aussi des atrésies, de l’iléus méconial, du volvulus anténatal, des imperforations anales, etc. Le diagnostic est évident, ainsi que la prise en charge urgente en milieu chirurgical.
La constipation organique est un autre chapitre, avec trois directions possibles, qui permettent de prévoir ou d’expliquer des troubles de la défécation à début précoce, sans occlusion. Un retard d’élimination du méconium est un premier signe, 99 % des enfants l’émettant dans les 48 premières heures. Les signes d’alerte sont repris dans le tableau ci-dessous.
L’enfant avec une anomalie du dos
Une tache, une touffe de poils, une fossette au niveau du sacrum, ainsi qu’une déviation du pli fessier sont des indices d’éventuelles anomalies médullaires sous-jacentes. L’examen du nouveau-né permet de repérer ces signes et d’approfondir l’examen neurologique : membres inférieurs, réflexe crémastérien. Une échographie est réalisable jusqu’à l’âge de 1 mois pour rechercher une anomalie sous-jacente. L’IRM est l’examen de référence au-delà de cet âge. Un traitement laxatif peut permettre d’éviter la constitution d’une constipation sévère avant un éventuel traitement étiologique.
L’enfant avec une anomalie du périnée
L’examen clinique peut montrer une sténose anale (l’anus du jeune nourrisson doit pouvoir admettre le petit doigt), un anus anormal (fistule) ou un anus antéposé. L’antéposition de l’anus peut être une forme mineure de malformation ano-périnéale. La distance entre la fourchette vulvaire ou le scrotum et l’anus doit dépasser 12 mm. Une autre façon de mesurer est de faire le rapport entre la distance anus-pointe du coccyx et la distance organes génitaux-pointe du coccyx. Le rapport doit être au-delà de 0,34 chez la fille et de 0,46 chez le garçon. Les malformations ano-périnéales sont parfois associées à d’autres malformations (syndrome de VACTERL notamment) qui doivent être recherchées. Les symptômes peuvent être des difficultés d’exonération, des efforts répétés de poussée, un ballonnement, des selles rubanées, striées de petit calibre. Une antéposition de l’anus modérée sans sténose peut se manifester par une constipation d’allure fonctionnelle. Un traitement laxatif peut permettre d’attendre les explorations et le traitement, entraînant ainsi des selles molles émises moins difficilement.
La constipation organique sans anomalie du dos ou du périnée
Cet enfant va présenter une constipation associée à un des signes d’alerte suivants : retard de croissance, débâcles lors de manoeuvres endo-anales, subocclusions. De cette manière se révélent les maladies de Hirschsprung courtes, ainsi que certains obstacles ou la pseudoobstruction intestinale chronique (POIC, famille de neuropathies ou myopathies digestives). À début souvent précoces, ces symptômes peuvent être retardés jusqu’au sevrage, du fait d’un effet prokinétique et laxatif du lait maternel. L’expérience montre que certains enfants peuvent souffrir de constipation d’allure organique pendant des mois ou des années sans susciter d’inquiétude et bénéficier d’explorations adéquates. Le risque, par exemple dans la maladie de Hirschsprung, est l’entérocolite, pouvant survenir à tous âges. Les examens envisagés, dans ce cas, sont la rectomanométrie, le lavement opaque et la biopsie rectale profonde.
Constipation secondaire
La constipation secondaire peut être due à diverses situations ou pathologies : hypothyroïdie, hypercalcémie, médicaments ralentissant le transit, intolérance au gluten, allergie aux protéines du lait de vache (APLV). Ce dernier diagnostic peut être évoqué devant une constipation rebelle, associée à des antécédents ou des signes d’allergie (eczéma). Il peut justifier un traitement par hydrolysat poussé. Un patch-test positif peut aider à conforter le diagnostic. Le simple effet favorable du régime sur la constipation ne permet cependant pas d’affirmer à coup sûr le diagnostic d’APLV, les hydrolysats en eux-mêmes ayant un effet sur le transit en dehors de leur propriété hypoallergénique, contrairement à certaines préparations à base de lait de vache qui favorisent la constipation (voir ci-dessous).
Les troubles neurologiques généraux comme le polyhandicap, les anomalies de paroi sont aussi cause de constipation.
Constipation fonctionnelle
La constipation fonctionnelle est la plus fréquente, avec quelques situations typiques du jeune nourrisson. Le premier problème est celui de la définition, les critères officiels dits « de Rome III » comportent 6 critères, dont 5 sont inadaptés au jeune nourrisson (fécalomes, attitude de rétention, encoprésie, moins de deux selles par semaine, selles rares et volumineuses). Le critère diagnostique pourrait être : selles trop dures difficiles à émettre. Cela peut s’associer à une irritabilité et une baisse de l’appétit. Le diagnostic est clinique et aucun examen n’est indiqué, en particulier la radiographie d’abdomen.
• La dyschésie est décrite par les critères de Rome. Il s’agit en fait d’une fausse constipation chez un enfant qui pousse plus de 10 minutes avant d’émettre des selles normales. Ceci est attribué à une mise en place des mécanismes de défécation chez le jeune nourrisson.
• La constipation au lait maternel est classique, bien que peu expliquée par la littérature. Certains enfants allaités peuvent n’émettre des selles qu’à intervalle de quelques jours, voire semaines. Le record publié est de 1 selle par mois pendant 3 mois. Chez un enfant à examen et croissance normaux, sans ballonnement, ni vomissement, il s’agit d’une variante de la normale qui doit faire rassurer les parents. Une augmentation de la ration hydrique est parfois proposée.
• La « tendance à la constipation » est une entité mystérieuse mais stéréotypée. Un nourrisson avec souvent des ATCD de constipation dans la famille est constipé dès les premières semaines ou jours. Il n’a aucun signe de constipation organique et un examen normal. Le risque est une aggravation avec le temps, dès que l’enfant est capable de se retenir volontairement pour éviter d’avoir mal. Une recto-manométrie peut être logique dans les cas sévères, du fait du caractère primitif des troubles, à la recherche de la mythique forme ultra-courte de maladie de Hirschsprung. Les conseils diététiques et souvent les laxatifs permettent de temporiser jusqu’à obtenir une alimentation diversifiée, riche en fibres, et la coopération de l’enfant pour éviter les attitudes de rétention volontaire.
• La constipation au sevrage est classique. Il faut rechercher des signes d’organicité, comme décrit ci-dessus. Les interactions entre calcium, lipides, caséines, amidon et transit sont connues. Si un changement de lait est utile, il faudra pencher vers une préparation respectant les recommandations européennes et françaises, contenant plutôt des lipides structurés, du lactose, des protéines solubles et éventuellement de la caroube (chez le régurgiteur). L’APLV peut aussi entrer dans ce cadre, comme indiqué ci-dessus. Des boissons suffisantes et la diversification sont aussi des éléments qui peuvent améliorer les choses.
• Ultérieurement la grande cause de constipation est l’éducation : acquisition de la propreté dans de mauvaises conditions, refus de défécations à l’école, avec le cap des 3 ans, 6 ans et 11 ans, bien connu des gastropédiatres. Il est utile de prendre les devants pour préparer ces étapes.
Utilisation des laxatifs chez le jeune nourrisson
La situation est assez simple en ce qui concerne le choix. Pour l’indication, nous l’avons vu, elle est à poser dans certaines constipations organiques comme la tendance à la constipation, parfois la constipation au sevrage, ainsi que certaines constipations non décrites ci-dessus (constipation liée à une maladie saisonnière, une fissure, une rétention volontaire chez l’enfant plus grand) ou non améliorées par de simples conseils diététiques. Les grandes règles sont qu’il ne faut jamais laisser un jeune enfant avoir des selles volumineuses, dures et émises avec douleur, que les laxatifs conseillés ne sont pas dangereux et n’affaiblissent pas la motricité contrairement à la constipation.
• Les eaux fortement minéralisées sont déconseillées chez le nourrisson. Elles sont inefficaces et potentiellement dangereuses. L’eau la plus utilisée s’écarte pour plusieurs paramètres des recommandations de l’AFSSA de 2003 sur les eaux pouvant être utilisées chez le nourrisson sans risque sanitaire. Cette contre-indication figure sur l’étiquette.
• Le lactulose et le lactitol ont l’AMM pour le nourrisson dès la naissance. L’effet est souvent modeste et temporaire, mais ces médicaments peuvent suffire dans une constipation du jeune nourrisson. Les effets secondaires peuvent être ballonnement, flatulence et douleurs abdominales.
• Le PEG est le plus utilisé et le plus efficace. Son AMM débute à 6 mois. Le risque décrit mais exceptionnel est l’allergie. Les consensus plaident pour une utilisation à dose suffisante (QSP obtenir des selles molles), et prolongée.
L’huile minérale est moins utilisée et ferait courir le risque d’inhalation chez le nourrisson.
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