Publié le 15 jan 2008Lecture 6 min
L’adolescent fatigué : de la perception à l’attitude médicale
B. BOUDAILLIEZ - Centre hospitalier universitaire, Amiens
Tout médecin attentif à prendre soin de l’adolescent sait bien que les plaintes somatiques (céphalées, dorsalgies, douleurs abdominales… et fatigue) sont un langage à écouter et à entendre. À côté des clichés largement manipulés par les médias de l’adolescent débordant d’énergie (« fraîcheur de vivre »), le médecin doit être attentif à l’adolescent qui se plaint de fatigue, que celle-ci soit rapportée par l’adolescent lui-même ou par les parents.
L' adolescent fatigué est une situation fréquente (encadré 1) ; elle appelle une analyse sémiologique précise qui va permettre une orientation. Est-ce une asthénie au sens médical du terme correspondant à bon nombre de situations pathologiques, et qui peut alors en être le signe annonciateur et attendu ? Est-ce un état en relation avec les grands chamboulements corporels de la puberté et des émois l’accompagnant ? (le corps à l’adolescence tient une telle place qu’il est un lieu de projection riche). Est-ce une manifestation d’un mal-être, d’une souffrance ? L’enjeu est alors de décrypter ce signe : la fatigue est un signe d’appel comme le sont les symptômes mal systématisés (symptômes flous, encadré 2), fréquemment rencontrés comme motif de consultation. Fatigue et fatigue : définition La fatigue est un état intermédiaire entre l’effort et le repos qui succède à l’un et suscite l’autre pour pouvoir, dans une dynamique physiologique (récupération), permettre à nouveau un effort. Elle n’est plus physiologique et peut être qualifiée de morbide lorsqu’elle devient itérative, moralement pénible et s’accompagnant d’autres signes. Le dictionnaire historique Robert (sous la direction d’A. Rey) nous indique que le mot provient du latin fatigare : « faire crever un animal par affaiblissement successif ». Plus prosaïquement le dictionnaire du bâtiment (Dicomat) définit la fatigue comme « une faiblesse acquise par un métal qui a subi des efforts successifs modifiant localement sa structure interne ». On le voit, la fatigue est un symptôme qui demande à être mis en sens. La rencontre avec l’adolescent, que ce soit lors d’une consultation suscitée par les parents ou lors d’un passage aux urgences, ne doit pas être un rendez vous manqué. Le contact avec l’adolescent ne va pas de soi et la nécessité d’élargir le contenu de cette consultation par des allusions simples — à part ça, comment ça va ? — doit permettre de renforcer le lien de confiance(1,2,3). L’organisation de la consultation en plusieurs temps (adolescent reçu d’abord seul, puis avec les parents), la confidentialité et l’accueil empathique sont essentiels. Deux questions concernant l’accompagnant (le tiers) doivent systématiquement se poser pour intégrer le sens de sa présence ou de son absence : qui demande quoi et pour qui ? que dire à qui, comment et pourquoi (3) ? La fatigue dans les pathologies somatiques est attendue La fatigue peut être le mode de découverte d’une pathologie somatique. Une analyse sémiologique complète est un préalable incontournable, de même qu’un examen somatique complet. Des investigations biologiques orientées doivent être organisées devant toute suspicion (encadré 3). Le pic de croissance (douleur de croissance ) et la puberté sont souvent invoqués, y compris par les soignants, comme une cause de fatigue à côté des douleurs de croissance. Ces deux phénomènes ne représentent en rien un affaiblissement de l’organisme. Le moment de la consultation est ainsi précieux pour regarder l’adolescent pour ce qu’il est et non pour l’âge qu’il a : tracer et commenter la courbe de développement staturopondéral et évaluer le développement pubertaire sont des points essentiels à cet âge Le syndrome de fatigue chronique Existe–t-il vraiment chez l’enfant et chez l’adolescent ?(6) Les critères de définition de ce syndrome ont été élaborés par le CDC (Center for diseases control) pour l’adulte (encadré 4). La littérature sur le sujet(6,7) montre que son incidence est extrêmement faible chez l’enfant et l’adolescent. L’imprécision des critères et le flou des hypothèses pathologiques doivent rendre extrêmement prudent quant à l’hypothèse de ce diagnostic, qui ne doit pas retarder une démarche formelle à mener devant tout adolescent fatigué. Fatigue « mentale » La question que pose le repérage de la fatigue est aussi celle de difficultés d’ordre psychologique, d’un mal-être, d’un mal à l’existence. La fatigue « mentale » peut ainsi être la somatisation d’un trouble anxieux, le reflet d’une morosité ou d’une dépression masquée, voire la conséquence d’un épuisement de stress répété. La fatigue est ainsi un signal de rupture d’équilibre qu’il convient d’entendre et de décrire non pas comme une ultime défense contre un effondrement physique ou psychique (la dépression), mais comme un phénomène de protection de mise « hors jeu ». On comprend aussi que des paroles lénifiantes de réconfort superficiel, qui évacue le vrai questionnement, ou une prescription médicamenteuse de confort à visée cosmétique est une faute de communication envers cet adolescent. L’écoute attentive de l’adolescent, qui parfois n’allègue qu’un ennui, une morosité, retrouve fréquemment l’association à d’autres symptômes, dit « flous » tels que céphalées, dorsalgies, palpitations, tremblements, douleurs abdominales, etc. Par ailleurs, ce sont souvent les parents qui amènent l’adolescent qui, lui, ne demande apparemment rien (adolescent « lissé »), mais chez lequel manifestement une fatigue de la vie est apparente. Ces symptômes sont flous dans la mesure où leur caractère mal systématisé fait écran et langage. Des difficultés d’attention (hyper vigilance sans concentration réelle, diminution du rendement scolaire) peuvent être imputées à un trouble du sommeil avec difficultés d’endormissement, amplifiées par des couchers tardifs et réveils précoces, voire inversion des rythmes du sommeil. Conclusion Le repérage d’un adolescent souffrant d’une fatigue, véritable symptôme « carrefour », que cette fatigue soit exprimée ou rapportée par un tiers, ou encore manifestée par d’autres symptômes, est une responsabilité pour tout médecin abordant l’adolescent. La rencontre avec l’adolescent ne va pas de soi, elle se construit, se propose, supposant une capacité d’écoute, d’empathie et de disponibilité. Si ces conditions ne sont pas présentes, savoir orienter ou reporter avec une proposition précise, de même, ne pas répondre par des mots plaqués ou par une prescription médicale, doivent être une exigence. On le voit, la médecine de l’adolescent demande un investissement de la personne du médecin.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :