Pédiatrie générale
Publié le 22 déc 2013Lecture 11 min
Enfants et sécurité des déplacements urbains : quelle prévention possible ?
B. CHEVALLIER, Hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt
Les accidents de la voie publique de l’enfant de moins de 10 ans constituent un problème majeur de santé publique. Alors que l’incidence des accidents de la vie courante décroît régulièrement, ceux de la circulation restent élevés et d’autant plus visibles qu’ils sont souvent plus graves et sources de séquelles durables. Les campagnes, les routes nationales sont le lieu privilégié des accidents de l’enfant, passager d’une voiture, alors que la ville reste l’environnement le plus risqué pour l’enfant piéton, l’enfant cycliste ou l’enfant utilisant des modes de transports plus ludiques : patinette, rollers.
De l’enfant dans la ville à la ville de l’enfant : pour une approche communautaire de la sécurité Dans le passé, pas si lointain, l’enfant appartenait tout naturellement à l’espace urbain, avec ou sans ses parents. « Dans un monde de petits métiers, et de petites aventures, il était une figure familière de la rue. Et puis, la ville a évolué, installant une séparation progressive mais inéluctable entre l’espace privé (le logement) et l’espace public, synonyme de lieu de tous les dangers, de la pollution physique et morale, de contagion et de délinquance ». Le mouvement est double et simultané bien que contradictoire : les familles se protègent de plus en plus ; l’espace privé se défend contre l’espace public (interphone, code d’entrée des immeubles, visiophone, etc.). L’espace public s’équipe de dispositifs toujours plus sophistiqués sécuritaires (vidéosurveillance, zones d’interdiction), l’espace privé se retranche de la rue au détriment d’une volonté réaffirmée d’une démarche communautaire, de vie de quartier, avec comme principale interrogation : comment rétablir un nécessaire lien social ? La ville n’est plus pour l’enfant un espace de libre circulation, de jeu, d’autonomie, d’apprentissage ; désormais, comme l’écrit Jacques Marillaud*, « l’espace approprié par l’enfant est circonscrit aux équipements et aux espaces spécialisés (éducatifs, sportifs) dans lesquels s’est investie toute la capacité d’innovation des institutions et des collectivités locales (terrains d’aventures, centres de loisirs) ». Mais derrière cette porte « protectrice » au-delà de la grille de ces lieux de l’enfance, quel accueil au dehors, dans la rue, dans la ville ? Il en est de la ville comme de nos habitations : un concept inventé par les adultes pour les adultes, la vision de l’enfant étant oubliée. Lorsque l’enfant n’est pas à la maison ou à l’école, il est dans la rue. Les accidents y surviennent comme ailleurs : il suffira d’être exposé aux risques de la ville et de la circulation, en particulier et cela existait déjà depuis le Moyen Âge (encadré). Accidents de l’enfant piéton Les accidents de l’enfant piéton évoluent avec l’âge. La période la plus vulnérable se situe entre 5 et 8 ans. Dans plusieurs études européennes, cette tranche d’âge constitue près de la moitié des événements accidentels en milieu urbain. L’explication n’est pas la conséquence d’une mobilité accrue, mais les conséquences d’un comportement spécifique. Le taux élevé de piétons accidentés chez les enfants peut s’expliquer à la fois par une exposition plus grande, notamment lorsqu’ils jouent dans la rue, et par leur incapacité à faire face à la complexité du trafic routier pour des raisons morphologiques, perceptives et cognitives. On observe plus d’accidents de piétons en périodes automnales et hivernales. « La durée de l’obscurité beaucoup plus longue durant ces mois, et les mauvaises conditions atmosphériques peuvent être à l’origine de cette surreprésentation. » D’après l’ONISR (Observatoire national interministériel de la sécurité routière), en 2009, parmi les enfants piétons tués, 59 % (274) l’étaient lors de conflits entre voiture et piéton, 16 % (79) entre véhicule lourd (poids lourd, bus, car) et piéton, 13 % (59) entre véhicule utilitaire et piéton, 4 % (20) entre moto et piéton, 4 % (17) entre cyclo et piéton, et seulement dans deux cas entre cycliste et piéton. L’événement se produit le plus fréquemment aux alentours de leur domicile. Dans 