Comportement
Publié le 07 oct 2008Lecture 10 min
L’enfant atteint de maladie chronique : un enfant différent ?
J.-P. DOMMERGUES Hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre
De nombreuses maladies chroniques, de fréquence très inégale, sont susceptibles de toucher l’enfant. Un de leurs traits communs en est la transformation du pronostic, notamment du pronostic vital, plus de 90 % des enfants atteints d’affections chroniques atteignant aujourd’hui l’âge adulte. Beaucoup de ces maladies chroniques ne touchent qu’un nombre restreint de sujets, leur rareté est une difficulté supplémentaire dans leur prise en charge : il s’agit de « maladies orphelines », souvent mal connues des médecins, leur rareté aggravant parfois pour les enfants qui en sont atteints leur vécu d’insolite différence…
L’annonce du diagnostic ou la révélation de la différence « Tout ne sera plus jamais comme avant […] ». Tel est le constat dramatique et lapidaire fait par un jeune adolescent de 14 ans à l’annonce de son diabète… Une fois passée la sidération initiale qu’entraîne l’annonce du diagnostic d’une maladie chronique, de nombreuses questions des parents et de l’enfant tournent autour des différences que risquent d’entraîner la maladie et/ou les traitements dans la vie de tous les jours. L’enfant redoute particulièrement tout ce qui peut modifier son apparence physique. Ainsi, les effets secondaires d’une corticothérapie de long cours sont-ils particulièrement redoutés. L’enfant, puis l’adolescent supportent souvent très mal ce faciès poupin et acnéique que leur renvoie leur miroir. Ces modifications surviennent bien souvent alors même que la prise de poids est encore modérée, que le médecin pense que tout va bien, alors que l’on est peut-être pas loin de l’intolérance psychique qu’entraîne le traitement en raison de cet enlaidissement que le jeune redoute de soumettre au regard des autres… La servitude d’un régime alimentaire particulier (intolérance au gluten, corticothérapie, etc.) — lorsqu’elle est indiquée du fait de la maladie chronique — stigmatise aussi la différence, et elle est vécue comme une source d’exclusion, de mise à part, elle constitue à ce titre une source de souffrance qu’il ne faut pas méconnaître. N’oublions pas que, à toutes les étapes, les mots prononcés peuvent avoir un impact définitif stigmatisant la différence, tel le handicap attendu à telle ou telle date, faisant faire définitivement une croix sur la capacité de l’enfant à envisager l’avenir. À toutes les étapes, les mots prononcés peuvent avoir un impact définitif stigmatisant la différence. La gestion de la différence au quotidien Le pédiatre qui prend en charge un enfant atteint de maladie chronique passe un contrat de soins de long cours avec l’enfant et ses parents. La réussite de l’entreprise requiert de répondre à beaucoup d’exigences : • être à l’écoute de l’enfant, reconnaître sa personnalité : les questions, les explications, les contestations sont autant de moyens pour l’enfant de continuer à exister comme « sujet » sans être réduit à un objet de soins ; • présenter les problèmes au quotidien : parler au présent, éviter les pronostics trop précis, aventureux et lointains qui risquent fort d’être démentis dans le futur ; • les contraintes obligatoires ont pour conséquence des réaménagements de la vie quotidienne et trois rubriques sont à envisager avec l’enfant et sa famille : – l’école : souligner sa valeur, lieu d’apprentissage et de socialisation ; lutter contre la peur des risques encourus, les limitations ou les interdits arbitraires ; les aider à formuler éventuellement une demande de Plan d’accueil personnalisé (PAI) pour faciliter l’intégration en milieu scolaire, tout en sachant que la réussite scolaire escomptée « compensatoire » ne sera pas toujours obtenue... ; – les loisirs et l’activité sportive : la suppression de l’activité sportive, la limitation des lieux de loisirs, de vacances, le cantonnement à la maison entraînent pour l’enfant un isolement progressif et fait courir le risque qu’il ne cherche à trouver refuge dans le cercle vicieux d’un conditionnement à la dépendance, accentuant encore son image d’enfant différent... ; – la vie familiale et sociale : le risque est là encore le retranchement de la famille : resserrement de plus en plus étroit du cercle familial, perte des amis, exclusion progressive de la vie sociale, focali-sation excessive, sinon exclusive, sur la maladie, les thérapeutiques, l’équipe médicale spécialisée... • aider les parents, ce n’est pas pour autant se substituer à eux dans les décisions à prendre ; • informer les familles sur leurs droits administratifs (AES, prise en charge à 100 %, dossiers de CDES , etc.). Les retentissements psychiques de la différence Des travaux récents estiment à 25 % la proportion des enfants et adolescents malades chroniques qui présentent des difficultés émotionnelles et d’adaptation importantes, ce pourcentage étant 2 fois plus élevé que dans la population témoin. L’existence d’une limitation des activités quotidiennes (déplacements, tâches domestiques, vie scolaire ou récréative) majore beaucoup la prévalence des problèmes psychosociaux ou des difficultés d’adaptation, sachant que la limitation dépend aussi du niveau socio-économique. L’enfant, surtout à partir de l’adolescence, risque d’être assailli par un sentiment de dévalorisation, une atteinte de l’image de soi. Cette atteinte est évidente dans les maladies qui modifient son aspect extérieur, nous l’avons dit, et qui signalent à tous sa différence (modifications morphologiques entraînées par la corticothérapie de long cours, alopécie des chimiothérapies anticancéreuses, retard statural et pubertaire). Face à ces difficultés, l’enfant éprouve un grand besoin de sécurité qui doit être entendu en évitant l’écueil de la surprotection au sein du cocon familial. Des retentissements familiaux multiples sont possibles dans un cercle relationnel plus ou moins fermé et auto-entretenu : fragilisation des parents, éclatement du couple parental, isolement familial, surprotection, voire rejet de l’enfant, représentent les principaux risques ; l’isolement familial peut aussi retentir sur la fratrie, toute l’énergie psychique de la famille étant mobilisée pour l’enfant malade sans disponibilité pour les frères et sœurs qui se sentent coupables d’être bien portant ou d’en vouloir à ce frère ou cette sœur « malade ». L’interrogation sur la fratrie doit être systématique et nous avons de nombreux exemples de retentissement grave sur l’un ou l’autre des frères et sœurs (citons par exemple le développement d’une obésité majeure, d’un état dépressif grave, d’un échec scolaire massif…, toutes situations qui risquent d’être occultées ou minimisées, toute l’attention de la famille étant centrée sur la maladie chronique de l’enfant qui « occupe tout le terrain »…). L’interrogation sur la fratrie doit être systématique, à la recherche de retentissement grave sur l’un ou l’autre des frères et sœurs. L’adolescent différent... Adolescence et maladie chronique constituent un modèle de conflit entre deux systèmes de force antagonistes : le premier, à partir de la transformation pubertaire, stimule les conduites d’essais, les relations avec le monde extérieur, l’expression de la sexualité, la démarche émancipatoire ; le deuxième, du fait de la maladie et de ses répercussions sur le développement personnel et les attitudes de l’entourage, représente autant de résistances à cette dynamique. Recevoir l’adolescent en tête-à-tête pendant tout ou partie de la consultation est indispensable. En questionnant l’adolescent sur sa scolarité, les problèmes familiaux, le savoir et les croyances sur la maladie, ses relations avec ses pairs, sa vie intime et le vécu de sa sexualité, le retentissement actuel de sa maladie sur tous les aspects de sa vie quotidienne, ses projets d’avenir, la transition des soins vers les médecins d’adultes, on entreprend une « nouvelle lecture » de sa maladie grâce à « cet arrêt sur l’image », selon l’expression de P. Alvin. Recevoir l’adolescent en tête-à-tête est