Publié le 22 sep 2013Lecture 7 min
Rythme urbain et rythme de vie : quelles conséquences à court, moyen et long terme ?
C. JOUSSELME, Fondation Vallée, CHU du Kremlin-Bicêtre, Paris-Sud, Inserm U669
Sursimulation sensorielle, non-respect des rythmes de développement et d’apprentissage, surabondance des tentations, publicité omniprésente et surpuissante, telles sont les réalités de la vie dans les villes modernes. Réalités qui ne peuvent pas être sans impacts directs ou indirects sur le développement des enfants vivant dans ces villes. Certains parents, eux-mêmes pris dans le tourbillon, n’en ont aucune conscience et laissent leurs enfants vivre dans cette surexposition à la ville, d’autres, au contraire, en sont totalement effrayés et deviennent surprotecteurs. Doit-on, mais surtout, peut-on réellement préserver les enfants du monde dans lequel ils vivent ?
Surstimulation sonsorielle Dans la ville, un nombre incalculable de stimulations parviennent à l’enfant, qui, plus il est jeune, présente de grandes difficultés de filtrage, son système nerveux central restant très perméable. Si ses parents ne parviennent, ou ne pensent pas, à organiser un « écran » protecteur autour de lui, il est rapidement trop sollicité par la sensorialité bruyante du monde urbain environnant. Il a alors toutes les chances de développer une excitation plus ou moins régulable, liée à son immaturité : qui n’a pas tremblé pour ces jeunes bébés, trimbalés à vive allure en poussette tout terrain, face à la route, dans la presse des heures de pointe, dans le métro ou dans les magasins ? Il est évident (et des études canadiennes l’ont d’ailleurs prouvé) que ces enfants ne peuvent qu’être sursaturés d’informations dépassant tous leurs systèmes d’intégration sensorielle, ce qui les plonge dans un état d’énervement peu propice aux apprentissages en profondeur, et, une fois rentrés à la maison, à l’instauration d’une détente salutaire à leur bon développement psychomoteur. La fonction pare-excitation décrite par Winnicott en son temps, reste pourtant un des plus sûrs remparts parentaux à ériger pour que l’enfant soit en capacité de prendre le « juste bon » correspondant à ses aptitudes développementales. Ce rempart lui permet de faire fructifier au mieux ce qu’il perçoit, et de ne pas être envahi par du « trop », qui ralentirait au final son évolution. Du temps pour grandir Dans la ville, aujourd’hui, tout va vite, très vite, trop vite ! Or un enfant a besoin de temps pour se développer, et, particulièrement quand il est jeune. Les informations doivent être répétées, à un rythme pas trop rapide, pour qu’il intègre des repères de base essentiels dans la construction de sa future personnalité : plus l’enfant peut, à sa vitesse de « digestion psychique », emmagasiner tranquillement et sereinement des informations adaptées, plus il se développe « en sécurité » et peut alors s’intéresser et engranger, secondairement, d’autres informations, des nouveautés même un peu surprenantes, sans en être inquiet. Il ne faut donc surtout pas confondre « vitesse et précipitation » ! Chacun doit trouver son rythme, et certains parents sont parfois eux-mêmes en difficulté. La perte de repères naturels, allant même dans certains endroits jusqu’à l’évacuation totale des repères saisonniers, plonge les adultes dans une vie déstructurée, sans lien avec les éléments de base que la terre, notre planète, doit leur donner. Ils peuvent alors bien vite sombrer dans une sorte de course infernale… Que penser des échanges parents-enfants, au moment des sacro-saintes « courses » hebdomadaires dans les super- ou hypermarchés, dont les services marketing accélèrent en outre sans cesse la cadence, proposant de préparer la rentrée scolaire de septembre dès juillet, les fêtes de Noël en octobre et Pâques en février ! Au lieu d’apprendre à savourer, à attendre, à différer le plaisir, les enfants risquent fort de s’emballer aussi, et de passer à côté de bien des moments bénis car uniques ou rares ! Surabondance et perte de repères Par ailleurs, la multiplication des produits offerts à la vue des plus jeunes, considérés, à juste titre, comme des acheteurs et des provocateurs d’achats parentaux en puissances, renforce les mécanismes d’envie propre à tout enfant… sauf qu’il est bien plus difficile de les réguler pour les parents, tant la sollicitation est grande ! Comment ne pas acheter régulièrement des cadeaux qui s’intégrerons peut-être bientôt dans une version relookée du calendrier de l’Avent (car cet « Avant » débute dès octobre !), quand ils sont proposés à grand renfort de pubs, de décorations bien étincelantes et de chants du Père Noël, et quand leur taille est de plus en plus démesurée (on en est au « mètre » de crayons feutres !!!) ? Tenir les limites dans cette atmosphère est bien entendu plus difficile que dans un monde aux dimensions plus humaines, aux repères davantage authentiques que commerciaux ! Comment dans cette ambiance privilégiant la quantité et pas la qualité, transmettre à nos enfants la valeur pourtant fondamentale des véritables liens humains de solidarité, de confiance ? Bien des parents eux-mêmes aspirés par la déshumanisation des grandes cités urbaines en oublient leur âme, qu’il faudrait bien réanimer, en leur montrant, par exemple, que la promenade du dimanche après-midi serait sûrement bien plus riche en échanges et partages avec leurs enfants si elle se déroulait en forêt ou dans la campagne, à chercher des champignons ou des fleurs plutôt que dans l’immense centre commercial où ils vont les acheter… Omniprésence et surpuissance de la publicité On peut aussi s’interroger sur la perception qu’a l’enfant du monde de la publicité, qui, dans la ville, prend une place de plus en plus énorme : des écrans géants aux affiches de plus en plus démesurées, dans les transports, dans la rue, les messages diffusés pour les adultes sont violents, crus, sexualisés, paradoxaux, superficiels, etc. Encore une fois, les parents doivent prendre conscience que leurs enfants voient et même parfois regardent ces messages : loin d’être aveugles, ils restent souvent interrogatifs… Il est alors important de pouvoir leur expliquer les paradoxes de notre monde urbain, qui prône le développement durable d’un côté, et déclare de l’autre : « pas de smartphone, pas de gloire » ; qui semble continuer à croire que « l’amour » reste le summum des sentiments proprement humains, mais qui met en images des liens plus pornographiques que tendres… Corps d’adultes dénudés, accoutrés de façon vulgaire, enfants parlant avec des mots d’adultes, petite filles lolitas aux allures suggestives décalées, jeunes filles d’une maigreur incroyable présentées comme des modèles de la féminité : bien des limites apparaissent aujourd’hui dépassées. Les phrases et les images évacuent l’humanité des liens au profit de l’attrait pour les choses : ainsi, une voiture scintille de tous ses feux… « La X, mieux qu’une psycho- thérapie ! »… ou bien des mains de grand-mère saisissent violemment les joues d’un enfant qui fait la tête… « Les frites Y, les frites de Mamie sans avoir besoin de voir Mamie » ! Les repères fondamentaux de la vie, des âges, des fonctions sont ainsi bafoués, la notion de transmission aussi : des enfants regardent leur père de façon méprisante et quittent les décors qu’il a tenté d’aménager pour leur expliquer la guerre de 14… « Heureusement qu’il y a les programmes éducatifs de la chaîne Z », apparaît en arrière-plan, comme un cri du coeur ! Jusqu’où irons-nous en utilisant les enfants au lieu de les protéger, leur donnant des rôles qui inversent les générations, au lieu de les aider à s’inscrire dans une différence générationnelle structurante ? Conclusion Le plus important pour élever un enfant est sans doute de lui apprendre à « être », c’est-à-dire à s’identifier, à comprendre la profondeur des choses et des êtres, à développer des liens entre ses connaissances, et sûrement pas de lui donner l’envie de seulement « avoir », posséder, ce qui le mène à rester à la surface des choses et des êtres, à développer des mécanismes d’envie, et à emmagasiner des informations sans avoir accès à la véritable connaissance. La ville du XXIe siècle est sans doute plus inquiétante que celle du siècle passé, car elle pousse les adultes à oublier bien des repères pourtant fondamentaux.
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