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Comportement

Publié le 24 aoû 2006Lecture 12 min

Phobie scolaire : de l’école buissonnière au pédopsychiatre

M.-F. Le Heuzey - Hôpital Robert-Debré, Paris

L’absentéisme scolaire récurrent ou prolongé n’est jamais anodin ; il reflète l’existence d’un dysfonctionnement psychopathologique de l’enfant et/ou de sa famille.
Phobie scolaire, refus scolaire, refus scolaire anxieux, absentéisme scolaire, école buissonnière, « l’enfant sèche », « absent ! »… La terminologie est variée pour exprimer l’irrégularité de la fréquentation scolaire.

Or, dans notre pays, l’école est obligatoire pour tous les enfants, filles et garçons, enfants en bonne santé comme enfants malades, jusqu’à 16 ans. L’instruction est un droit, l’école est un droit et une obligation pour tous les jeunes jusqu’à 16 ans. L’absentéisme scolaire est un problème grave : 116 000 élèves seraient concernés et c’est pourquoi certains politiques avaient évoqué l’attribution d’amendes aux familles dont l’enfant n’irait pas régulièrement à l’école.   École buissonnière et phobie scolaire : les définitions Depuis la description de la phobie scolaire par Johnson en 1941, on a pendant longtemps opposé école buissonnière et phobie scolaire.   L’école buissonnière L’école buissonnière serait soit un comportement bénin, vanté par certains films et chansons populaires (« Quitter la classe par plaisir… Qui n’a pas fait l‘écol’buissonnière n’a pas connu le meilleur temps », chanson de C. Trenet), soit un comportement de délinquance. Dans les deux cas, l’école buissonnière ne relevait pas de la pédopsychiatrie. La phobie scolaire Elle était définie par la situation d’enfants qui, pour des raisons irrationnelles, refusent d’aller à l’école et résistent, avec des réactions vives d’anxiété ou de panique, quand on essaie de les y forcer. Actuellement, le terme de phobie scolaire est largement remis en cause, car la phobie scolaire ne peut pas être assimilée à une phobie simple, et cette terminologie fait référence à un modèle conceptuel psychanalytique qui ne recouvre pas toutes les situations de refus scolaire avec détresse.   Le refus scolaire anxieux Ce terme a prévalu pendant un temps. Les trois principaux troubles anxieux qui sous-tendent le refus scolaire sont : – l’anxiété de séparation ; – la phobie sociale ; – la phobie simple. Moins fréquents sont le trouble panique et le syndrome de stress post-traumatique, et de nombreux enfants souffrent de plusieurs troubles associés ou d’anxiété généralisée. Mais, il ne faut pas omettre l’importante comorbidité avec des troubles dépressifs, ce qui a conduit à décrire trois sous-groupes dans les refus scolaires avec détresse : – le groupe anxieux pur ; – le groupe dépressif pur ; – et le groupe mixte (anxio-dépressif). On en est donc venu à la notion de refus scolaire qui recouvre de nombreuses situations reflétant toutes une souffrance (personnelle ou familiale).   Les troubles psychiatriques associésL’étude de Egger a porté (à partir d’un échantillon de 4 500 enfants scolarisés en Caroline du Nord) sur 1 422 enfants âgés de 9 à 16 ans. En 3 mois, cet auteur a noté 2 % de refus anxieux de l’école, 6,2 % d’« école buissonnière » et 0,5 % de formes mixtes. Les trois formes sont associées à des désordres psychiatriques ; – le refus scolaire anxieux est associé avec la dépression et l’anxiété de séparation ; – l’école buissonnière est associée avec le trouble oppositionnel, le trouble des conduites et la dépression ; – les enfants présentant une forme mixte souffrent d’un trouble psychiatrique dans 82 % des cas. La conclusion de cette étude est donc que « école buissonnière » et « refus anxieux de l’école » sont certes distincts mais ne s’excluent pas l’un l’autre et sont tous deux en rapport avec des troubles psychopathologiques.   Au total, manquer l’école de façon prolongée ou répétée est un signe qui relève de la pédopsychiatrie. Sex ratio Traditionnellement, la phobie scolaire était plus masculine que féminine. Actuellement, le refus scolaire concerne de manière équivalente les garçons et les filles.   « Le refus scolaire concerne de manière équivalente les garçons et les filles. »   En présence d’un refus d’école quels sont donc les diagnostics à évoquer ?   