Infectiologie
Publié le 19 oct 2008Lecture 10 min
L’enfant et l’adolescent infectés par le VIH à la naissance : différences et identité
I. FUNCK-BRENTANO, S. BLANCHE, F. VEBER, Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris
Vingt ans après le début de l’épidémie, on estime qu’environ 1 500 à 2 000 enfants infectés par le VIH vivent en France. Les nouveaux cas de contaminations néonatales sont devenus rares, mais un nombre significatif d’enfants nés dans des pays de forte endémie et récemment installés en France sont régulièrement diagnostiqués. Depuis 1996, le traitement antirétroviral a totalement transformé l’infection en une situation médicale chronique, stable sur le long terme, permettant un passage à une vie adulte pour la plupart des enfants. Plusieurs singularités liées à son contexte soulèvent toujours des enjeux spécifiques. Ces enjeux prédisposent les patients à se sentir différents et les confrontent au risque d’être rejetés par leur entourage. Se construire et s’épanouir dans ces conditions ne va pas de soi.
Un corps normal ou différent : les signes visibles de l’infection à VIH Avant l’arrivée des trithérapies, de nombreux enfants souffraient d’infections et d’atteintes digestives multiples perturbant leur métabolisme au point de perdre du poids. Leurs corps dénutris n’échappaient à aucun regard. Aujourd’hui, en dehors des lipodystrophies, induites par certains antiviraux, qui ne concernent que quelques enfants et adolescents, l’infection à VIH n’est plus visible sur le corps. Les enfants sont beaux, harmonieusement développés, sans retard de croissance. Une maladie stigmatisée Du fait que l’infection à VIH est une maladie sexuellement transmissible et qu’au début de la pandémie elle s’est surtout propagée au sein de communautés stigmatisées, l’infection à VIH reste encore associée socialement à la notion de faute. À un âge où le lien social tient une place majeure dans la vie des adolescents, ne pas se faire rejeter constitue un enjeu majeur de leur vie sociale et affective. Aussi, environ la moitié d’entre eux opte pour la pratique du secret absolu. Selon les personnalités, ils se révoltent et se dépriment ou, à l’inverse, s’engagent dans un combat actif pour affirmer à leurs propres yeux leur identité d’individu « normal », pour être perçus par l’entourage « comme les autres ». Dénier sa séropositivité, éviter d’y penser et d’en parler sont des moyens de protection qui vont parfois jusqu’à l’inobservance du traitement. La hantise du rejet conditionne pour une grande part leur vie relationnelle. Plus tard, les adolescents qui ont quitté la pédiatrie pour être suivis en médecine adulte sont parfois amenés à côtoyer des adultes dont l’univers de références est très éloigné des leurs. Ces différences très perceptibles dans l’apparence sur le corps peuvent activer pour certains de nouveaux questionnements identitaires et des inquiétudes sur le risque que leur entourage puisse se méprendre sur l’origine de leur contamination et leur appartenance. La confrontation à des adultes très différents de leurs références parentales s’ajoute à la peur d’être dorénavant suivi dans un lieu encore inconnu qui n’a plus rien à voir avec l’univers sécurisant et protégé de la pédiatrie. C’est pourquoi certains attachent une grande importance à faire savoir que leur contamination remonte à l’enfance et qu’ils ne se sont pas contaminés comme les autres adultes par voie sexuelle ou contact sanguin. Certains adolescents attachent une grande importance à faire savoir que leur contamination remonte à l’enfance. Une infection familiale Au moins un des deux parents est infecté par le VIH ou est décédé du sida. Cette composante majeure est toujours abordée avec les enfants au cours de leur suivi par le pédiatre. Par la suite, elle est soit clairement intégrée soit déniée. Le secret souvent préservé dans l’enfance sur l’histoire intime de la contamination des parents est remis en question à l’entrée dans l’adolescence, comme plus tard au moment du passage en médecine adulte. On constate que les adolescents ne partagent pas tous le même avis sur la nécessité pour eux de connaître ou non l’origine de la contamination maternelle. Il y a ceux qui considèrent que cette question touche à la vie intime des parents et que cette information ne les regarde pas. Les autres estiment que cette information est au contraire essentielle à connaître pour se construire, parce qu’elle fonde la toute première origine de leur contamination. En pratique, il est rare que les parents en parlent, ignorant eux-mêmes parfois l’origine précise de leur infection. C’est ainsi que des adolescents se heurtent à des difficultés pour se construire à partir de cette inconnue qui peut rester toujours en suspens. Car peu d’adolescents transgressent l’interdit tacite d’en parler. Lorsque le mystère plane ou que le secret n’est pas dévoilé, alors l’adolescent peut avoir plus de difficultés à s’engager dans des processus d’identification structurants. En pédiatrie, la majorité des nouvelles contaminations concerne des enfants issus de l’immigration. Aujourd’hui, environ le tiers des adolescents ont perdu au moins un de leurs parents. Un certain nombre d’entre eux ne vivent plus avec leurs parents d’origine. La majorité des nouvelles contaminations en pédiatrie concerne des enfants issus de l’immigration. Venus en France, principalement d’Afrique Noire pour bénéficier des traitements, ils sont confrontés à la difficulté d’être séparés d’une partie ou de la totalité de leur famille. La précarité économique et sociale de leur condition, liée au fait que les parents n’ont pas le droit de travailler pendant les premières années, entretient un climat d’insécurité et d’insatisfaction qui ne facilite pas l’intégration de l’enfant. Les familles restent le plus souvent éclatées entre deux pays et les enfants doivent construire leur identité sur cette base plus complexe. Adolescence, sexualité et transmissibilité de la maladie Une des difficultés majeures des adolescents et jeunes adultes infectés par le VIH concerne leur sexualité. La question douloureuse de l’annonce ou non de leur séropositivité au début ou en cours d’une relation amoureuse, la crainte de la transmission du virus sont omniprésentes. Ils ont tendance à retarder l’échéance de la première relation sexuelle et à changer fréquemment de partenaire pour ne pas avoir à dire leur séropositivité. Les questions concernant la possibilité de mettre au monde des enfants sans les contaminer, et la responsabilité morale de procréer alors qu’on est soi-même malade et qu’on reproche à ses propres parents de l’avoir fait, sont très souvent débattues. Beaucoup d’entre eux disent être choqués que leurs parents aient choisi délibérément de les mettre au monde en prenant le risque de les contaminer. Ils les jugent « égoïstes » et affirment préférer renoncer à procréer pour ne pas pérenniser le risque de transmission, même s’ils savent bien qu’il est devenu infime. Cette attitude de censure moralisatrice témoigne du peu d’estime qu’ils ont pour leurs parents à cet égard, mais aussi du peu d’estime qu’ils s’accordent à eux-mêmes. Ainsi, les adolescents sont-ils très intéressés de connaître les moyens de procréer sans contaminer le partenaire, ni l’enfant à venir ; apprendre que ces moyens existent produit un effet dédramatisant. Pour les filles, la consultation chez une gynécologue joue un rôle souvent fondamental : blessées profondément dans leur féminité, elles ont posé un interdit sur leur vie sexuelle et la procréation. Elles se perçoivent différentes des autres, elles ont renoncé à l’amour d’elles-mêmes et à leur pouvoir de séduction dans une culpabilité parfois induite et entretenue par leur mère. On pourrait dire que cette consultation exerce une fonction tiers, d’ordre parfois thérapeutique, lorsqu’elle permet d’amorcer, chez la jeune fille séropositive, le travail d’intégration nécessaire pour négocier avec ses désirs de femme et son image mortifère. Pour les filles, la consultation gynécologique a une valeur symbolique et joue un rôle déterminant, parfois thérapeutique. Image de soi et représentations Ainsi, au cours de leur vie, enfants et adolescents élaborent des représentations de soi empreintes de culpabilité et d’un lourd héritage autour desquelles les notions de normalité et de différence s’affrontent. La haine et l’amour de soi cohabitent et alternent en fonction de l’expérience, bonne ou mauvaise, de leurs interactions avec l’environnement d’une part, avec leur corps d’autre part. De plus en plus souvent, les adolescents qui n’ont jamais été malades ou qui l’ont été il y a très longtemps remettent en question leur diagnostic et se soumettent à l’épreuve du doute, souvent à l’occasion d’une intolérance psychologique au traitement. Ils disent alors qu’ils ont besoin d’éprouver la maladie dans leur corps pour se convaincre qu’ils en sont porteurs. Par exemple, certains disent éprouver un sentiment d’étrangeté et se demandent s’ils ne font pas l’expérience d’un dédoublement lorsqu’ils viennent à l’hôpital, où le déni ne peut plus fonctionner. La découverte de ce mécanisme de clivage comme mode d’adaptation « normal » à une situation d’angoisse et la découverte que nous fonctionnons tous, au moins avec un moi intime et un moi social, a un effet rassurant pour eux sur la question de leur intégrité psychique. Cette découverte participe aussi à la construction de leur identité. En pratique, on retiendra Information et secret : l’information à l’enfant se fait progressivement. Les nouveau-nés contaminés appartiennent le plus souvent à des familles migrantes où le secret sur l’infection familiale est vital pour survivre dans leur communauté. L’information à l’enfant est un processus à long terme qui nécessite un travail de réflexion préalable entre le pédiatre et les parents. À partir de 12 ou 13 ans l’adolescent doit connaître le nom de sa maladie (recommandations Rapport Yeni, 2). Adhérence au traitement et risque de transmission : l’adhérence au traitement risque d’être moins bonne au fil du temps par effet de lassitude, déni ou minimisation de la maladie, crainte que l’infection ne soit découverte par l’entourage, etc. Attention aussi au risque que les rapports sexuels soient non protégés par peur de dire, désir de banaliser ou déni de l’infection et du risque de transmission. Maintenir le dialogue avec l’adolescent participe à la prévention de ces risques. Passage en médecine adulte : pour le pédiatre, y préparer l’adolescent longtemps à l’avance. Sensibiliser le médecin adulte aux spécificités de l’histoire et du contexte des enfants infectés depuis la naissance ; leurs incidences psychologiques ne sont pas les mêmes que celles des patients contaminés à l’âge adulte.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :