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Psycho-social

Publié le 05 mai 2009Lecture 15 min

Peut-on anticiper le stress traumatique chez l’adolescent ?

G. VILA, Centre de victimologie pour mineurs, Hôpital Armand-Trousseau, Paris

L’état de stress post-traumatique (ESPT) est la conséquence psychopathologique la plus fréquente et la plus caractéristique après un traumatisme psychique. Chez l’adolescent, l’ESPT affecte des particularités développementales et se caractérise aussi par l’importance de la comorbidité et des signes associés. Le repérage de l’ESPT est donc particulièrement important à l’adolescence, car il est potentiellement durable et grave.

 
Le psycho-traumatisme, via l’événement traumatique, est un concept souvent associé à l’idée d’imprévisible ou d’imprévu. L’effraction du psychisme résulte du débordement des défenses que l’on n’a pas pu préparer à une telle rencontre. Elle est fonction de la violence du choc, de sa brusquerie et de sa soudaineté. Ceci dit, malgré un paradoxe apparent, peut-on « anticiper » le stress traumatique ? Emprunté du latin anticipare (prendre par avance ; prendre les devants pour) anticiper (quelque chose), pour le dictionnaire Littré et celui de l’Académie française, signifie prévenir ou devancer (Litt. Imaginer à l’avance. Anticiper l’avenir), dans son utilisation transitive. Nous aborderons donc cette question sous la double perspective de prévoir et de prévenir.   Le psycho traumatisme Le trauma (psycho-traumatisme) est une rencontre avec un événement hors du commun qui provoquerait des symptômes évidents de détresse chez la plupart des individus (par ex. : une agression, un danger ou un malheur important concernant des parents ou amis, une destruction soudaine de son domicile, la découverte de quelqu’un gravement blessé ou mort dans un accident). On se réfère donc à des événements majeurs, représentant une menace pour la vie ou l’intégrité physique de la personne ou d’un proche (catastrophes naturelles, guerre, attentats, viol, accidents…), à l’origine d’un trauma et non à des stress de la vie courante. La réaction immédiate, fonction de la perception du degré élevé de risque, se traduit par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur, un comportement désorganisé ou agité (1).   Symptomatologie de l’état de stress post-traumatique L’état de stress post-traumatique (ESPT) est la conséquence psychopathologique la plus fréquente et la plus caractéristique après un traumatisme psychique. Il peut être aigu ou chronique. Le modèle de référence pour la description de l’ESPT chez l’adolescent reste celui des classifications internationales, CIM-10 ou DSM-IV (1,2). Celui-ci est constitué de la notion d’exposition antérieure à un événement potentiellement traumatique avec réaction de détresse immédiate, d’un syndrome de remémoration ou de reviviscence, d’un syndrome phobique (détresse à l’exposition, évitements et anticipation anxieuse de ce qui rappelle l’incident), d’un émoussement de la réactivité générale et d’un état d’alerte avec hyperactivation neurovégétative. Le trauma est constamment remémoré ou « revécu », de façon anxiogène et envahissante, comme en témoigne la présence de souvenirs intenses, de cauchemars répétitifs, d’impressions ou d’agissements « comme si » l’événement allait se reproduire (sentiment de revivre l’événement, illusions, voire hallucinations, épisodes dissociatifs ou flashback). Quand le sujet est exposé à des situations ressemblant à l’événement traumatique ou associées à ce dernier, il éprouve un sentiment de détresse marquée ou une réactivité physiologique. Le patient tend à l’évitement de situations, d’activités, de lieux, de personnes, de pensées, de sentiments, de conversations associés au facteur de stress. Il présente une incapacité, partielle ou complète, à se rappeler des aspects importants de la période d’exposition traumatique, un sentiment de détachement d’autrui, de devenir étranger, d’avenir « bouché », et une restriction des affects. Des symptômes persistants traduisent une activation neurovégétative : hypervigilance, difficultés d’endormissement ou du maintien du sommeil, irritabilité, accès de colère, difficultés de concentration et réaction de sursaut exagérée. Une culpabilité, des troubles de l’humeur ou du comportement sont fréquemment associés. La perturbation dure plus d’un mois et entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, scolaire ou dans d’autres domaines importants (1). Particularité de l’ESPT à l’adolescence  Répercussions à distance et développementales L’étude longitudinale de W. Yule (3) donne une idée de la distribution des items de stress post-traumatique chez l’adolescent, un an après le trauma. Les symptômes présents dans deux tiers des cas sont des pensées intrusives récurrentes et des symptômes phobiques (détresse à l’exposition, évitement des activités, des pensées et sentiments liés au trauma). L’irritabilité et les colères sont retrouvées chez près de 60 % des jeunes, de même que les difficultés de concentration. On observe une perte d’intérêt chez plus de la moitié des jeunes, aggravant le retrait phobique. Les rêves récurrents ne concernent que 35 % des sujets et les flashback 15 %. Ces symptômes vont dans le sens d’une forte composante phobique et d’une entrave au processus développemental de séparation-individuation et de socialisation. On observe une perte d’intérêt chez plus de la moitié des jeunes, aggravant le retrait phobique.    Comorbidité et signes associés Chez l’adolescent, l’ESPT se caractérise aussi par l’importance de la comorbidité et des signes associés : troubles du comportement alimentaire, passages à l’acte suicidaires, automutilations, conduites d’hypersexualité et prédélinquantes, marginalisation, difficultés et ruptures scolaires, abus d’alcool et de substances toxiques. Les impulsions auto-agressives pourraient s’interpréter comme des tentatives pour échapper à des états pénibles de vide, de détachement et d’émoussement. Ces affects et les passages à l’acte sont plus fréquents à cet âge. Les adolescents développent parfois des troubles dissociatifs avérés et des troubles de l’identité ou de la personnalité, en particulier dans les traumatismes répétés ou prolongés (4).    L’adolescence représentet- elle une période de vulnérabilité particulière ? La vulnérabilité au trauma propre à l’adolescent se manifeste, en amont de l’incident, dans les conditions de la rencontre avec l’événement traumatique (conduites d’exploration, prises de risque, influences pulsionnelles, etc.). En aval, elle retentit sur les modalités d’expression de l’effraction traumatique (atteintes des processus de développement) et les capacités de réparation et de cicatrisation (appui sur les adultes ressources ou les pairs, ressources personnelles, activités investies, projets professionnels, etc.).   Intérêt du concept d’ESPT chez l’adolescent Le repérage de l’ESPT est particulièrement important à l’adolescence, car il est fréquent, potentiellement durable et grave, avec de lourdes complications (violence, addictions et tentatives de suicide notamment). En témoigne l’impact des abus sexuels sur les adolescents dans la revue de la littérature de K.A. Kendall-Tackett et coll. (5) sur 45 études publiées : auto-agressivité (71 %), abus de substances (53 %), dépressions (46 %), isolement (45 %), fugues (45 %), idées suicidaires (41 % des cas).   Prévoir l’ESPT ? L’histoire naturelle de l’ESPT est mieux connue. Après l’incident, la majorité des jeunes vont présenter des troubles réactionnels, de type et d’intensité variés. Les plus en détresse initialement seraient les plus à risque d’ESPT ultérieur, de même que ceux qui présentent dans les premiers jours certains types de troubles (dissociation, réaction aiguë de stress). L’ESPT commence, dans 90 % des cas, dans les 6 premiers mois, rarement au-delà. Ceux qui ont des signes d’ESPT aigu sont à risque de passer à la chronicité dans environ deux tiers des cas. Ceux qui ont des troubles au-delà de la première année ont un risque très élevé d’évolution très durable, prolongée dans la vie adulte (6,7). Les jeunes ayant des signes d’ESPT aigu sont à risque de passer à la chronicité dans environ deux tiers des cas. Ainsi, W. Yule et coll.(8) ont étudié l’évolution du trauma de 217 adolescents victimes vs 87 contrôles dans le cas du naufrage du Jupiter. Ils ont été suivis 5 à 8 ans après le désastre : 111 (51,7 %) ont fait un ESPT (vs 3,4 % des 87 contrôles), dont 90 % non différé (début avant 6 mois) parmi lesquels 30 % ont récupéré à moins dun an de leur début et 34 % ont persisté durant tout le suivi (5 à 8 ans).   