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Comportement

Publié le 19 oct 2008Lecture 13 min

L'enfant après le diagnostic d’un cancer

D. SOMMELET, Hôpital d’Enfants, Vandœuvre-les-Nancy

Maladie impensable et inacceptable durant l’enfance, le cancer touche néanmoins 2 000 enfants et adolescents par an entre 0 et 18 ans. L’annonce d’un tel diagnostic engendre un bouleversement brutal lié à la rupture d’une vie logiquement orientée vers un avenir qui paraît compromis dans la prise de conscience de la mort possible.

 
Quelle que soit l’issue de la maladie, la vie de l’enfant et de son entourage familial comportera toujours un avant et un après, et cette différence va s’exprimer par de multiples facettes : physiques, psychologiques, sociales. Leur degré dépend de l’âge au diagnostic, du traitement, de l’équilibre familial et des capacités d’adaptation aux incertitudes de cette nouvelle vie. L’équipe soignante doit, non seulement répondre aux besoins nécessaires au développement de l’enfant en dépit de la maladie, mais aussi aider les parents à donner un nouveau sens à leur vie, tout en stimulant les capacités de résilience de toute la famille. On conçoit l’importance de l’alliance nécessaire entre l’enfant malade et ses parents d’une part, l’équipe soignante d’autre part ; ceci dès l’annonce du diagnostic, pendant, et après le traitement, et souvent durant de longues années, tout en respectant à la fois les besoins exprimés par l’enfant «guéri » (devenu adulte) et, en expliquant sans entretenir son anxiété, les raisons d’une surveillance à long terme.   Le cancer,  une maladie chronique particulière ? Le cancer de l’enfant peut être assimilé à une maladie chronique malgré la notion de guérison admise dans plus de 75 % des cas, en raison du risque potentiel de séquelles et de complications tardives. L’enfant, puis l’adulte, ne sont-ils pas toujours différents quand ils présentent une maladie chronique ? Oui, certes, mais le cancer associe des dégâts physiques et une confrontation avec la mort et avec ce qu’il est convenu d’appeler les pathologies de l’incertitude. Ainsi, le cancer, même rendu invisible, peut continuer à planer dans la vie de tous ceux qui ont directement ou non été touchés. Il peut aussi révéler des qualités insoupçonnées. Le cancer associe des dégâts physiques et une confrontation avec la mort et l’incertitude.   « La différence » débute avant même le diagnostic par l’apparition de symptômes évoquant une pathologie bénigne, voire des problèmes psychologiques. C’est leur durée anormalement prolongée et/ou leur aggravation qui conduisent les parents à demander un avis médical, pensant ainsi être confortés dans cette position. Un certain temps peut s’écouler avant que l’interprétation du tableau, complété par des examens complémentaires adéquats, permettent de suspecter, puis de poser le diagnostic de cancer. « N’est-il pas trop tard ? » est l’une des premières questions posées, témoignant de l’anxiété brutale et de la culpabilité ressentie par les parents.   Prise en charge spécifique de l’enfant dès le diagnostic initial D’emblée, dès 3-4 ans, l’enfant malade perçoit la sévérité de la situation, d’autant qu’il est rapidement hospitalisé dans une unité/service de cancérologie pédiatrique succédant parfois à un court séjour dans un service de pédiatrie générale. Plongé dans un monde très particulier, il fait connaissance avec l’équipe soignante et d’autres enfants dont l’état physique peut lui paraître inquiétant ; une série d’examens complémentaires est rapidement programmée et, dans le délai le plus bref possible, un traitement anti-tumoral va lui être proposé, tandis que des soins de support ont parfois déjà débuté, notamment après évaluation de manifestations douloureuses éventuelles ou de complications septiques. D’emblée, dès 3-4 ans, l’enfant malade perçoit la sévérité de la situation.   Rôle du médecin référent Simultanément, le médecin référent de l’enfant au sein de l’équipe informe l’enfant de sa maladie, en utilisant un langage adapté à son âge, à sa compréhension et à ses besoins immédiats de comprendre ce qui lui arrive. C’est bien sûr en accord avec ses parents, en règle présents lors de ces entretiens avec l’enfant, que le contenu de l’information est délivré pas à pas. L’ensemble du personnel est impliqué dans l’accueil et l’hospitalisation initiale de l’enfant, dans le respect des missions de chacun et du secret médical partagé, avec l’objectif de reconstruire peu à peu ce qui a été brutalement détruit par la survenue de la maladie, le diagnostic de cancer, la séparation d’une partie de la famille, de l’école, des amis.    