Publié le 27 nov 2008Lecture 11 min
Grossesse, infections sexuellement transmissibles et risque pour l’enfant : dépistez !
C. DERANCOURT, Service de Dermatologie, Centre hospitalier de Fort-de-France
La maîtrise des infections sexuellement transmissibles, on le sait, représente un objectif crucial de santé publique ; elles sont régulièrement classées dans les dix premières priorités par l’OMS. Leurs conséquences sont majeures pour la santé en termes de mortalité, morbidité et reproduction, alors qu’elles sont le plus souvent peu ou pas symptomatiques. Leur dépistage est donc primordial, mais il est difficile de garder au quotidien ces diagnostics à l’esprit, et peut-être encore pluspendant un suivi de grossesse (1).
Devant un motif génital de consultation, il est aisé d’aborder les étiologies à type d’IST. En revanche, ceci est beaucoup plus difficile pour un motif de consultation non génital. Ainsi, une réflexion est à mener par chaque praticien sur sa communication avec les patients en consultation de dermatologie quant aux pratiques sexuelles, aux prises de risque, afin d’adapter le dépistage des IST. On peut également aussi banaliser ce dépistage sans entrer pour autant dans le détail de la vie intime des patients... Enfin, pendant la grossesse comme en dehors de ce cadre, un diagnostic et une prise en charge des IST impliquent le respect du secret médical – notamment par rapport au(x) partenaire(s) –, le rappel des règles de prévention, le calendrier des contrôles sérologiques et un dépistage large de certaines IST latentes (infections à VIH, à Chlamydia trachomatis, à HPV et au VHB). Nous traiterons surtout ici de la syphilis, de l’herpès, de l’infection HPV et de l’infection à Chlamydia trachomatis. Figure 1. Simple érosion vulvaire : récurrence herpétique. Herpès génital (2,3) Dix à 30 % de la population en activité génitale dans les pays « développés » est infectée par HSV-2. En Afrique noire, il s’agit de la première cause d’ulcération génitale avec des prévalences de 30 % dans certaines études ; en outre, dans cette région du monde, l’herpès génital favorise l’épidémie VIH. Pendant la grossesse, toutes les manifestations de l’herpès (primo-infection, récurrence et excrétion asymptomatique) sont possibles. L’herpès néonatal est un phénomène rare mais gravissime en l’absence de traitement spécifique rapidement instauré. Il survient pour 1/10 000 à 1/100 000 grossesses et peut se manifester par une virémie herpétique, une méningo-encéphalite ou une atteinte cutanéo-muqueuse. Environ 5 % des femmes enceintes ont des antécédents de lésions d’herpès génital clinique. Le risque d’herpès néonatal en cas de récurrence clinique maternelle lors de l’accouchement est de 4 %, et il est de 0,04 % en cas d’excrétion virale asymptomatique. La transmission s’effectue dans 85 % des cas à l’accouchement, mais peut également intervenir in utero ou après la naissance. Le risque d’herpès néonatal en cas de récurrence clinique maternelle lors de l’accouchement est de 4 % et de 0,04 % en cas d’excrétion virale asymptomatique. En cas de lésions herpétiques chez la mère, pendant le travail ou en cas de survenue d’un premier épisode d’herpès génital dans le mois précédent, la césarienne est indiquée avec un traitement du nouveauné par aciclovir IV en urgence arrêté ou poursuivi 14 à 21 jours selon les résultats virologiques. Par ailleurs, en cas de survenue d’un premier épisode d’herpès génital pendant la grossesse, l’aciclovir sera administré per os de façon systématique à raison de 400 mg trois fois par jour à partir de la 36e semaine d’aménorrhée (conférence de consensus 2002). Le nouveauné, né dans ce contexte, bénéficiera de prélèvements oculaires et pharyngés à la recherche d’HSV, dont les résultats conditionneront la poursuite du traitement antiviral. L’intérêt de la sérologie HSV chez lafemme enceinte n’est pas consensuel. On peut discuter en début de grossesse la réalisation d’une sérologie HSV chez une femme n’ayant jamais présenté d’antécédent d’herpès et dont le partenaire serait porteur d’herpès récurrent clinique. Infections à papillomavirus humains (4,5,6) Condylomes acuminés Il n’y a pas en France de recommandation générale spécifique quant à leur prise en charge pendant la grossesse. Il est cependant souhaitable qu’elle soit effectuée avant la 36e semaine d’aménorrhée. Pendant la grossesse, les