Rhumatologie - Os - Orthopédie - Traumatologie
Publié le 05 fév 2015Lecture 11 min
Troubles de la statique des membres inférieurs : genu varum et genu valgum
P. MARY, service d’orthopédie et de chirurgie réparatrice, hôpital Armand Trousseau, Paris
La découverte d'un genu varum ou d'un genu valgum chez un enfant n'implique pas, dans la plupart des cas, la mise en œuvre d'un traitement orthopédique, ni même la réalisation d'un bilan d'imagerie. Pierre Mary (hôpital Trousseau, Paris) indique dans cet article la conduite à suivre pour identifier les indications thérapeutiques.
Trop souvent, la confusion se fait entre genu varum et valgum. La première chose à faire est de bien définir le type de défaut d’axe. Selon les conventions anatomiques, la déformation est nommée en fonction de la position du segment distal. Un genu varum se définit par un segment tibial qui va en dedans et un genu valgum par un segment tibial qui se dirige en dehors (figure 1). Devant une telle déformation, trois questions se posent : – est-ce physiologique ou pathologique ? – quel traitement proposer ? – dans l’idéal, comment doit-on être en fin de croissance pour éviter une dégradation arthrosique précoce ? Voici donc les questions auxquelles nous allons tenter d’apporter des réponses. Figure 1. A : genu valgum. B : genu varum. Genu varum/valgum : physiologique ou pathologique ? Pour pouvoir répondre, il suffit dans la très grande majorité des cas d’un interrogatoire et d’un examen clinique. Aucun examen complémentaire ne se justifie en première intention. L’interrogatoire recherche une éventuelle pathologie osseuse familiale qui puisse expliquer une telle anomalie (comme, par exemple, une maladie exostosante, une fragilité osseuse, etc.). On s’assure également de l’absence de régime alimentaire particulier et de la prise régulière de vitamine D chez les petits (rachitisme). Ces enfants sont le plus souvent asymptomatiques et ce sont les parents qui sont les plus inquiets. Les activités physiques sont en rapport avec l’âge ; il n’existe pas de gêne fonctionnelle. Fait essentiel en faveur du caractère physiologique de la déformation : elle est bilatérale et symétrique. Une déformation unilatérale ou bilatérale mais très asymétrique et toujours pathologique. Au cours de la croissance, le morphotype des membres inférieurs varie dans le plan frontal. À la naissance, tous les bébés sont en genu varum bilatéraux et symétriques, avec le plus souvent une arcuature tibiale interne (nous reviendrons sur ce trouble rotationnel). L’évolution se fait progressivement vers le genu valgum, avec un maximum vers l’âge de 3 ou 4 ans, puis ce genu valgum diminue progressivement pour théoriquement faire qu’en fin de croissance les membres inférieurs sont en genu valgum de quelques degrés (figure 2). Figure 2. Évolution du morphotype des membres inférieurs dans le plan frontal durant la croissance. Dans ces cas, aucun traitement ne se justifie et n'a fait la preuve d’un quelconque intérêt (semelles orthopédiques, attelles de nuit ou permanente, etc.). Ne rien faire est très déprimant pour les parents et il est donc nécessaire de leur expliquer, pour ce qui est de l’appareil locomoteur, que la croissance est un changement de taille mais aussi de forme des segments osseux. Les faux genu varum/valgum La torsion tibiale interne Chez le petit enfant qui débute la marche, très souvent le genu varum noté par les parents n’est pas une déformation dans le plan frontal mais dans le plan horizontal. Pour s’en assurer, il suffit d’examiner ces enfants en décubitus dorsal et de positionner le genou parfaitement de face, rotule au zénith (figure 3). Figure 3. Torsion tibiale interne. A : en charge, impression de genu varum. B : genou de face, le segment jambier est droit et la pince bimalléolaire est orientée en dedans. On constate alors que la pince bimalléolaire est orientée complètement en dedans (alors qu’à l’âge adulte, elle est en rotation externe, en moyenne de 20°). Dans ces conditions, l’enfant a deux solutions : soit il marche les genoux dans l’axe de la marche et alors les pieds sont complètement en dedans ; soit il marche, les pieds normalement en rotation externe (ce qui est plus fonctionnel) et, dans ce cas, les genoux sont vus de trois quarts, ce qui explique cet aspect de faux genu varum. L’hyperantéversion des cols fémoraux Certains enfants, en général plus âgés que les précédents, sont amenés pour un genu valgum. En fait dès l’inspection de la marche, on note que celle-ci se fait avec un strabisme rotulien, c'est-à-dire en rotation interne, ce qui explique cette impression de genu valgum. Ceci est dû à une augmentation de l’antéversion des cols fémoraux. À la marche pour obtenir la meilleure couverture possible des hanches, le sujet doit se mettre en rotation interne de hanche pour revenir à une antéversion physiologique d’environ 15°, équivalente à celle de l’adulte (figure 4). Figure 4. Démarche en rotation interne due à une hyperantéversion des cols fémoraux. A : sujet normal, l’axe du col (en noir) est de 15° par rapport à l’axe du genou (en bleu). B : sujet ayant 40° d’hyperantéversion au repos. L’axe du genou est de face et le col cherche en avant une congruence de hanche moyenne. C : lorsque ce même sujet marche, il améliore sa couverture de hanche en se mettant en rotation interne. Le genou est alors en dedans. Dans la très grande majorité des cas, cette hyperantéversion diminue avec la croissance de l’enfant et ne justifie aucun traitement particulier. L’attitude vicieuse de hanche Selon un peu le même mécanisme, elle peut être à l’origine d’une fausse déviation frontale du genou : une attitude vicieuse en adduction de hanche augmente l’impression du genu valgum. Ces différentes anomalies montrent clairement qu’il n’est pas possible d’envisager une déviation au niveau des membres dans un seul plan et sur une seule articulation comme le genou. L’ensemble des membres inférieurs est à prendre en compte et ceci dans les trois plans de l’espace. Le genu valgum du sujet obèse Chez le sujet obèse, le volume des cuisses oblige à écarter les genoux et majore l’impression de genu valgum. Le bilan radiographique montrera des membres normoaxés dans la majorité des cas. Quel bilan radiographique et quand ? Il est justifié dans tous les cas de déviation unilatérale ou asymétrique. Il ne nous semble pas nécessaire si la déviation est bilatérale et symétrique chez le petit enfant à des périodes où son morphotype varie comme nous l’avons vu précédemment. Chez l’enfant plus grand, une imagerie est plus souvent justifiée : ceci pour avoir une mesure exacte à un moment donné et surtout pour pouvoir apprécier l’évolution, avec le temps de l’éventuelle déformation. Le bilan radiographique repose sur le pangonogramme, c'est-à-dire sur un cliché des membres inférieurs en entier, en charge, les rotules parfaitement de face, avec un bassin équilibré en cas d’inégalité de longueur associée (figure 5). Figure 5. Bilan radiologique. Membres inférieurs en entier, de face, en extension complète. Le bassin a été équilibré pour compenser une inégalité de longueur. Les genoux sont parfaitement en face. Une fois ces conditions remplies, il est possible de mesurer les axes de manière précise et reproductible. Ce cliché permet de mesurer les axes anatomiques des membres inférieurs de manière précise et de localiser le siège de la déformation (tibiale fémorale ou mixte). Il est bien sûr à interpréter en fonction de l’examen clinique, car en charge une éventuelle composante d’instabilité frontale majore la déformation (figure 6). Figure 6. Maladie osseuse constitutionnelle avec instabilité frontale majeure du genou. Pourquoi traiter les genu varum/valgum ? Le but est de pouvoir proposer un traitement simple durant la fin de la croissance pour diminuer au maximum le risque d’arthrose précoce à l’âge adulte. Globalement, la gonarthrose concerne 1 % des sujets entre 55 et 64 ans, avec 3 fois plus de femmes que d’hommes. Dans 90 % des cas de gonarthrose, il s’agit initialement d’une arthrose interne sur genu varum. La gonarthrose sur genu valgum représente 10 % des cas. Chez les femmes, globalement 34 % sont en genu varum et 22 % en valgum contre 60 % de genu varum chez les hommes et 10 % de genu valgum. Le but du chirurgien pédiatre n’est donc pas de normo-axer tous les sujets, mais de s’intéresser à ceux qui gardent des défauts d’axe importants (genu valgum > 10°, genu valgum > 10°) ou plus minimes mais sur des genoux déjà à risque suite à des antécédents de traumatismes ou d’autres lésions (méniscectomie, etc.). Le but est d’avoir un axe proche du genu valgum physiologique sans gros troubles torsionnels et avec un interligne horizontal en charge. Comment les traiter ? Avant toute décision chirurgicale, il faut s’assurer que la déformation n’a pas tendance à diminuer avec le temps. Si ce n’est pas le cas, on profite de la période de croissance restante pour réaliser une épiphysiodèse partielle qui permet de corriger l’axe. Lorsqu’il existe un genu valgum, on fera un agrafage externe qui bloquera la croissance sur ce compartiment. Le compartiment interne poursuivra sa croissance en ré-axant le membre (figure 7). Figure 7. Genu valgum unilatéral. A : aspect clinique avant correction. Agrafage interne sur le fémur et le tibia. B : radiographie en fin de correction. Une fois la croissance terminée, nous n’avons plus de solution simple et une ostéotomie de réaaxation est alors indispensable, comme chez l’adulte (figure 8). Figure 8. Ostéotomie de réaxation tibiale. A : cliché préopératoire. B : cliché post-opératoire immédiat. C : cliché à 3 mois de recul, consolidation acquise. Les genu varum pathologiques Ils relèvent de plusieurs étiologies possibles. Ce peut être le cas d’une atteinte acquise (traumatique ou infectieuse) du cartilage de croissance de l’extrémité inférieure du fémur ou de l’extrémité supérieure du tibia, qui fait que la croissance va se faire de manière asymétrique. La tendance va donc être à l’aggravation progressive avec la croissance. Comme toujours en orthopédie pédiatrique, avant toute décision chirurgicale, il faut une idée très précise de l’évolution naturelle de la déformation. Les moyens de correction sont les mêmes que décrits précédemment. Parfois, il s’est créé un pont osseux entre la métaphyse et l’épiphyse (pont d’épiphysiodèse). Dans certaines indications très précises, ce pont d’épiphysiodèse peut être ôté chirurgicalement. On interpose alors un corps inerte (bloc de ciment chirurgical) de manière à ce que le reste du cartilage de croissance puisse fonctionner normalement (figure 9). Figure 9. Désépiphysiodèse (asso- ciée à une réaxation). Un plot de ciment (en blanc) a été mis en place et fixé au niveau de l’épiphyse avec une vis. Le cartilage de croissance restant va pouvoir refonctionner. Comme toujours en orthopédie pédiatrique, avant toute décision chirurgicale, il faut une idée très précise de l’évolution naturelle de la déformation. Les genu varum/valgum de cause métabolique Le problème est diagnostique, car la déformation est alors bilatérale et symétrique comme c’est le cas dans le rachitisme. Le contexte, l’interrogatoire et la présence d’autres signes sur le reste du squelette aident au diagnostic. Le traitement est d’abord la vitamino-supplémentation. Au fur et à mesure de la croissance, les axes se corrigent. Il est exceptionnel d’avoir à agir chirurgicalement, sauf parfois dans les rachitismes vitaminorésistants. Le genu varum dans la maladie de Blount La maladie de Blount est un défaut de croissance du plateau tibial interne, à l’origine d’un genu valgum évolutif. Il touche exclusivement les sujets originaires d’Afrique, justifiant la réalisation de radiographie des membres inférieurs devant un genu valgum important. Cette pathologie atteint les deux genoux mais de manière souvent asymétrique. La radiographie retrouve des anomalies au niveau du plateau tibial interne, avec une épiphyse qui bave en dedans et un bec métaphysaire interne. Parfois, se constitue un véritable pont d’épiphysiodèse. Le traitement est chirurgical et nécessite un suivi en milieu spécialisé (figure 10). Figure 10. Maladie de Blount bilatérale. La radiographie (A) montre l’hypoplasie du plateau tibial interne. L’IRM (B) met en évidence le défaut de fixation du cartilage de croissance en interne. Trois ans plus tard, la TDM (C) retrouve un pont osseux complet (épiphysiodèse). Figure 11. Maladie de Blount majeure. Relèvement du compartiment médial. Epiphysiodèse latérale. Ostéotomie de réaxation. Le tibia vara de l’adolescent obèse Chez certains sujets obèses, lors de l’adolescence, sur un genu varum minime au moins au début, la partie interne du cartilage de croissance semble soumis à des contraintes trop importantes entraînant un dysfonctionnement qui aggrave progressivement le genu varum. Le traitement fait alors appel à une agrafe externe pour rétablir un axe correct. Conclusion Différencier le normal du pathologique en ce qui concerne les troubles statiques des membres inférieurs de l’enfant pose peu de problème dans la majorité des cas. L’absence de douleur et de gêne fonctionnelle sont très rassurantes. Le caractère bilatéral et symétrique de la déformation l’est également. La croissance est un phénomène majeur qui impose, avant tout geste chirurgical, d’avoir une idée précise de l’évolution spontanée de la déformation. La croissance osseuse comporte un changement de taille mais aussi de morphologie des segments osseux.
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