Néonatologie
Publié le 07 oct 2010Lecture 7 min
PMA : incidence des malformations congénitales
G. VIOT*, S. EPELBOIN**, F. OLIVENNES***, Comité Scientifique de la Société Follow-Up**** *Maternités Port-Royal/Saint Vincent de Paul, Paris ; **Maternité, hôpital Bichat, Paris ; ***Paris ; ****Poissy
Depuis la naissance en 1978 de Louise Brown en Angleterre, premier « bébé éprouvette », et 4 ans plus tard d’Amandine en France, la possibilité d’un lien entre malformations congénitales et procréation médicalement assistée (PMA) a fait l’objet de plusieurs publications. Aujourd’hui, on estime que plus de 200 000 enfants français ont été conçus par PMA. Il s’agit donc d’un problème de santé publique. Si les premières études semblaient plutôt rassurantes, plusieurs rapports ont alerté depuis 2004 en rapportant un risque malformatif significativement supérieur à celui attendu chez les enfants conçus naturellement.
Créée en 1998, la société Follow-Up AMP vigilance a pour vocation d’assurer le suivi d’enfants nés après PMA. Actuellement, une quarantaine de cliniques et services hospitaliers spécialisés dans l’aide à la procréation participent à ce projet. L’analyse prospective présentée ici porte sur 15 162 enfants entre 2003 et 2007, ce qui représente la plus grande cohorte jamais rapportée. Les informations médicales obtenues pour chacun des enfants le sont à partir de questionnaires adressés aux parents le jour de la naissance, puis à 4, 9, 12, 24, 36 et 60 mois. Ces questionnaires sont remplis dans un tiers des cas par le médecin traitant ou le pédiatre de l’enfant et dans deux tiers des cas par les parents. À noter que les parents ont le souci d’apporter un maximum d’informations concernant leur enfant et que l’envoi répété de questionnaires limite considérablement la perte d’informations. Sur cette période, les « perdus de vue » étaient au nombre de 758 (5 %), le plus souvent expliqués par des déménagements à l’étranger. Parmi les questionnaires reçus, seuls 57 étaient non contributifs (informations médicales inexploitables malgré des relances téléphoniques auprès des parents). Définitions des malformations La définition retenue pour distinguer les malformations majeures des malformations mineures a été celle proposée par Smith et Holmes, qui considèrent que les malformations majeures sont celles qui relèvent d’un traitement chirurgical, qui ont un retentissement fonctionnel et qui peuvent entraîner le décès du patient. Toutes les autres malformations sont considérées comme mineures. Lorsque plusieurs malformations étaient rapportées chez un même individu, seule la plus sévère a été colligée. La prévalence de chaque malformation a ensuite été comparée avec celle attendue dans la population générale. Résultats Dans cette cohorte, 55 % des enfants ont été conçus par ICSI (dont 7,7 % après cryoconservation) et 34 % par FIV (dont 5,8 % après cryoconservation). Les grossesses étaient uniques dans 60,60 % des cas, gémellaires dans 37,73 % des cas et triples dans 1,67 % (vs 98,74 %, 1,25 % et 0,01 % respectivement dans la population générale). Le terme de naissance était > 37 SA chez 91,49 % des enfants issus de grossesse unique et 49,62 % chez ceux issus de grossesse gémellaire. Parmi les 15 162 enfants inclus : – 11 392 enfants (75 %) étaient bien portants ; – 3 012 enfants (19,9 %) étaient porteurs d’une malformation quelle qu’elle soit. Malformations majeures Parmi eux, 643 présentaient une malformation considérée comme majeure, soit 4,24 %, alors que la prévalence attendue dans la population générale est estimée entre 2 et 3 %. Dans la littérature, le risque de malformations majeures après PMA oscille entre 0,5 et 11 %. Dans notre cohorte, la moitié de ces malformations majeures affectent le système urogénital, soit une prévalence de 2,16 %, ce qui est 1,8 fois plus élevé qu’attendu. Il s’agit principalement d’uropathies (agénésie rénale unilatérale, malformation des voies urinaires…) et d’hypospadias. Ce fait n’est pas nouveau et il est possiblement rattaché au traitement progestatif administré aux femmes en début de grossesse et à l’hypofertilité masculine elle-même. Parmi ces malformations majeures, 10 % sont des cardiopathies de tous types, soit une prévalence de 0,45 %, ce qui apparaît deux fois plus fréquent que dans la population générale. Près de 11 % des enfants avec malformation majeure sont nés prématurément à moins de 32 SA ; 12 % avaient un poids inférieur au 3e percentile et 30 % étaient issus d’une grossesse gémellaire. Il ne semble pas exister de différence significative entre les techniques de procréation. Le recours à une cryoconservation n’apparaît pas non plus conférer un risque malformatif accru. Malformations mineures Elles affectent 1 717 enfants de cette cohorte, soit une prévalence de 11,32 %, ce qui est inférieur à la population générale. Une malformation mineure sur cinq, rapportée dans notre étude, correspond à un hémangiome, soit une prévalence de 2,5 %, contre 1 % dans la population générale. Ces hémangiomes affectent principalement la face, surviennent dans les premiers jours de vie et vont perdurer tout au long de la vie. Le sex ratio était totalement biaisé chez ces enfants, largement en faveur des filles, estimé à 0,39 (262 filles pour 103 garçons). Maladies génétiques Cent dix enfants de cette cohorte présentaient une maladie génétique, soit une prévalence de 0,73 %. Très peu d’anomalies chromosomiques, et en particulier d’aneusomies, ont été identifiées. Cela s’explique par le fait que cette étude porte sur des enfants nés vivants et qu’elle ne tient pas compte des interruptions médicales de grossesse et des fausses couches. Parmi les affections génétiques identifiées dans cette cohorte, deux ont une prévalence très supérieure à celle attendue : il s’agit du syndrome de Beckwith- Wiedemann et des rétinoblastomes, deux affections soumises à empreinte. À noter que, depuis 2002, plusieurs publications ont rapporté une association possible entre maladies d’empreinte, cancers de l’enfant et PMA. L’empreinte génomique est un processus épigénétique à l’origine d’une expression génique différente, selon que le gène est hérité du père ou de la mère. Il existe deux régulateurs importants de l’expression des gènes soumis à empreinte : la méthylation de l’ADN et la modification des histones. Ces processus se mettent en place très précocement dans les gamètes mâles, au stade des spermatogonies diploïdes, et sont beaucoup plus tardifs dans l’ovocyte, pouvant survenir juste avant l’ovulation et même jusqu’à l’implantation utérine. Dans ces conditions, on comprend que la stimulation ovarienne et le milieu de culture puissent altérer le pattern de méthylation de l’allèle maternel. Nous recensons 6 enfants atteints de Beckwith-Wiedemann dans la cohorte, ce qui représente un risque 6 fois supérieur à celui de la population générale. Différents mécanismes affectant la région 11p15 sont à l’origine de ce syndrome. Tous les enfants recensés dans cette cohorte présentent une perte de méthylation du KCNQ1OT1 DMD sur l’allèle maternel conduisant à une expression biallélique de KCNQ1OT alors que CDKN1C et KCNQ1 étaient silencieux. Quant aux rétinoblastomes qui sont des tumeurs rares de l’enfant (incidence estimée à 1/20 000 naissances), leur survenue résulte d’une inactivation biallélique d’un gène suppresseur de tumeur appelé RB1. Des études ont montré qu’une hyperméthylation de la région promotrice du gène RB1 pouvait être à l’origine de cas sporadiques. Dans notre cohorte, 5 enfants présentaient un rétinoblastome (soit une prévalence 4,5 fois plus élevée qu’attendue). Alors que dans la population générale, 60 % des rétinoblastomes sont unilatéraux, tous ceux rapportés ici étaient bilatéraux, sporadiques, rattachés à des mutations somatiques survenues dans les cellules rétiniennes, sans mutations germinales identifiées. Conclusion Les données dont nous disposons sont compatibles avec une augmentation du risque de malformations majeures, principalement liée à un risque accru de malformations urogénitales et de cardiopathies. Parmi les malformations mineures, les hémangiomes sont statistiquement plus fréquents dans cette population. Cette donnée est nouvelle. Nos résultats sont également en faveur d’un lien entre PMA et maladies d’empreinte. En particulier, nous validons le risque accru de syndrome de Beckwith- Wiedemann et de rétinoblastome. À noter qu’aucun cas de syndromes d’Angelman, de Silver Russell ou d’hypométhylation maternelle n’a été identifié dans notre cohorte. Des compléments d’informations devront être obtenus auprès des différentes cliniques pour tenter d’établir un lien entre l’origine de l’infertilité, le milieu de culture utilisé, le temps de culture, le type de traitement proposé à la patiente et la survenue des malformations congénitales et des anomalies de méthylation. POINTS À RETENIR Risque accru de malformations uro-génitales Augmentation des cardiopathies Prévalence accrue d’angiomes Lien entre PMA et maladies épigénétiques
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