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Néonatologie

Publié le 30 nov 2008Lecture 8 min

Ictère néonatal : quand l’ictère devient sévère. À quoi faut-il penser, que faut-il rechercher ?

P. LABRUNE, Centre de Référence des Maladies héréditaires du métabolisme hépatique. Hôpital Antoine-Béclère, Clamart Université Paris-Sud, UFR, Le Kremlin-Bicêtre

L’ictère néonatal est une situation fréquente puisqu’on estime qu’environ deux tiers des nouveau-nés sont ictériques, le plus souvent de façon parfaitement bénigne et spontanément résolutive. Néanmoins, dans certaines situations, l’ictère peut devenir sévère et il faut alors toujours garder à l’esprit l’idée que le risque d’ictère nucléaire existe bien, même en 2008.

 
Rappel physiopathologique La production de bilirubine est le fruit d’une cascade de réactions biochimiques. Deux étapes sont essentielles. La première étape est l’ouverture du noyau héminique par l’hème oxygénase. L’hème oxygénase est une enzyme dont l’activité est induite par les hormones produites lors du stress (catécholamines) et lors du jeûne (glucagon). De plus, l’activité de l’hème oxygénase est sous le contrôle d’un gène dont la région promotrice comporte un certain nombre de répétitions de dinucléotides GT (plus le nombre de répétitions est important, plus le niveau d’expression du gène est faible, et inversement). La seconde étape fondamentale est la glucuroconjugaison de la bilirubine, effectuée par l’uridine diphosphate glucuronosyl transférase. La glucuroconjugaison permet de transformer la bilirubine non conjuguée, hydrophobe et neurotoxique, en bilirubine conjuguée, hydrophile qui n’est plus neurotoxique.     Données épidémiologiques Des études épidémiologiques récentes montrent que 1 à 2 % des nouveau-nés ont un ictère néonatal dont les concentrations de bilirubine sérique sont supérieures ou égales à 340 μmol/l (20 mg/dl). De même, 1 nouveau-né sur 700 a des concentrations sériques de bilirubine qui excèdent 425 μmol/l (cela représente plus d’une centaine d’enfants chaque année dans notre pays). Enfin, 1 nouveau-né sur 10 000 a des concentrations de bilirubine sérique supérieures à 510 μmol/l, ce qui constitue un niveau très élevé, potentiellement à risque d’ictère nucléaire (cela représente environ 80 nouveau-nés chaque année en France). En France, un nouveau-né sur 700 a des concentrations sériques de bilirubine > 425 μmol/l.   Qu’en est-il du risque d’ictère nucléaire ? La bilirubine libre, non conjuguée, non liée à l’albumine, est neurotoxique quel que soit l’âge de l’individu. Chez le nouveau-né, la glucuroconjugaison est physiologiquement immature. De plus, la synthèse de bilirubine est accrue à cette période de la vie en raison d’une hémolyse, d’un stress, et parfois de situations pathologiques. C’est dire que tous les ingrédients sont réunis pour une morbidité. L’ensemble de ces données a amené les États-Unis d’Amérique à mettre sur pied un registre national des ictères nucléaires, qui avait recensé, à la fin de 2001, 154 enfants atteints de cette pathologie que l’on croyait disparue. Même si l’ictère nucléaire est, fort  heureusement, devenu rare, le risque théorique existe et de nouvelles observations sont décrites encore, alors que toutes ces manifestations pourraient et devraient être prévenues. C’est insister sur l’importance d’une surveillance précoce, précise et adaptée de l’évolution de la bilirubinémie par rapport à l’âge. C’est insister également sur l’importance d’utiliser des abaques de bilirubinémie en fonction de l’âge, abaques publiés et validés dans les 10 dernières années. Des abaques existent aussi pour des bilirubinémies évaluées par mesure transcutanée. Enfin, ces abaques sont différents en fonction de l’âge gestationnel. Le risque,même théorique, d’ictère nucléaire exige une surveillance précoce, précise et adaptée de l’évolution de la bilirubinémie par rapport à l’âge.   Quelle situation clinique rechercher lorsque l’ictère devient intense ? Schématiquement, deux situations prévalent : ● les hémolyses ; ● les maladies de la glucuroconjugaison de la bilirubine. Hémolyses L’observation type pourrait être celle d’un petit garçon né à terme, dans une maternité de niveau 3, chez qui apparaît à la 16e heure un ictère initial ; celui-ci est correctement pris en charge par une photothérapie. L’enfant sort de la maternité à J7, toujours ictérique, bien contrôlé. Il est ramené par sa mère aux urgences pédiatriques au 10e jour de vie : l’ictère est intense, l’enfant est discrètement somnolent et boit moins bien. En dehors de l’ictère et d’une discrète hypotonie axiale, l’examen clinique est normal. La bilirubinémie est à 556 μmol/l, entièrement non conjuguée. La concentration de bilirubine non liée est à 1,97 μg/dl. La décision est alors prise, en accord avec le centre d’hémobiologie périnatale de l’hôpital Saint-Antoine, d’une exsanguino- transfusion. L’évolution ultérieure est favorable. Cet enfant « n’avait qu’un déficit en G6PD ».   Maladie de la glucuroconjugaison  Exemple de la maladie de Crigler Najjar La 2e observation clinique est celle d’une petite fille née à terme, dans un centre hospitalier de la région parisienne. Un ictère néonatal a débuté avant la 24e heure. Il a été pris en charge par une photothérapie et l’enfant est sortie, toujours ictérique, la bilirubinémie étant dans des valeurs considérées comme « non à risque ». Cette enfant n’a pas été revue en consultation et est partie en vacances en Afrique du Nord avec ses parents. Lorsqu’elle est revenue à l’âge de deux mois un quart, l’ictère était majeur. Il existait une hypotonie importante, une somnolence. En dehors de l’ictère, l’examen clinique était sans particularité. La bilirubinémie était à 621 μmol/l, entièrement non conjuguée, et la bilirubinémie non liée à 0,97 μg/dl. Le diagnostic de maladie de Crigler Najjar de type I a été évoqué et confirmé par l’étude moléculaire. Cette petite fille a été prise en charge par une photothérapie, initialement à l’hôpital puis à domicile. En revanche, les lésions neurologiques sont devenues rapidement évidentes avec un syndrome extrapyramidal majeur, une hypotonie axiale, des troubles de la déglutition. Même si la maladie de Crigler Najjar de type I est une maladie exceptionnelle, le diagnostic peut en être évoqué si l’ictère apparaît de façon très précoce et très intense ; elle nécessite le recours à une photothérapie quasi permanente pour être contrôlée.    Maladie de Gilbert Enfin, le rôle de la maladie de Gilbert en période néonatale doit être évoqué. La maladie de Gilbert est, dans les populations européennes et africaines, liée à la présence d’un dinucléotide TA surnuméraire dans la région promotrice du gène (cette « mutation » doit être présente à l’état homozygote pour que le phénotype puisse s’exprimer). Dans les populations asiatiques, la maladie de Gilbert a d’autres bases moléculaires, en rapport avec une mutation ponctuelle au codon 71. La maladie de Gilbert n’entraîne pas, à elle seule, un ictère néonatal. En revanche, elle a un rôle important dans la rapidité d’évolution : les nouveau-nés ictériques ayant une maladie de Gilbert ont une aggravation plus rapide de leur ictère. La maladie de Gilbert joue également un rôle dans la prolongation de l’ictère néonatal, comme cela a été montré dans certaines études. La maladie de Gilbert n’entraîne pas à elle seule un ictère néonatal, mais accélère son évolution et prolonge sa durée. Enfin, la maladie de Gilbert majore le risque de développer un ictère chez les enfants ayant une hémolyse constitutionnelle, qu’il s’agisse d’un déficit en G6PD ou d’une sphérocytose héréditaire. De façon plus récente, on a mis en évidence le rôle du polymorphisme du promoteur du gène codant l’hème oxygénase dans la genèse de certains ictères néonatals, mais ce point mérite encore des études plus poussées.   En Pratique, on retiendra  Lorsque l’ictère néonatal devient sévère, il faut avant toute chose prévenir la survenue d’un ictère nucléaire.  Il faut évoquer les diagnostics de maladie hémolytique et d’anomalie de la glucuroconjugaison de la bilirubine.  Il faut rappeler que l’évaluation clinique n’est pas fiable pour juger de l’intensité d’un ictère et qu’il faut avoir recours à des mesures de bilirubinémie, de bilirubinométrie transcutanée.  Il faut enfin rappeler que l’évaluation du rapport molaire bilirubinémie/albuminémie est un excellent marqueur biologique qui permet d’évaluer au mieux le risque d’ictère nucléaire.  

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