25 % des cas, les enfants étaient accompagnés d’un adulte ; dans 20 %, ils étaient accompagnés d’autres enfants et couraient ou jouaient plus volontiers ; et dans 10 à 15 %, il traversait la chaussée pour rejoindre un adulte de l’autre côté. Dans près de la moitié des cas, il traversait la route seul, plus qu’il ne marchait le long de la rue. Les accidents surviennent le plus souvent sur les voies à trafic moyen ou faible. Dans tous les cas, la visibilité était souvent réduite pour les enfants, par la présence de voitures en stationnement ou d’éléments de mobilier urbain. Une étude assez ancienne de l’INRETS (Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité,1999) avait bien montré que les enfants se font essentiellement renverser en début ou en milieu de traversée. Cette même étude indiquait également que 20 % des trajets des moins de 15 ans accidentés étaient des déplacements domicile- école et 62 % des déplacements de loisirs. Les zones d’intersection sont les plus à risques (40 à 50 % des cas). Dans les situations renseignées lors des enquêtes, l’enfant avait respecté le passage piéton ou la signalisation lumineuse dans 60 à 70 % des cas. Les études épidémiologiques utilisant une géolocalisation permettent de dire qu’au sein d’une ville, il n’existe pas réellement de « points noirs », lieux de concentration d’accidents sur un même lieu (une seule intersection), mais parfois des quartiers à risques accrus. Les zones périscolaires sont à l’inverse plus protégées. Une étude scandinave, filmant le comportement des enfants au moment d’une traversée de rue, indique que si plus de 80 % des enfants regardent de chaque côté en traversant une rue, moins de la moitié d’entre eux le font de manière pertinente (regarde du mauvais côté d’abord, court ou commence à traverser en regardant, etc.), surtout avant l’âge de 7 ans. Accidents de l’enfant cycliste En 2010, 22 enfants cyclistes ont été tués dans un accident de la route et 350 ont été blessés. Si 75 % des accidents cyclistes surviennent en ville, leurs conséquences sont moins graves qu’en rase campagne. Pour preuve, alors que 15 % seulement des accidents cyclistes se produisent en rase campagne, ils sont à l’origine de la moitié des cyclistes tués ! Logiquement, ces accidents sont plus fréquents pendant les mois d’été et pendant la journée (peu de circulation à vélo en hiver et la nuit). Les victimes sont majoritairement des garçons ; ils utilisent davantage le vélo et adoptent plus fréquemment des conduites à risque ; 87 % des blessés ont entre 10 et 19 ans. À l’origine des accidents de cyclistes, on trouve : le non-respect de la signalisation (feux, stop, etc.) par les cyclistes comme par les autres usagers ; la non prise en compte des cyclistes par les usagers motorisés (vitesse excessive, distance de sécurité non respectée, « queue de poisson », etc.) ; le défaut d’éclairage et de visibilité des cyclistes ; le tourne-à-gauche mal négocié du cycliste. Les blessures les plus fréquemment observées chez les cyclistes sont superficielles (abrasions cutanées, plaies ou contusions mineures). Toutefois, on observe de nombreuses fractures. La plupart des décès ou séquelles graves, chez les cyclistes accidentés, sont attribuables à des lésions cérébrales. D’où la nécessité de porter un casque ! Contrairement aux pays scandinaves et nord-américains, moins de 25 % des enfants circulant en vélo dans nos villes portent un casque et moins de 10 % des bandes éclairantes le soir. Le port du casque semble cependant devenir plus fréquent depuis quelques années, notamment chez les moins de 12 ans, mais reste encore rare entre 13 et 18 ans. Accident de l’enfant passager L’étude des modalités de transport des enfants en automobile a été réalisée à partir d’observations sur le terrain lors d’expériences de santé communautaire dans divers pays européens. Une revue de la littérature récente apporte une vision assez claire de la situation de l’enfant passager victime d’accidents en milieu urbain. Il apparaît que globalement les dispositifs de retenue des enfants sont bien présents dans les voitures (87 % des cas), 95 % des enfants de moins de 24 mois étaient dans un siège auto, mais seuls 30 % des 3-10 ans étaient installés sur un rehausseur. Un enfant accidenté