indispensable et permet une nouvelle lecture de sa maladie. À l’adolescence, la question de la responsabilisation personnelle, avec son corollaire obligé de l’observance, est incontournable. Questionner l’adolescent sur ce point demande aux médecins un effort d’adaptation, en partant de l’idée que la non-observance du traitement représente la situation la plus fréquente. Pouvoir évoquer les problèmes personnels, les entraves de la maladie et le vécu des différences par rapport à ces pairs — telles que le jeune lui-même les analyse — est impératif. À la question « Qu’est-ce qui te gêne le plus dans la vie de tous les jours ? » un adolescent de 17 ans, atteint de mucoviscidose, répond à son pédiatre référent « c’est de tousser en classe, ce qui dérange tout le monde », alors que le médecin s’attendait plutôt à l’entendre exprimer son ras-le-bol de la kinésithérapie ou des cures antibiotiques… Cette expertise personnelle du jeune sur sa qualité de vie est une donnée indispensable de la prise en charge et elle ne peut qu’avoir un impact positif dans l’analyse de l’observance. « Je ne suis pas seul à être différent… » Les échanges avec d’autres adolescents atteints de la même maladie (ou d’une autre maladie chronique) peuvent contribuer pour les jeunes patients à atténuer le sentiment de singularité irrémédiable qu’avait fait naître le vécu quotidien de leur différence. Ces échanges peuvent être facilités au sein d’associations de malades ou au cours de séjours dans des centres de loisir médicalisés. En permettant aux familles et aux jeunes de se rencontrer, de pouvoir échanger leur expérience, leurs soucis, notamment dans le domaine de l’organisation de la vie quotidienne (scolarité, loisirs, etc.), elles contribuent à relativiser la différence... Nous avons en mémoire la conversation qui réunissait trois adolescents atteints de maladie chronique différente, l’un était diabétique, le 2e souffrait de drépanocytose, le 3e était hémophile. Chacun d’eux parlait des contraintes et du vécu quotidien : le diabétique des injections pluriquotidiennes d’insuline et des contrôles glycémiques, le drépanocytaire des crises douloureuses vaso-occlusives, l’hémophile de son auto-traitement prophylactique substitutif par voie intra- veineuse et chacun pensait que sa qualité de vie était bien meilleure que celle des deux autres… Le relais à la médecine adulte : « ce sera différent… » Le relais médical pour les adolescents atteints de maladie chronique et arrivant à l’âge adulte fait maintenant l’objet de nombreux travaux. Ce transfert ne doit jamais être improvisé ou imposé, mais préparé dans une phase dite de « transition ». Il est le fruit d’une discussion anticipée avec l’adolescent reconnu comme interlocuteur privilégié. Ce transfert à un médecin d’adultes confronte l’adolescent à une nouvelle différence… Ce passage doit être présenté comme une démarche nécessaire et positive tout en soulignant les différences de prise en charge entre la pédiatrie et la médecine d’adultes. Il importe de personnaliser ce relais par un référent adulte clairement identifié, en tenant compte de la maturité de chaque adolescent, tout en restant parfois un recours auprès de certains médecins d’adultes dans le cas de maladies rares qu’ils connaissent parfois mal, les sujets atteints mourant jadis avant d’atteindre l’âge adulte. Conclusion Enfant différent des autres et s’efforçant de leur être semblable, tributaire de l’ambiguïté du regard qu’il porte sur lui-même et que les autres portent sur lui, tel est l’enfant atteint de maladie chronique… Frappant un enfant, sujet par essence en plein développement, la maladie met en péril non seulement sa santé physique mais aussi son équilibre psychosocial, sa maturation et ses projets d’avenir ; elle met en question la place et le rôle de chacun des membres de la cellule familiale et des soignants sollicités plus ou moins implicitement par l’enfant malade d’adapter leur aide à chaque étape de son développement et de sa maturation.
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