Prédire l’ESPT ? Facteurs de risque et de protection face au psycho-traumatisme L’exposition à l’événement traumatique est le facteur principal et indispensable pour expliquer le développement d’un ESPT. Il est nécessaire que soient réunis une exposition physique et une implication subjective (9). Celle-ci serait accrue s’il s’agit d’un agresseur humain, intrafamilial, incestueux, s’il y a intention de nuire délibérée, exposition à des peurs préparées par d’autres événements, des traumatismes antérieurs ou en cas de lien familial avec une victime. L’intensité et la nature (réaction d’effroi, attaque de panique, dissociation ou réaction aiguë de stress) de la réaction immédiate seraient prédictives d’un ESPT ultérieur. L’intensité et la nature de la réaction immédiate seraient prédictives d’un ESPT ultérieur. Cependant tous les sujets exposés ne développent pas des troubles psycho-traumatiques, sous réserve de bien distinguer la réaction adaptée au stress, quasi universelle, d’une véritable pathologie. L’exposition à un événement traumatique est un facteur nécessaire mais pas suffisant. D’autres variables, appartenant au sujet ou à son environnement, jouent un rôle de modulation de la réponse et sont des facteurs de risque ou de protection psychopathologique. On peut distinguer : – des facteurs propres au sujet : l’âge (les plus jeunes seraient plus sensibles), le sexe (les filles seraient plus vulnérables), les compétences et ressources personnelles (resilience), les capacités d’adaptation (coping) ; – des facteurs antérieurs au trauma : biographie, antécédents psychiatriques, antécédents traumatiques et de troubles psychotraumatiques ; – des facteurs simultanés au trauma : qualité de l’éveil, fatigue, manque de sommeil au moment du trauma ; blessures physiques ; – des facteurs postérieurs à l’incident traumatique : catégorie socioprofessionnelle (les milieux défavorisés seraient plus exposés, de façon non spécifique) ; soutien social et familial (présence ou absence de figures d’attachement à proximité, disponibilité de l’entourage, réaction parentale, troubles psychiatriques des parents, cohésion de la famille, qualité de la communication sur l’événement).   Facteurs de chronicisation La réaction traumatique se chroniciserait en fonction de variables intermédiaires biologiques, psychologiques et sociales. La vulnérabilité individuelle et le contexte post-traumatique (stress secondaires, support social, conditions socio-économiques, environnement familial) ont été évoqués par diverses études. L’organisation, l’attitude et la psychopathologie familiales sont des facteurs importants dans le développement des syndromes psycho-traumatiques chez le jeune. Pour différents auteurs, c’est l’organisation, l’attitude et la psychopathologie familiales pré- et post-traumatiques qui influencent le plus le développement des syndromes psycho-traumatiques chez le jeune. Ainsi, parmi les facteurs de risque, on retrouve l’absence d’un adulte masculin à la maison, une attitude devenant plus protectrice chez la mère, une symptomatologie ou des antécédents d’ESPT chez les parents, des antécédents psychiatriques parentaux, une ambiance familiale tendue, morose, conflictuelle ou désunie, une mauvaise intégration sociale de la famille (4,6). Les enfants les plus jeunes et les adolescents seraient plus influencés encore que les grands enfants par ces facteurs familiaux. Nous avons montré, pour des troubles post-traumatiques chroniques, que l’exposition au trauma (le type et le degré d’exposition) et les troubles parentaux (altérant l’étayage parental) jouent tous les deux un rôle important et indépendant (10).   Prévenir l’ESPT ? L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit trois niveaux de prévention. Prévention primaire : « peut-on mettre les adolescents dans du coton ? » Il s’agirait de réduire les sources de psycho-traumatisme et donc le nombre d’événements traumatiques pouvant affecter les adolescents. Il est clair qu’il est impossible de protéger le jeune de tout incident. Mais peut-on réduire l’incidence de certains incidents ? C’est bien sûr le rôle délicat de l’éducation et de l’information, dans une politique de réduction de risques. Un certain nombre de pistes ont été suivies, notamment pour les dangers de l’alcool et des drogues, les agressions sexuelles, le bizutage et le harcèlement scolaire… L’impact des campagnes semble limité dans leur capacité à modifier durablement les comportements. On se heurte à ce qui constitue les caractéristiques du fonctionnement adolescent, en particulier la distance prise par rapport au monde adulte et les facteurs psychologiques internes. La répression des actes délinquants a été développée (lois « bizutage », délinquance sexuelle, harcèlement, alcool et drogues…), elle est indispensable, mais ne peut prétendre à éradiquer des comportements très ancrés dans les habitudes de l’humanité en tous temps et tous lieux. Surtout, il semble essentiel de maintenir une bonne communication entre adultes et adolescents pour que les problèmes puissent être soulevés et traités avant qu’ils n’aient pris trop d’ampleur, suivant des spirales bien connues. La mise en place de différents numéros verts en est une illustration à un niveau institutionnel, jouant un rôle d’information et de dépistage par une incitation à chercher de l’aide. Elle ne remplace pas le dialogue dans les familles et les établissements scolaires. Il semble essentiel de maintenir une bonne communication entre adultes et adolescents.   