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Profession, Société

Publié le 27 nov 2014Lecture 11 min

« Mon ado fume, comment dois-je réagir ? » Comment parler du tabac aux adolescents ?

P. JACQUIN, hôpital Robert Debré, Paris
Avoir un adolescent qui fume est une situation à laquelle est confrontée la majorité des parents. Actuellement, plus de 50 % des jeunes en classe de 3e ont déjà fumé, un chiffre qui atteint 70 % à 17 ans. La classe de 4e correspond à un seuil d'entrée dans le tabagisme : 1,7 % de fumeurs quotidiens en 5e, 15 % en 3e et 31 % à 17 ans. La différence entre les filles et les garçons n'apparaît que pour les gros fumeurs (> 10 cigarettes/j), avec une prédominance masculine nette. Pour autant, parents et professionnels de santé ont leur mot à dire.
La quasi-totalité des parents souhaiterait que leur adolescent ne fume pas, y compris ceux qui sont fumeurs, mais il leur est bien difficile de savoir comment s'y prendre. Beaucoup ont le sentiment qu'ils n'y peuvent rien et qu'interdire est inutile. D'autres essayent de limiter, de négocier, certains vont jusqu'à acheter les cigarettes pour contrôler ce que leur ado fume, etc. Les médecins aussi s'interrogent sur la manière de faire une prévention efficace et constatent, lors de leurs consultations, que l'information sur les dangers du tabac ne suffit pas. Ils sont souvent sollicités par les parents à ce sujet, voire délégués par eux : « Vous lui direz Docteur… qu'il ne doit pas fumer, que c’est dangereux... ».   Lutte contre le tabagisme   La consommation de tabac en France est l'objet d'un paradoxe fondamental. Elle rapporte plus de 12 milliards d'euros à l'état, tout en faisant l'objet d'une lutte sur tous les fronts depuis la première loi en 1976 (loi Veil), la loi Evin de 1991, les plans cancer, etc. : vente de tabac interdite aux mineurs de moins de 16 ans (2003), puis 18 ans (2009), disparition des espaces fumeurs en 2007, notamment dans les lycées. Surtout, l'offensive antitabac des années 2000 a été marquée par de fortes augmentations du prix (+ 40 % en 3 ans) et par une campagne de « dénormalisation » luttant contre l'image positive et émancipatrice du tabac pour en révéler tous les méfaits sur la santé, la liberté et le porte-monnaie des individus. Parallèlement se sont considérablement développés les dispositifs d'aide à l'arrêt du tabac, médicaux et non médicaux, pharmacologiques ou non. Si la baisse de plus de 10 % du niveau de consommation est un succès du début des années 2000, on constate une stagnation depuis 2005 et même une remontée depuis 2010 (tableau).   Les dangers du tabac ? Même pas peur ! Les inscriptions « Nuit gravement à la santé » et ainsi que les dégâts affichés désormais sur tous les paquets de tabac n'empêchent personne de fumer, surtout pas les adolescents pour lesquels transgression et prise de risque sont quasi physiologiques. Le tabac tue ? Mais non, les fumeurs sont parfaitement vivants ! Malgré tout, ces messages ont un impact sur les non-fumeurs (ne pas commencer) et créent un contexte qui fait que tout fumeur sait qu'il prend un risque pour sa santé. De même, il n’est jamais inutile de rappeler que le tabac est la première cause de mortalité évitable en France, avec 66 000 décès/an, dont la moitié par cancer, même si cela reste bien lointain pour les adolescents. Plus près de leurs préoccupations, il est nécessaire d'expliquer qu'une cigarette n'est pas un moyen de consommer un produit « naturel », le tabac, mais une manière d'inhaler un nombre impressionnant de produits chimiques et de poisons redoutables, ce qui n'est pas très écologique. Citons principalement la nicotine, responsable des effets psychostimulants du tabac mais aussi de la dépendance, les goudrons cancérigènes, et le monoxyde de carbone (CO) qui se fixe durablement sur l'hémoglobine au détriment de l'oxygène, responsable de l'essoufflement du fumeur. Ceci est vrai tant pour les différentes cigarettes (ex-) légères ou non, à rouler ou industrielles, que pour la chicha qui bénéficie souvent d'une image moins dangereuse que la cigarette car elle est dite traditionnelle et « naturelle ». Cette dernière est, au contraire, beaucoup plus toxique en matière de CO.   