Les troubles anxieux  Anxiété de séparation L’enfant manifeste des signes d’anxiété dès qu’il doit s‘éloigner de sa famille. Au moment d’aller à l’école, il exprime des signes physiques (douleurs abdominales, céphalées, pâleur, palpitations, tremblements, etc.) ou comportementaux (pleurs, cris, agressivité). Les symptômes surviennent les jours de la semaine mais pas le dimanche et les jours sans école. En effet, les symptômes cessent dès que l’enfant est autorisé à rester chez lui ; parfois, l’idée d’être de nouveau confronté à la situation anxiogène entraîne une appréhension avec difficultés d’endormissement et cauchemars. Mais généralement, si la famille ne lui parle plus d’aller à l’école, l’enfant se sent bien, demande à faire le travail scolaire à la maison, se fait apporter les devoirs par des camarades ou demande de faire des cours par correspondance. Il s’organise ainsi une vie au domicile, aux côtés de ses parents, avec une disparition de toute vie sociale autonome. S’il n’y a pas de dépression associée, il garde le goût pour ses jeux et occupations habituelles. Les manifestations d’anxiété sont les mêmes si on demande à l’enfant de partir en colonie de vacances, en classe de découverte, ou lors de tout autre départ loin de sa famille.  Anxiété généralisée L’anxiété de l’enfant est envahissante et concerne la plupart des situations de la vie ; l’enfant est angoissé par l’école (peur des autres, peur d’échouer, peur d’être ridicule, peur d’être malmené) mais aussi par d’autres situations vécues comme dangereuses pour lui-même (traverser la rue, se faire kidnapper etc.) ou pour son entourage.  Phobie sociale Certains refus anxieux de l’école sont sous-tendus par une crainte de l’école en tant que situation sociale où l’on est soumis aux contacts avec d’autres, enfants et adultes et où on doit assumer leur regard et éventuellement leurs critiques et moqueries, dans la cour de récréation et dans la classe. Dans ce cas, l’enfant a d’autres difficultés de socialisation et évite les autres situations de groupe.  TOC L’enfant souffrant de trouble obsessionnel compulsif peut rejeter l’école pour des motifs variés ; par exemple, peur de la contamination lors du contact avec les autres, impossibilité d’utiliser les toilettes, grande lenteur due aux rituels de vérification conduisant à l’impossibilité de rendre les devoirs dans les temps impartis, etc.   Les autres peurs  Peurs liées aux troubles des apprentissages Une peur des dictées avec une tendance à vouloir « sécher » l’école les jours de contrôle en français peut refléter l’existence d’une dyslexie dysorthographie ignorée. La reconnaissance de ce trouble d’apprentissage et sa prise en charge en rééducation orthophonique amèneront une progressive réassurance de l’enfant.   « Une peur des dictées peut refléter l’existence d’une dyslexie dysorthographie ignorée. »   Il peut en être de même pour une peur élective pour les contrôles de mathématiques pour un enfant souffrant de dyscalculie ou de dyspraxie.  Peur du racket et des jeux dangereux Certains enfants développent des symptômes anxieux, voire un authentique syndrome de stress post-traumatique après avoir été victimes de maltraitance de la part des autres élèves. Il peut s’agir de racket (« l’enfant a dû donner de l’argent » ou a été « dépouillé »), ou il peut s’agir de jeux agressifs et dangereux dans lesquels l’enfant était choisi de façon répétitive comme victime, véritable bouc émissaire. Tant que l’enfant ne parviendra pas à révéler les sévices dont il est victime, il va, pétrifié d’angoisse (par peur de représailles s’il parle) éviter d’aller à l’école.  Trouble du comportement alimentaire Les enfants anorexiques sont généralement de bons élèves, avec un bon investissement scolaire et donc une fréquentation régulière. Pourtant, si le système de restauration scolaire est du type cantine (et non self-service), avec une surveillance importante, certains enfants souffrant de troubles du comportement alimentaire sur le versant restrictif peuvent souhaiter déserter l’école pour échapper à la cantine.   Les troubles du comportement  Le trouble oppositionnel L’enfant s’oppose peu ou prou aux demandes familiales, qu’il s’agisse de ranger sa chambre, de participer aux activités familiales, ou aux devoirs. Il n’a pas envie d’aller à l’école ; il trouve que « c’est nul » ; il dit qu’il ira si ses parents lui achètent une nouvelle console de jeu. Il retourne à l’école après cette acquisition, puis peu de temps plus tard se plaint que le professeur de maths lui en veut, et se débrouille de nouveau pour sécher les cours. Dans ces circonstances, si la famille ne fait pas preuve de fermeté, si (pire) elle donne raison à l’enfant contre l’école et si elle ne se fait pas aider par une guidance psycho-éducative, le pronostic est préoccupant : l’absentéisme scolaire se chronicise, et l’enfant devient peu à peu un tyran familial ou évolue vers le trouble des conduites.  