La durée de l’hospitalisation sera un sujet récurrent de préoccupation ; aussi, l’enfant ou l’adolescent devra rapidement être mis en confiance par rapport aux réponses apportées à leurs questions et savoir qu’une nouvelle vie débute avec ses difficultés (les étapes thérapeutiques et les bilans d’évaluation), mais aussi l’accompagnement mis en place pour assurer le développement, l’équilibre psychologique et l’insertion sociale. La scolarité, les activités ludiques, l’art-thérapie, l’activité physique et sportive adaptée, toutes les actions menées par les associations sont nées dans les services de cancérologie pédiatrique ; il en est de même des maisons de parents et des recommandations d’ouvrir largement aux parents et aux frères et sœurs les services de pédiatrie.   Élodie…néphroblastome (lettre) « J’ai subi une néphrectomie, de la chimiothérapie et de la radiothérapie et ne garde aujourd’hui qu’une cicatrice abdominale, la marque de mon cathéter, et quelques adhérences sur le diaphragme, mais aussi des souvenirs merveilleux avec les infirmières, les lapins roses et les courses dans les couloirs, reliée à ma potence avec les autres enfants et les docteurs. »   L’annonce du diagnostic et du traitement aux parents Le premier entretien précède ou suit rapidement l’hospitalisation de l’enfant, dès l’obtention de la certitude du diagnostic. Il peut, selon leur demande, avoir lieu en présence de l’enfant, le plus souvent de l’adolescent, dont le droit à l’information est en tout état de cause respecté. Les propositions thérapeutiques font l’objet d’explications répétées en raison de l’état de sidération engendrée par l’annonce du diagnostic et de la nécessité cependant d’obtenir l’adhésion des parents (et de l’enfant si possible) aux étapes thérapeutiques nécessitées par le cancer et les facteurs pronostiques initiaux. Une particularité en cancérologie pédiatrique est l’intrication entre soins et recherche clinico-biologique (essais thérapeutiques et études non interventionnelles) concernant 60 à 70 % des malades ; la demande d’un consentement libre, écrit et éclairé, conformément aux dispositions législatives, peut parfois aggraver l’anxiété des parents, à la lecture exhaustive des effets secondaires et/ou d’une compréhension souvent difficile des objectifs de l’essai. Quoi qu’il en soit un programme personnalisé de soins doit être remis aux parents qui, en accordant leur confiance à l’équipe, débutent, comme leur enfant malade, une nouvelle étape de leur vie avec l’espoir de la guérison, en dépit de l’annonce des risques et/ou des informations parfois contradictoires qu’ils reçoivent, notamment par internet. L’intrication entre soins et recherche clinico-biologique est une particularité de la cancérologie pédiatrique. Tout doit être fait pour les accompagner au mieux dans ce parcours difficile exigeant des professionnels de santé : des compétences scientifiques et techniques, le sens des relations humaines, le dépistage des facteurs supplémentaires de vulnérabilité (précarité, chômage, déséquilibres familiaux, notion de culpabilité, barrière linguistique, isolement, dépression, etc.).   La poursuite du traitement et de la vie Le type de cancer et le traitement influencent le retentissement physique précoce de la maladie (mutilation, alopécie, douleur, troubles nutritionnels, complications infectieuses, métaboliques, rénales ou cardiaques, etc.). Les modifications de l’image du corps, aggravent le risque de perte de l’estime de soi, surtout chez l’adolescent. La révolte, la non-observance, voire le refus de traitement ou au contraire le repli sur soi-même, le risque de conduites addictives et à risque, l’échec scolaire sont autant de symptômes à prévenir et/ou à traiter. Braver la mort : est-ce la façon de conjurer l’angoisse de l’issue fatale possible de la maladie ? Les modifications de l’image du corps, aggravent le risque de perte de l’estime de soi, surtout chez l’adolescent. La poursuite de la scolarité doit être assurée à l’hôpital et si possible reprise tôt ou tard dans l’établissement scolaire de l’enfant, parfois seulement à l’issue du traitement. Un lien est établi entre les enseignants et les médecins de l’Éducation nationale, avec l’accord des parents, pour assurer l’application des textes réglementaires garantissant les meilleures conditions de scolarité, source d’optimisme pour l’avenir et de sécurité pour l’orientation professionnelle ultérieure.   Julie…sarcome d’Ewing cervical à l’âge de 10 ans, traitée par chirurgie, chimio-thérapie et radiothérapie (lettre) « Je suis aujourd’hui comme beaucoup de personnes qui ont combattu, puis qui ont gagné, heureuse de tout, parce qu’heureuse de vivre. Cela fera bientôt vingt ans que ma vie a du jour au lendemain changé, qu’elle s’est enrichie. »   L’arrêt du traitement et la surveillance La fin du traitement est vécue par les malades comme une délivrance ; mais elle peut raviver chez les parents l’angoisse de la rechute. Un entretien spécifique permettra de répondre à leurs questions  (ou de les soulever) et de s’assurer de la compréhension des motifs d’une surveillance régulière, indiqués dans le cahier de suivi spécifique que doit posséder chaque enfant et qui sera un outil utile de continuité éventuelle de cette surveillance à l’âge adulte. L’enfant « guéri » d’un cancer peut être un adulte « à risque » (de complications tardives) ou un adulte « différent » présentant des séquelles (par exemples motrices, neurosensorielles, neurocognitives, etc.) relevant d’aides spécifiques. L’enfant « guéri » d’un cancer peut être un adulte « à risque » (de complications tardives) ou un adulte « différent ».   Sylvie… ostéosarcome fémoral traité par amputation et chimiothérapie. Métastases pulmonaires traitées par thoracotomie et chimiothérapie. Cancer du sein unilatéral avec récidive ultérieure : chirurgie et chimiothérapie. Cancer du sein contro-latéral récidivant. (lettre) Ces lignes sont le témoin d’un avenir « différent » et pourtant vécu. « Je me sens plutôt en forme et ne me sens pas malade ; pourtant je suis encore loin de pouvoir dire que je suis sortie d’affaire… Je pense que je dois me faire une raison, que ma vie se passe à travers le cancer, mon compagnon depuis 27 ans maintenant… Sur le plan familial, je suis très épanouie et heureuse, mon mari me soutient énormément et mes trois enfants sont pleins de vie et d’énergie…  J’ai toujours cette volonté et énergie au fond de moi, combative  et je reste positive face à la  situation, mais je suis bien  obligée d’admettre que je suis handicapée. De plus, mon corps est fatigué par tous ces traitements. Mon corps ne suit plus mon esprit… » L’enfant qui ne peut plus guérir À la différence des maladies chroniques sévères dont le traitement prolonge souvent la vie jusqu’à l’âge adulte en dépit de l’aggravation progressive (maladies neurodégénératives, mucoviscidose), le traitement à visée curative permet d’obtenir une  ou plusieurs rémissions, avant  que ne s’installe une résistance. Les parents, et parfois l’enfant  lui-même, ne peuvent admettre de suspendre les cures de chimiothérapie auxquelles ils ont cru, se révoltent contre l’incapacité  des médecins à guérir, et, en  réalité, contre la mort de leur enfant, probablement la plus terrible épreuve pour des parents. Du temps doit être préservé grâce à un traitement palliatif de support assurant le meilleur confort possible à domicile, en lien étroit avec l’équipe de référence, mais aussi le médecin traitant, l’hospitalisation à domicile pédiatrique et les réseaux de soins palliatifs existants. Une meilleure organisation des soins pédiatriques à domicile et une formation adaptée des pédiatres et des généralistes à la fin de vie d’un enfant permettraient de savoir mieux répondre ou seulement de savoir poser les questions suivantes : quand ? où ? comment ? que dire ? Parler de la mort avec l’enfant, maintenir la vie au-delà de la mort, assurer à celui qui va mourir la place qu’il va continuer à occuper.   Mathias…4 ans, neuroblastome (message oral) « Mes parents doivent vite apprendre à voler pour qu’ils puissent venir me voir quand je serai dans le ciel… »   Et les frères et sœurs ? Dès 3 ou 4 ans, ils doivent être associés, par les parents et l’équipe médicale, à l’annonce du diagnostic responsable d’une telle angoisse chez leurs parents qu’elle ne pourrait passer inaperçue. Il en est de même du traitement. Leur présence à l’hôpital doit être facilitée. Un soutien psychologique est proposé, comme à l’enfant malade, surtout en cas de rechute, de greffe de moelle par un donneur de la fratrie, et, bien sûr, en cas de phase terminale.   Des soignants différents ? La cancérologie pédiatrique est une surspécialité en constante évolution, ouverte sur la recherche biologique, dont les progrès sont liés à son interdisciplinarité nationale et internationale. La technicité ne s’est pas développée aux dépens de l’humanité des soins, ni de la réflexion éthique. Il s’agit d’une activité gratifiante, en dépit des échecs thérapeutiques, mais ceux-ci ne sont pas pour autant des échecs humains. La cancérologie pédiatrique est aussi une activité difficile en raison de causes d’épuisement, de tensions, de la charge émotionnelle liée aux fins de vie, aux sentiments d’impuissance, au risque d’isolement, alors que  certains professionnels manifestent leur fierté d’avoir guéri, ce qui leur donne un sentiment de pouvoir. Seul le maintien de liens étroits et prolongés avec l’enfant guéri devenu adulte ou avec des parents ayant perdu leur enfant est le témoin de ce qu’une équipe a su leur apporter. Parents d’Emmanuelle… décédée d’une leucémie ; 30 ans plus tard (lettre adressée à la suite d’une rencontre avec un médecin du service) « Nous avons évoqué des souvenirs anciens, certains poignants, mais beaucoup d’autres tendres, d’autres cocasses. Nous sommes  repartis avec une grande chaleur en nous, une sensation de vie,  bien présente et difficilement descriptible. Nous avions des images  neuves, chaleureuses, des visages, des nouvelles de ceux qui s’étaient battus à nos côtés durant de longues (ou trop courtes) années…  Nous existions encore, même de façon infinitésimale, dans la tête et le cœur de ceux qui avaient cheminé quelque temps avec nous. »

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