traitements destructeurs comme la cryothérapie, les applications d’acide trichloracétique et le laser CO2 sont autorisés, alors que les applications d’imiquimod, de podophylline et de podophylotoxine sont contreindiquées. Il faut bien sûr rappeler que la disparition des condylomes n’est pas synonyme de la disparition de l’infection à HPV. En cas de condylomatose profuse qui gênerait en soi l’accouchement par voie basse, il faut proposer une césarienne. Figure 2. Condylomes vulvaires (service de gynécologie obstétrique, CHU de Reims). Figure 3. Condylomes vulvaires (service de dermatologie, CHU de Fort-de-France). Les risques de l’infection HPV génitale chez la mère pour le nouveau- né sont la survenue de condylomes ano-génitaux et la survenue d’une papillomatose laryngée. Cette dernière infection est rare et son pic de survenue tardif, de 2 à 4 ans. Ainsi, il n’y a pas d’étude prospective d’incidence permettant de quantifier le risque de papillomatose laryngée chez l’enfant d’une femme ayant une infection génitale à HPV. Cependant, des études castémoins ont montré la présence d’HPV cervico-vaginal plus fréquente chez les mères d’enfant ayant une papillomatose laryngée. Une autre étude montre qu’ils sont plus souvent des premiers-nés, nés par voie naturelle, dont la mère était jeune par rapport au témoin, toutes ces données présumant que l’infection génitale à HPV est facteur de risque de la papillomatose laryngée. Les risques pour le nouveau-né sont la survenue de condylomes ano-génitaux et la survenue d’une papillomatose laryngée. Infection à HPV cervicale L’évolution des dysplasies cervicales au cours de la grossesse est le plus souvent stable ou en régression, les progressions sont rares. L’incidence des dysplasies cervicales est d’environ 1 %, et il est recommandé en début de grossesse d’actualiser le dépistage (nouvelle cytologie cervicale en début de grossesse si la précédente remonte à plus de deux ans). En cas d’anomalie cytologique, la pratique de colposcopie et biopsie sera la même qu’en dehors de la grossesse ; en revanche, on a tendance à reporter tous les gestes invasifs en fin de grossesse, lorsque l’invasion carcinologique a été exclue par confrontation cytologie-colposcopie-biopsie. Les conisations diagnostiques associées à un cerclage doivent rester une procédure d’exception. Il est recommandé en début de grossesse d’actualiser le dépistage par cytologie cervicale. Infections génitales à Chlamydia trachomatis (7) Il s’agit d’une des rares IST plus fréquentes chez les sujets jeunes. Le dépistage en est essentiel en raison du portage asymptomatique et également de ses conséquences sur la grossesse qui sont particulièrement importantes (grossesse intra-utérine, stérilité tubaire). Le dépistage repose essentiellement sur la mise en culture d’un prélèvement cervical ou les tests d’amplification géniques (PCR) sur premier jet d’urine et/ou sur prélèvement endocervical. Il est important de rappeler que la sérologie Chlamydia n’a pas d’intérêt diagnostique dans les infections génitales basses à Chlamydia trachomatis. L’infection à Chlamydiae trachomatis a des répercussions foetales : fausse couche spontanée, rupture prématurée des membranes et retard de croissance intra-utérin. Chez le nouveau-né, elle peut être responsable d’une conjonctivite purulente ou d’une broncho-pneumonie. Pendant la grossesse, les recommandations thérapeutiques pour une infection basse sont l’azithromycine 1g per os en dose unique. Le nouveau-né sera traité par érythromycine 50 mg/kg/j jour en 4 prises quotidiennes pendant deux semaines. Infections à mycoplasmes (8) La pathogénicité est probable pour une infection à Mycoplasma genitalium dans certains cas d’endométrite et de salpingite. En revanche, la recherche systématique d’Ureaplasma urealyticum et de Mycoplasma hominis n’est pas recommandée pendant la grossesse. Trichomonose(9,10) Elle peut être responsable pour certains auteurs de fièvre du post partum, de rupture prématurée des membranes et de retard de croissance intra-utérin. Le traitement des formes symptomatiques repose en première intention sur le métronidazole, un ovule matin et soir pendant deux semaines. En cas d’échec, on proposera le métronidazole per os à raison de 500 mg deux fois par jour pendant une semaine. Infection à VHB(9,10) Il est important de penser à cette infection dont la prévalence en France