Le trouble des conduites Ces enfants ou adolescents se singularisent par de nombreux comportements qui transgressent les limites sociales : absentéisme scolaire, fugues, vols, actes de destruction des biens, agression physique et verbale envers les autres. La marginalisation, la délinquance, les contacts avec la justice en résultent.   La dépression Chez l’enfant, le principal signe évocateur d’un état dépressif est la baisse du rendement scolaire et la perte d’intérêt pour ses activités habituelles, activités de loisir comme activités scolaires. L’enfant n’a plus envie de rien, ne s’intéresse plus, il se sent nul et se dit « alors à quoi bon aller à l’école ! ». Souvent très fatigué, avec des troubles du sommeil, il n’a plus la force physique ni morale pour se rendre en classe. Il ne va plus en classe, mais il ne va plus au club sportif, il ne joue plus avec les copains, il a des troubles de l’appétit. Il ne parvient pas à travailler à la maison non plus, par difficultés de concentration ; il ne joue plus ; ne rit plus, et passe ses journées dans son lit ou devant la télévision   Les facteurs environnementaux  Facteurs familiaux et sociaux Si les parents sont, volontairement ou non, sans activité extérieure (parents malades, au chômage ou autre situation de précarité), s’ils ne se lèvent pas le matin, ou au contraire s’ils sont déjà partis très tôt et s’ils ne sont pas à côté de leur enfant au petit déjeuner, l’enfant manque de stimulation. Si les parents sont indulgents pour l’absentéisme scolaire, et si (plus grave) ils donnent tort aux professeurs quoiqu’il arrive, le jeune se sent renforcé dans son comportement et n’est pas encouragé vers une reprise de l’école. À l’inverse, certains parents sont très (trop) exigeants pour la scolarité et sont directement impliqués dans le stress qu’ils appliquent à leur enfant : scolarisation dans des établissements élitistes, exigences de résultats « au top », dévalorisation ou même humiliation de leur enfant si les résultats ne sont pas les résultats espérés, etc.   L’inadéquation parentale aux capacités cognitives et aux aspirations de l’enfant peut aboutir à des situations de refus scolaire, où l’enfant harcelé pour réussir, mais n’y parvenant pas, refuse l’école pour éviter l’échec.  Facteurs scolaires Dans certains cas, une école peut paraître inadaptée pour tel ou tel enfant ; école élitiste pour un enfant peu doué ; école de grande dimension avec un grand nombre d’élèves très remuants pour un enfant craintif, etc. Néanmoins, le changement d’école est rarement la solution miracle pour résoudre une situation de refus scolaire.   « Le changement d’école est rarement la solution miracle pour résoudre une situation de refus scolaire. »   Thérapeutique Dans les troubles anxieux et la dépression, le traitement repose essentiellement sur une prise en charge psychothérapique (psychothérapie cognitive et comportementale surtout) avec reprise progressive de l’école (une heure puis plus, etc.) avec la coopération des parents et de l’école. Les traitements médicamenteux ont une place limitée. En effet, si des études ont montré une certaine efficacité des imipraminiques (clomipramine, imipramine) et des inhibiteurs de recapture de la sérotonine (fluoxetine par exemple), les résultats ne sont pas homogènes et le traitement médicamenteux seul n’est jamais suffisant. Les anxiolytiques sont peu recommandés chez l’enfant, et seules des prescriptions ponctuelles peuvent être envisagées. Les troubles des apprentissages, le TOC, les troubles alimentaires nécessitent des traitements spécifiques. Quant aux troubles du comportement, ils nécessitent la mise au point d’un programme multidisciplinaire avec interventions psychologique et éducative, aide à la famille, éventuellement intervention de services sociaux, voire du juge pour enfants.   Pronostic Le pronostic dépend du diagnostic sous-jacent, néanmoins, plus l’absentéisme se prolonge, moins bon est le pronostic. Des études ont montré que la moitié des enfants ayant eu un refus l’école, ont à long terme un niveau académique inférieur à un groupe de comparaison. L’inscription à des cours par correspondance est déconseillée, car elle maintient l’enfant dans son isolement social et dans son « confort domestique ». L’alliance thérapeutique avec les parents et les enseignants est un gage de réussite. « L’alliance thérapeutique avec les parents et les enseignants est un gage de réussite. »    

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