Publié le 07 mar 2010Lecture 6 min
La dépression à l’adolescence : grande vigilance
B. BOUDAILLIEZ, Centre Hospitalier Universitaire, Amiens
La dépression à l’adolescence a des expressions variées qui appellent une vigilance toute particulière. Il importe de ne pas les méconnaître, car la dépression peut être l’explication de nombreux troubles et conduites à risque observées à cet âge.
La connaissance par le pédiatre des expressions sémiologiques des états dépressifs à l’adolescence est essentielle. La tentation est grande en effet de considérer les variations d’humeur des garçons et des filles de 13 à 20 ans comme un passage obligé, un moment classique de l’adolescence : les mouvements de tristesse, d’adaptation, d’isolement, de retrait et de ralentissement, de colère sont alors perçus comme faisant partie de l’ambiance habituelle de l’adolescence… Méconnaître un état dépressif revient à méconnaître l’origine de certains échecs scolaires, le risque suicidaire et la possible entrée dans des conduites de dépendance… tant il est vrai que ces états dépressifs viennent entraver « le travail de l’adolescent » et générer des réaménagements problématiques. Si on ajoute à cela une prévalence de ces états estimée à 5 %, voire jusque 30 % pour certains auteurs, et que deux tiers d’entre eux ne sont pas médicalement et/ou psychologiquement soignés, on aura compris qu’il s’agit d’un véritable problème de santé publique. La consultation avec l’adolescent et sa famille Ce temps est déterminant pour l’évaluation clinique et réclame une compétence qui se construit (Stheneur C. Arch Pédiatr 2009). Rappelons-en les grands principes : – consultation en plusieurs temps avec un temps donné à l’adolescent comme interlocuteur principal, tout en accordant aux parents une place et une écoute suffisante ; – nécessité de se référer aux questions fondamentales de l’adolescence : transformations corporelles de la puberté, recherche de l’autonomie, interrogations quant à l’identité, la normalité ; – analyse des conditions de vie : famille (génogramme), cadre de vie, parcours scolaire ; – évoquer les relations avec les pairs et les relations amoureuses ; – apprécier l’hygiène de vie : équilibre alimentaire, consommation de substances, les conduites à risque, les troubles du sommeil ; – les idées suicidaires : à rechercher de manière systématique. Le respect de la confidentialité est essentiel. Différents modes d’expression Au terme de cette analyse, plusieurs expressions peuvent être dégagées. ● L’affect dépressif de base comme signal d’alarme, appelé par D. Marcelli, dysthymie pubertaire, comprend (encadré 1) : – une humeur dépressive comme un regard dévalorisé porté sur soimême et qui vient colorer de déplaisir les représentations, les activités, les affects. Elle peut signaler une perte d’estime de soi ; – l’ennui, manifesté par un manque d’intérêt et/ou une fatigue, accompagne bien souvent une inhibition motrice, intellectuelle et des affects ; – la morosité, comme un refus d’investir le monde : « rien ne sert à rien ». Encadré 1. Une ambiance comme un signal Dysthymie pubertaire (dysphorie) • Humeur dépressive – Regard dévalorisé – Déplaisir • Ennui • Morosité : bouderie ➯Expression du travail de l’adolescence ou entrée dans l’état dépressif ? ● L’épisode dépressif majeur (EDM) (encadrés 2 et 3) doit être systématiquement recherché devant des manifestations telles que symptômes d’anxiété, troubles de conduite alimentaire, baisse de rendement scolaire, troubles des conduites avec agressivité, plaintes somatiques (asthénie, céphalées, rachialgie, douleurs, inquiétude centrée sur le corps). Le recours à des modalités à visée autothérapeutique est extrêmement répandu, qu’il s’agisse de la consommation de l’alcool, de psychotropes ou de drogues, en particulier de cannabis. Encadré 2. Épisode dépressif majeur (EDM) • Au moins 5 symptômes > 15 jours – Humeur dépressive, triste, vide, irritabilité – Diminution de l’intérêt et du plaisir pour l’activité – Variation du poids, courbe BMI – Trouble du sommeil (insomnie-hypersomnie) – Agitation/ralentissement psychomoteur – Fatigue, perte d’énergie – Sentiment de dévalorisation, culpabilité excessive, inappropriée – Trouble de concentration, indécision, baisse de l’aptitude à penser – pensées de mort récurrente et idées suicidaires • Les expressions masquées – Passage à l’acte impulsif – Consommation de produits – Conflictualité, agressivité, colère, « morosité hargneuses », transgression, défi ➯ Conduite de défense, de déni ● Le trouble bipolaire, appelé auparavant psychose maniacodépressive, peut débuter à l’adolescence, plus souvent par un épisode dépressif que maniaque. La profondeur de l’état dépressif d’allure mélancolique, le contexte familial indique le caractère psychiatrique, qui nécessite le recours à une prise en charge spécialisée. Sa survenue est rare, représentant moins de 1 % des situations dépressives de l’adolescent. Encadré 3. Devant une expression dépressive, rechercher de principe – Plainte somatique : asthénie, céphalée, douleurs…qualité du sommeil – Trouble de conduite alimentaire – Perte d’estime de soi : infériorité, nullité, repliement parfois projeté sur les autres – Rupture scolaire, fugue, vol, addiction – Contexte d’abandon, de séparation – Syndrome de menace dépressive : peur de craquer, trouble, panique, phobies scolaires, anxiété, séparation Les approches thérapeutiques Elles relèvent de principes (encadré 4) qui peuvent paraître de bon sens ; on se gardera de la tentation d’un traitement médicamenteux de première intention : la priorité doit être donnée à une approche relationnelle et/ou environnementale. Le recours à un pédopsychiatre ou à une structure de soins spécialisée doit être envisagé au cas par cas. Pour conclure, une vigilance et une attention toute particulière doivent être portées aux situations « d’abandon » quelle que soit leur forme, mais notamment celles survenant dans la première enfance. Cette vigilance est essentielle, tant ce facteur est central dans l’expression dépressive à l’adolescence. Encadré 4. Principes de l’abord thérapeutique – On ne soigne pas un symptôme – Ne pas dénier les affects et les émotions – Reconnaître l’état dépressif dans ce qu’il implique de souffrance – Montrer les ressources en soi – Relancer le plaisir à penser – Donner du temps au temps – Appel à une tierce personne ou à une structure spécialisée
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