est assez élevée autour de 0,7 %, avec des fluctuations interrégionales importantes (1,2 % de porteurs d’Ag HbS dans le grand quart Nord-Est). Le dépistage repose sur la recherche de l’Ag HbS au 6e mois de grossesse. La grossesse est le moment de rappeler les recommandations de vaccination universelle des nourrissons. Les nouveau-nés, nés de femmes porteuses de l’antigène HBS, devront bénéficier d’une sérovaccination. La gonococcie (9,10) Elle peut avoir des répercussions foetales : rupture prématurée des membranes, retard de croissance intra-utérin, chorio-amniotite et fausse couche spontanée. Chez le nouveau-né, elle est responsable de l’ophtalmie purulente. Une gonococcie diagnostiquée pendant la grossesse justifie en première intention chez la mère un traitement par ceftriaxone 250 mg intramusculaire en dose unique et chez le nouveau-né par érythromycine 30 à 50 mg par kg/j per os pendant 10 jours. La syphilis (11,12) Cette infection connaît une épidémie dans les pays développés depuis le début des années 2000, tandis qu’elle reste endémique dans les pays en développement. Dans certaines régions du monde, la prévalence de la syphilis chez les femmes enceintes est de l’ordre de 10 % notamment dans les pays d’Afrique noire et à Madagascar. En France, sur la période 2000-2005, 1 841 cas ont été déclarés (données InVS), dont 3 % de femmes, avec une sous- déclaration probablement importante. Une majorité des diagnostics sont posés au stade de syphilis secondaire (41 %). L’âge moyen du diagnostic est de 36,7 ans. Il existe des épidémies régionales différentes, notamment en Martinique où l’on observe une épidémie toute récente en 2007, dont 40% de femmes. Le diagnostic de syphilis secondaire doit donc rester à l’esprit devant une dermatose inexpliquée. Une majorité des diagnostics sont posés au stade de syphilis secondaire (41 %). Le dépistage repose toujours légalement sur la réalisation d’un test tréponémique (le plus souvent TPHA) associé à un test réaginique (VDRL le plus souvent). Les recommandations de dépistage de la syphilis pendant la grossesse sont un dépistage universel au premier examen prénatal (1er trimestre) ; chez les femmes à risque, il faut le renouveler au 2e et 3e trimestres avant la 28e semaine d’aménorrhée. En l’absence de sérologie effectuée pendant la grossesse, il est recommandé de l’effectuer après l’accouchement. Ce dépistage doit être systématique en cas d’enfants mort-nés, d’avortements spontanés. Figure 4. Syphilis secondaire érosive (service de dermatologie, CHU de Fort-de-France). Figure 5. Syphilis secondaire (service de dermatologie, CHU de Fort-de-France). Les répercutions foetales d’une syphilis maternelle pendant la grossesse peuvent être majeures : fausse couche spontanée, rupture prématurée des membranes et retard de croissance intra-utérin. Le mode de transmission est essentiellement périnatal ou au cours du 2e trimestre de la grossesse. Les classiques formes néonatales précoces sont de mauvais pronostic, avec 20 % de mortalité périnatale ; les formes tardives supérieures à 2 ans sont souvent asymptomatiques, mais avec des séquelles possibles. Pendant la grossesse,la mère doit être traitée en l’absence d’allergie par la pénicilline ou une injection intramusculaire de 2,4 millions d’unités de benzathinepénicilline G, et 2,4 millions d’unités intramusculaires en une injection pour la syphilis précoce. Les recommandations pour la syphilis tardive sont les mêmes qu’en l’absence de grossesse. Il est théoriquement indiqué une désensibilisation à la pénicilline en cas d’allergie à celle-ci, puisque les cyclines sont contre-indiquées pendant la grossesse. Conclusion N’oublions pas les IST pendant la grossesse et adaptons notre pratique de dépistage en fonction des facteurs de risque. Certains dépistages sont systématiques pendant la grossesse (syphilis, VIH, hépatite B), mais il faut penser à aborder le dépistage des autres diagnostics le cas échéant. Et pensons également aux IST du conjoint, notamment en dernier trimestre de grossesse. Points forts Savoir aborder le problème des IST même pendant la délicate période de grossesse… Ne pas attendre les symptômes pour dépister les principales IST, qui sont le plus souvent latentes… Ne pas oublier l’épidémie de syphilis des pays développés depuis le début des années 2000.
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