Prévention secondaire : « quid du debriefing psychologique et varia ? » Il s’agit du dépistage le plus précocement possible des troubles psychopathologiques résultant de la rencontre traumatique. Le jeune doit pouvoir parler de ce qui lui est arrivé, révéler les adversités subies en confiance et être guidé ou informé sur les possibilités de se traiter. Est mis en jeu ici encore la qualité du dialogue adultes-ado, mais aussi la bonne organisation de réseaux d’aide mêlant information, formation et compétences transversales. La loi du silence est encore trop souvent la règle et la prévalence élevée des troubles psycho-traumatiques dénonce un véritable problème de santé publique méconnu. Une technique de prévention primo-secondaire des troubles a fait l’objet de nombreux débats ces dernières années : le debriefing psychologique. Mais cette technique n’a aucune validité établie et son innocuité n’est pas assurée. On tend à lui préférer des « interventions psychothérapeutiques brèves et précoces », plus satisfaisantes sur le plan théorique et méthodologique et de leur validité. On retrouve ici le « debriefing à la française » et les thérapies cognitives et comportementales (TCC) ou l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) en phase aiguë (11). Les troubles installés, à type d’ESPT notamment, doivent être pris en charge pour réduire leur durée d’évolution. Certains traitements ont récemment montré une bonne efficacité : des médicaments (comme la paroxétine) ont été validés chez l’adulte mais pas chez l’adolescent ; les psychothérapies, à condition d’être rigoureusement menées, sont la principale modalité thérapeutique et ont été validées chez l’adulte et chez les jeunes, pour les TCC et l’EMDR principalement (12). Les psychothérapies sont la principale modalité thérapeutique (TCC et EMDR principalement).   Prévention tertiaire : « contre l’escalade… » Il s’agit de traiter l’ESPT pour réduire le handicap et prévenir les complications psychopathologiques, réduire les complications psycho-sociales (déscolarisation, retrait social, perturbations familiales, marginalisation, délinquance…) et travailler la communication intrafamiliale et le lien social. On a montré la validité des traitements chez l’enfant et l’adolescent dans le stress post-traumatique. Dans la revue de la littérature(13) répertoriant 102 études sur le traitement du trauma de l’enfant et de l’adolescent, 8 seulement ont constitué un groupe de comparaison et pris comme critère d’évaluation des symptômes de stress traumatique. Toutefois, il semble bien que le traitement du stress traumatique donne de meilleurs résultats que le simple suivi social ou l’absence de traitement. Surtout, concernant la maltraitance sexuelle chez les jeunes, la validité des traitements est bien établie par l’étude multicentrique, contrôlée et randomisée de J.P. Cohen et coll. (14). Le travail porte sur 229 enfants maltraités, âgés de 8 à 14 ans, et leur parent (plus de 90 % avaient subi d’autres trauma en plus des sévices sexuels, avec des symptômes caractéristiques d’ESPT et ESPT DSM-IV complet pour 89 %). L’étude compare TCC ciblée sur le trauma (TCCCT) vs thérapie centrée sur l’enfant : les enfants en TCC-CT ont une amélioration significativement plus importante de l’ESPT, sur les critères dépression, problèmes de comportement, honte et attributions liées à l’abus.   Conclusion Peut-on anticiper le stress posttraumatique ? Oui et non. En fait, la réponse demande de reformuler la question : s’il est question de stress traumatique, il faut être dans l’anticipation (c’est-à-dire suivre, précéder et traiter), surtout chez l’adolescent qui est un être en devenir. Il faut dans la mesure du possible éviter et prévenir la spirale et l’escalade qui mènent à la chronicisation (retentissementévolution- complications).  

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