sur deux n’avait pas attaché la ceinture de sécurité. Dans 62 % des cas, le trajet en voiture ne dépassait pas 2,5 km et dans 25 % des cas 1 500 m. Un enfant sur dix était sur le siège avant du véhicule alors qu’il avait moins de 10 ans. Plus le trajet est court, moins le dispositif de retenue est pertinent. Un questionnaire proposé aux familles montre qu’en ville, la sécurité relève essentiellement du comportement d’un conducteur serein, gage d’une conduite attentive permettant d’éviter l’accident et moins de dispositifs de retenue des enfants, encore considérés comme des simples accessoires, souvent inconfortables (réhausseurs). En 2006, une étude faite dans une grande ville de province avait montré que 35 % des nourrissons de 0 à 6 mois n’étaient pas couchés dans la voiture de manière sécuritaire, alors que le dispositif était disponible : la simple nacelle non attachée étant considérée comme suffisante par les familles. Ce chiffre est en voie de forte régression dans les observations actuelles. Les lésions le plus souvent observées sont des lésions faciales : plaies, contusions ou du rachis cervical (coup du lapin), traumatismes crâniens, plus rarement thoraciques. Moyens de déplacement modernes (patinettes, rollers) La patinette, les rollers ne sont pas exclusivement utilisés comme élément de loisirs mais constituent un moyen de déplacement en milieu urbain de plus en plus fréquent et ce dès l’âge de 7-8 ans. Dans une enquête effectuée dans une grande ville de la région parisienne en 1998-1999, 5 % des enfants, pratiquant le roller de manière habituelle (plus d’une fois par semaine), déclarent avoir eu un accident avec des conséquences lésionnelles dans l’année écoulée. Les lésions les plus fréquentes sont le genou, le coude, le poignet et le visage. Le port de protections a sensiblement augmenté en dix ans, puisque de 27 % en 1999, il est passé chez l’enfant à 70 % en 2008. Il s’agit le plus souvent d’enfants de 10 à 14 ans. En dehors des situations de prise de risque utilisant le mobilier urbain, les accidents surviennent souvent la première année de la pratique. Les types d’accidents sont soit des chutes au moment du passage d’un trottoir ou pour contourner un obstacle, une collision avec un piéton ou, plus rarement, avec un cycliste ou une voiture. Quelques accidents très graves sont rapportés lorsque les enfants et adolescents s’accrochent aux voitures et prennent de la vitesse. Sur l’ensemble du territoire national, en l’absence d’une réglementation spécifique, les pratiquants de rollers, lorsqu’ils circulent sur une voie publique, sont assimilés à des piétons. À ce titre, ils sont soumis aux dispositions, notamment, des articles R412-34 à R412-43 et R415-11 du code de la route qui prévoient, pour ces usagers, l’obligation de circuler sur les trottoirs, ainsi que celle de prendre toutes les précautions, notamment de respecter les signalisations tricolores lors de la traversée des chaussées qu’ils doivent effectuer dans les passages protégés. Conclusion L’importance formatrice et rationnelle de l’espace urbain dans le développement de l’enfant est établie par nombre de travaux. Le projet d’intégration du jeune enfant à son quartier se heurte à de nombreuses difficultés : anxiété des parents, craintes des éducateurs devant ce paradigme nouveau d’une demande sociale de privilégier les premières expériences dans un espace protégé et sûr, tout en favorisant la maturation et l’autonomie de l’enfant. Prendre en compte l’enfant dans les aménagements de la ville : réaliste ou utopique ? L’exemple de la Suède, des Pays-Bas, de certains cantons suisses plaide pour le volontarisme. Penser la ville autrement : ne plus envisager l’aménagement de l’espace public comme une somme de mesures ponctuelles, mais en termes de parcours, de continuité de territoires et de lieux où se tisse le lien social, c’est proposer aux personnes les plus vulnérables, et donc aux enfants, un environnement disponible sain où les risques sont maîtrisés quels que soient les activités. La sécurité de l’enfant sur la voie publique ne passe pas par des protections empilées les unes sur les autres, mais par un apprentissage d’expériences de terrain, accompagnées par les adultes.
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