Ma liberté ? Les jeunes sont sensibles à la notion de manipulations commerciales dont ils sont victimes de la part des industriels du tabac. Cela ne leur plaît pas de savoir qu'ils sont le cœur de cible des pressions que ces industriels font sur l'état et sur les consommateurs. Surtout, ils sont très attachés à leur liberté et à leur indépendance qu'ils tiennent à affirmer fortement. C'est pourquoi les arguments concernant la dépendance et l'addiction les touchent généralement plus que ceux des risques, même si c'est pour s'en défendre : « J'arrête quand je veux... ». Il est important d'expliquer que le tabac est une des drogues les plus addictogènes comme l'héroïne. La dépendance, c'est-à-dire le fait de ne plus pouvoir s'en passer sans ressentir des effets négatifs, physiques et psychiques, apparaît rapidement, dans le mois qui suit les premières consommations, pour ceux qui sont les plus sensibles (il existe des différences génétiques de sensibilité). Les fumeurs se savent plus ou moins piégés par cette dépendance, plus de la moitié d’entre eux et, à l’âge de 17 ans, aimeraient arrêter. La précocité des premières consommations chez les adolescents est un facteur de risque majeur de rester fumeur à l'âge adulte : 60 % des fumeurs à 14 ans sont fumeurs à 17 ans, et les trois quarts des fumeurs adultes ont commencé entre 11 et 17 ans. À l'inverse, commencer à fumer à 18 ans diminue considérablement le risque de rester fumeur à l'âge adulte. La quantité de cigarettes compte aussi, cause et conséquence de la dépendance. Jusqu'à la classe de 3e, la majorité des fumeurs quotidiens fume moins de 5 cigarettes/j, quantité qui augmente ensuite jusqu'à 25 ans.   Association de facteurs péjoratifs Les études épidémiologiques montrent qu'il existe un certain nombre d'éléments négatifs associés au tabagisme et que c'est un marqueur de fragilité et de mauvaise estime de soi, plus significativement que le cannabis ou l'alcool : relations intrafamiliales non satisfaisantes, famille recomposée ou monoparentale, absentéisme scolaire, fugues, tentatives de suicide. Ces chiffres minimisent la part de l'influence des pairs, les fameuses « mauvaises fréquentations », et indiquent qu'il s'agit plus de jeunes qui se regroupent par affinités et difficultés communes que d'un phénomène de contagion.   Parler du tabac : avant et pendant, avec l'adolescent Pour en parler, il faut rencontrer l'adolescent, que l'on soit parent ou professionnel. Non seulement la répétition d'informations sur les dangers du tabac est inutile et « les gave », mais c'est une manière de les mettre à distance et d'indiquer qu'on ne s'intéresse pas à eux. Cet évitement est très bien perçu par les adolescents qui, contrairement à ce qu'ils peuvent afficher, sont à l'affût de reconnaissance par l'adulte. La physiologie de l'adolescence est une excellente toile de fond pour l'abord préventif des conduites à risque. Tout comme on s'intéresse à la croissance et à la puberté, aux changements dans les relations, etc., on peut aborder les habitudes et les projets en termes de nouvelles capacités et d'expérimentations. La question n'est pas tant de savoir ce que l'ado fait ou ne fait pas, mais de savoir où il ou elle en est avec tel ou tel comportement ou sentiment qui font partie de son environnement. • Avant 12-13 ans : Est-ce que tu t'es déjà demandé si tu allais fumer ou pas ? Est-ce qu'on peut en parler ? • À partir de 14 ans : À ton âge, il y a déjà probablement certains de tes copains qui fument : tu en penses quoi ? Est-ce que ça t'est arrivé aussi ? Est-ce qu'on peut en parler ? • Si l'adolescent a déjà fumé, il est nécessaire de savoir, en quelques questions, si c'est une expérimentation plus ou moins isolée ou s’il a déjà une consommation régulière. Si oui, avant d'aller plus loin, deux questions simples : as-tu déjà eu envie d'arrêter ? Est-ce qu'on peut en parler maintenant ? Parler avec un adolescent suppose qu'on lui ait montré d'abord que c'est lui qui nous intéresse. En consultation, le médecin sollicité sur le tabac doit faire un pas de côté pour faire connaissance avant de revenir sur les consommations : – Comment se sont passées les premières fois ? Quels bénéfices, quels inconvénients (toux, malaise, nausée, etc.) ? – Dans quel contexte ? (fêtes ou quotidien, avant/après l'école ?) – Au-delà du fait que « tout le monde le fait » : quel niveau de consommation as-tu, parmi les pairs ? – Quelle quantité les jours de semaine et le week-end ? Achète t-il ses cigarettes ? – S'agit-il seulement de tabac ou a-t-il essayé le cannabis ? – Est-ce associé à des consommations d'alcool ? – Est-ce devenu un besoin, avec une sensation de manque, en cas d'absence de tabac ? – Existe-t-il un essoufflement, une baisse des performances sportives ? – Finalement, est-ce un plaisir ? ou est-ce plutôt associé à l'ennui ou à la déprime ? Quel est le degré d'obligation vis-à-vis des autres ? Vient ensuite la question de l'envie d'arrêter. S'il ne souhaite pas en parler, le simple fait de lui avoir posé la question a plus d'impact qu'un discours sur les dangers du tabac. C'est ce qui s'appelle le conseil minimal et son efficacité est prouvée, renforcée si l'on remet au patient un document écrit ou une brochure sur le sujet (Inpes, Tabac info service, etc.). C'est sur l'estime de soi et les exigences de liberté chères aux adolescents que l'on s'appuie, et pas sur les menaces et la peur. Si c'est le bon moment, il faut alors explorer les raisons d'arrêter mises en avant par le jeune, sa motivation et son ambivalence exprimé par les « mais » qui reviennent sans cesse : « J'aimerais... mais...». Les arguments de l'adulte interviennent alors en réponse aux questions que se pose le jeune et non en prescription plaquée. Il s'agit d'un échange basé sur les principes de l'entretien motivationnel, accompagnant le jeune de la sensibilisation à l'intérêt d'arrêter jusqu'au changement de comportement et à son maintien.                        Dialogue avec les parents Du côté des parents, le dialogue est nécessairement différent. Le parent réagit à cette prise de risque non pas en professionnel averti, mais en exprimant son inquiétude, sa tristesse ou sa colère (le pire étant l'indifférence), sentiments qui s'inscrivent dans le lien parent-enfant. Il est important que les deux parents donnent leur point de vue et s'accordent sur le cadre qu'ils souhaitent imposer pour limiter ou interdire le tabagisme de leur enfant. Interdire à la maison, c'est déjà limiter quantitativement les dégâts et retarder les consommations plus importantes qui sont les plus tenaces. Lorsque le parent est fumeur, c'est une bonne raison d'arrêter, mais s'il ne le fait pas, il n'est pas impossible de maintenir l'interdiction à la maison pour les enfants, jusqu'à 18 ans, comme la loi le prévoit. À côté du cadre qu'il faut essayer de fixer, le dialogue est bien entendu indispensable, autour des mêmes questions que celles évoquées plus haut avec le professionnel de santé : place du regard des pairs, sentiments associés à la consommation, estime de soi, plaisir ou dépendance, etc. La demande d'une aide médicale est une ressource possible à ce stade. Les parents manifestent ainsi leur souci légitime et leur responsabilité, tout en ayant besoin d'un tiers extérieur. Accompagner l'adolescent chez un médecin en qui il a confiance peut l'aider à prendre ses distances vis-à-vis de sa consommation. Nous ne traiterons pas ici des différentes aides médicamenteuses utilisées pour l'arrêt ou la diminution du tabagisme. Les substituts nicotiniques (en patch ou gommes), efficaces chez l'adulte, autorisés à partir de 15 ans, n'ont pas d'efficacité prouvée à long terme chez les adolescents. Ils peuvent être utiles ponctuellement pour des sevrages mal tolérés (lors d'une hospitalisation, par exemple), mais l'expérience montre qu'ils ne supportent pas plus la dépendance aux substituts que la dépendance au produit.   Conclusion Fumer est une conduite d'essai typique de l'adolescence, mais particulièrement dangereuse car hautement addictive. Il faut en protéger les adolescents et les aider à trouver en eux la volonté nécessaire et les ressources – estime de soi, exigence de bien-être – pour s'en débarrasser. Plus de cohérence dans le cadre réglementaire est nécessaire, mais il est de notre devoir d'adultes d'occuper ce terrain à chaque occasion, avant l'entrée dans la consommation et lorsqu'elle existe. Les parents ont un rôle essentiel à jouer, au besoin avec un soutien médical. La formation des professionnels est également indispensable pour savoir accompagner les adolescents, de la prévention individuelle ou collective au soin.

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