Publié le 13 oct 2010Lecture 10 min
Critères de prescription d’un antibiotique chez l’enfant. Voix mêlées du clinicien et du bactériologiste
À travers deux observations de pathologie infectieuse (otite, pneumopathie) vues en ville, les auteurs nous proposent un dialogue qui souligne, d’une part, que le choix de l’antibiothérapie n’est pas toujours simple en fonction des situations et, d’autre part, que ce dialogue entre clinicien et bactériologiste est bien utile compte tenu des fluctuations de l’épidémiologie.
Avant-propos • En présence d’une infection non documentée, la prescription d’une antibiothérapie probabiliste repose sur les signes clinico-biologiques, les études épidémiologiques et l’Evidence Based Medicine (résultats d’études cliniques prospectives, randomisées démontrant la supériorité d’un schéma thérapeutique). Les prélèvements à visée bactériologique, s’ils sont nécessaires et possibles, doivent être réalisés avant le début d’une antibiothérapie probabiliste. L’efficacité de celle-ci doit être réévaluée à H48-H72 après le début de ce traitement. • En présence d’une infection documentée, le choix optimal de l’antibiothérapie dépend de la sensibilité aux antibiotiques de la bactérie responsable de l’infection, de la diffusion de l’antibiotique au niveau du site infectieux et des paramètres pharmacocinétiques/ pharmacodynamiques. Les β-lactamines sont temps-dépendantes, ce qui correspond à l’obtention d’une éradication bactériologique lorsque le temps au-dessus de la CMI atteint au moins 40 % du temps entre deux administrations. À l’inverse, les aminosides sont concentration-dépendants, ce qui correspond à l’obtention d’une éradication bactériologique lorsque le QI (rapport concentration sanguine de l’antibiotique/ CMI est > 8). Le choix de l’antibiotique dépend également des antécédents du patient, de la toxicité de l’antibiotique, des critères recommandés par les conférences de consensus, de l’expérience du clinicien, de leur effet écologique et enfin du coût. Observation n°1 Le clinicien – J’ai examiné un nourrisson âgé de 18 mois à ma consultation matinale alors qu’il était fébrile à 38,8 °C et que sa mère s’inquiétait pour une irritabilité et des réveils nocturnes avec cris douloureux. Otite moyenne aiguë L’ensemble des vaccins recommandés à son âge a été pratiqué avec les rappels, respectant les recommandations du calendrier vaccinal. Cet enfant est gardé en crèche depuis l’âge de 4 mois et n’a aucun antécédent évocateur d’infections des voies respiratoires supérieures ou inférieures. À l’examen, il existe des tympans congestifs des deux côtés et une collection rétrotympanique purulente. J’ai porté le diagnostic d’otite moyenne aiguë purulente bilatérale et ai prescrit un traitement par amoxicilline + acide clavulanique (Augmentin®) (seringue graduée en kilos, 3 fois par jour pendant 8 jours). Trois jours plus tard, la mère s’inquiète car, malgré ce traitement antibiotique, l’enfant demeure fébrile (38,5 °C), irritable et prend moins bien ses repas. L’examen otoscopique est inchangé, ce qui me permet de conclure à l’échec du traitement antibiotique initialement prescrit. Il convient, alors, de répondre à deux questions : 1. Quelle est la bactérie la plus probablement impliquée dans cet échec ? Un pneumocoque résistant à l’amoxicilline ou Haemophilus influenzæ ? 2. Que dois-je faire à ce stade ? – Une paracentèse pour argumentation bactériologique et adaptation de mon antibiothérapie ? – Un switch antibiotique probabiliste ? Le bactériologiste – À ce stade, il est difficile d’impliquer une bactérie plus que l’autre, bien que H. influenzæ soit le plus probable. Cependant, il existe des souches de pneumocoque avec des CMI à l’amoxicilline > 2 et des H. influenzæ résistant à l’Augmentin ®. La paracentèse serait le geste le plus approprié pour évaluer la bactérie responsable de l’échec. Le clinicien – Je n’ai pas d’ORL immédiatement disponible et n’ai pu faire effectuer cette paracentèse. Quel antibiotique dois-je alors prescrire ? 1. Amoxicilline à fortes doses (150 mg/kg pendant 8 à 10 jours) ? 2. Cefpodoxime proxétil (Orelox ®) (en 2 prises par jour pendant 8 à 10 jours) ? 3. Une association amoxicilline/ Augmentin® pour atteindre une posologie de 150 mg/kg/j d’amoxicilline en 3 prises pendant 8 à 10 jours ? 4. De la rocéphine en 1 injection de 50 mg/kg/j par voie intramusculaire pendant une durée de 3 jours ? Le bactériologiste – En présence d’un pneumocoque résistant à l’amoxicilline, seule l’amoxicilline à fortes doses (150mg/kg) pourrait être proposée. Certaines souches d’Haemophilus influenzæ sont cependant devenues résistantes à l’amoxicilline par un mécanisme indépendant de la production de la β-lactamase. Le clinicien – Je ne comprends plus l’évolution de l’argumentation antibiotique par rapport aux références Afssaps (2005).Cette otite me semblait liée, sur des arguments probabilistes (otite modérément, fébrile, modérément algique), à Haemophilus influenzæ. Pourquoi l’amoxicilline + acide clavulanique (Augmentin® ou générique) n’a-t-il pas été le traitement efficace ? Le bactériologiste – Il s’agit de souches résistantes à l’amoxicilline + acide clavulanique par modification d’affinité des cibles des β-lactamases (PLP). L’Augmentin ® n’a alors plus sa place première. Les céphalosporines de 3e génération (C3G) orales sont les plus adaptées. Le clinicien – Le cefpodoxime proxétil (Orelox®) aurait-il dû être l’antibiotique de meilleur choix initialement ou secondairement face à l’échec du traitement par l’amoxicilline + acide clavulanique ? Le bactériologiste – La connaissance de l’épidémiologie actuelle nous éclaire sur nos stratégies antibiotiques premières et plus encore à propos de la conduite antibiotique à tenir en cas d’échec de l’antibiothérapie initialement recommandée (Afssaps). Haemophilus influenzæ est une des bactéries les plus fréquemment responsables des otites moyennes aiguës purulentes et le pathogène dominant des échecs de l’antibiothérapie chez les enfants correctement vaccinés contre le pneumocoque. Au cours des années 2004-2005, l’actualité a mis en évidence deux mécanismes de résistance aux β-lactamines : – la production de β-lactamase (26,3 %) ; – et, depuis peu, des résistances à l’amoxicilline + acide clavulanique par modification de la cible des β-lactamines avec diminution de l’activité des PLP (22 %). Les deux mécanismes étant associés dans 8 % des cas (H. Dabernat, Médecine et Maladies infectieuses 2007 ; 37 : 320). Le clinicien – Alors que choisir ? Le bactériologiste – La résistance du pneumocoque avait diminué depuis la pratique de la vaccination antipneumococcique et la généralisation des campagnes de santé publique « Les antibiotiques, ce n’est pas automatique ». Au cours de la période 2006- 2008, le pneumocoque est redevenu le germe prédominant devant H. influenzæ, en raison de l’émergence de sérotypes de remplacement, dont le sérotype 19A de sensibilité intermédiaire à la pénicilline. Face à cette situation épidémiologique, et à propos de ce cas clinique concret, le cefpodoxime proxétil devient le « pari antibiotique acceptable ». La Rocéphine® pourrait être considérée comme le traitement antibiotique optimal, mais on ne saurait en indiquer la prescription que dans des cas exceptionnels (notamment si intolérance digestive) Observation n°2 Le clinicien – J’ai examiné ce jour à ma consultation la petite Sarah âgée de 24 mois pour une fièvre élevée à 40 °C depuis la nuit précédente. Il existe depuis 24 heures environ, une toux modérément fébrile. La fréquence respiratoire est chiffrée à 50 c/ min. À l’auscultation, il existe des crépitants et sous-crépitants à droite et le cliché thoracique a mis en évidence un foyer pulmonaire de la base droite. Il n’existe aucun signe clinique de gravité de cette pneumonie. Que dois-je prescrire ? 1. Amoxicilline 80-100 mg/kg/j ? 2. Amoxicilline : 150 mg/kg/j ? 3. Josacine® 50 mg/kg/j ? 4. Amoxicilline + acide clavulanique (Augmentin®) (80 mg/kg/j d’amoxicilline) ? 5. Ceftriaxone (Rocéphine®) : 50 mg/kg/j en 1 injection ? Le bactériologiste – Le risque infectieux majeur est lié au pneumocoque. Le traitement ambulatoire recommandé dans cette forme sans signes de sévérité est l’amoxicilline (80-100 mg/kg/j en 3 prises). La concentration tissulaire d’amoxicilline même administrée per os est suffisante (même pour un pneumocoque de sensibilité diminuée). Le clinicien – Soixante-douze heures plus tard, j’ai réexaminé l’enfant à ma consultation en fin de soirée. Elle restait fébrile à 39 °C et sa fréquence respiratoire était inchangée à 50 c/min. Le reste de l’examen clinique était inchangé. La prise des repas était médiocre, et la petite fille apparaissait fatiguée. Que dois-je faire ? 1. Remplacer l’amoxicilline par un macrolide ? 2. Ajouter un macrolide à la prescription initiale ? 3. Prescrire une nouvelle radiographie du thorax ? 4. Remplacer l’amoxicilline par de la Rocéphine® ? Je choisis de maintenir le même traitement jusqu’à ce que puisse être réalisé, le lendemain, un nouvel examen radiographique du thorax. Celui-ci a mis en évidence, outre le foyer pulmonaire, un épanchement pleural de la base droite. L’orientation hospitalière était alors indispensable. Aux consultations hospitalières pédiatriques, la NFS a mis en évidence une hyperleucocytose à 18 000/mm3, dont 80 % polynucléaires neutrophiles ; la CRP a été chiffrée à 281 mg/l ; la PCT à 40 ng/ml. Les hémocultures pratiquées seront négatives. L’échographie pleurale a mis en évidence un épanchement de moyenne abondance de la base droite, ayant permis de guider une ponction pleurale qui, dès l’examen direct du liquide, mettra en évidence de très nombreux cocci Gram positifs en diplocoque et en chaînettes. Le Binax® sur liquide pleural sera également positif vis-à-vis du pneumocoque. La culture du liquide pleural permettra d’identifier un Streptococcus pneumoniæ de sérogroupe 3. Quel antibiotique doit alors être prescrit en milieu hospitalier ? Le bactériologiste – Le pneumocoque ayant été identifié dès l’examen direct : C3G + vancomycine ou C3G + rifampicine. Le clinicien – Si aucun germe n’avait été mis en évidence à l’examen direct, quel traitement antibiotique empirique m’auriezvous proposé ? Le bactériologiste – C3G injectable + vancomycine ou rifampicine. Le clinicien – Selon quel rationnel ? Le bactériologiste – L’étiologie des pleuropneumopathies est associée à trois germes, le pneumocoque qui prédomine, Staphylococcus aureus et Streptococcus pyogenes. Vis-à-vis de ces trois germes, les critères PK/PD justifient l’utilisation de soit l’association céfotaxime (Claforan ®) + vancomycine, soit céfotaxime (Claforan®) + rifampicine. Le clinicien – La démarche diagnostique face à une pneumonie aiguë communautaire en échec thérapeutique à 48-72 heures d’un traitement antibiotique par une β-lactamine orale conduit donc : 1. À vérifier la compliance thérapeutique. 2. À proposer un cliché thoracique pour éliminer l’éventualité d’une complication pleurale. 3. Si l’image pulmonaire reste inchangée, à modifier le traitement initial par un macrolide dans la crainte d’une infection à Mycoplasma pneumoniæ que les examens sérologiques pourront confirmer. 4 . S’il existe une complication pleurale, à pratiquer une échographie qui permet une ponction seule susceptible de cibler l’antibiothérapie vis-à-vis du germe responsable. Il apparaît que les pneumonies et surtout les pleurésies à pneumocoque sont en incidence croissante. Le vaccin Prévenar® est-il devenu inefficace ? Le bactériologiste – Si Prévenar® a diminué l’incidence des pneumonies à pneumocoque, il n’a pas diminué celle des pleuropneumopathies. En effet, les pleuropneumopathies qui surviennent surtout après 2 ans sont associées aux sérotypes 1, 3 et 19A qui ne sont pas contenus dans Prévenar®, mais le sont dans Prévenar®13. Leur incidence est croissante aussi bien en France qu’aux États-Unis en raison de l’émergence des sérotypes de remplacement.
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