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Comportement

Publié le 08 nov 2012Lecture 12 min

Comment aider l'enfant à se faire des amis ?

C. JOUSSELME - Fondation Vallée, Gentilly, Université Paris-Sud, INSERM U669
Aujourd’hui, alors que beaucoup d’enfants sont soumis à des séparations dans leur vie (divorce des parents, etc.), les liens amicaux prennent encore plus d’importance. Certains enfants ne parviennent pas à avoir d’amis. Le problème est complexe, car cette situation est souvent à mettre en relation avec des difficultés qui dépassent l’enfant, comme la façon dont ses parents perçoivent le monde extérieur, et comment l’enfant est lui-même perçu au sein de sa propre famille. Répondre à cette question relève de l’examen au cas par cas et souvent de la correction de certaines attitudes parentales. L’ amitié dans notre monde est une valeur sûre. L’être humain, être de relation, a beaucoup de mal à vivre sans liens amicaux. Même si les définitions sont très différentes selon les personnes, adulte ou enfant, l’amitié reste une relation forte, située hors de la famille, hors de la sexualité, qui permet à chacun de vivre des identifications positives l’aidant dans la construction de sa personnalité.
C’est quoi l’amitié ? Les amis sont semblables et différents : beaucoup de proverbes, souvent contradictoires, définissent l’amitié : « qui se ressemble s’assemble », « les contraires s’attirent », « les amis de mes amis sont mes amis ». Quel qu’en soit l’abord, la relation amicale est toujours vécue comme quelque chose de précieux, de rare, parfois de vital, permettant de dépasser des événements de vie difficiles. Les principales valeurs de l’amitié restent la connivence, la complicité tellement forte que des allers-retours sont possibles entre les amis, avec des moments de discontinuité relationnels dans l’espace, mais jamais dans la tête. Si, dans la relation amoureuse, le contact physique reste vital, dans l’amitié, le lien peut persister malgré l’éloignement. La confiance est également une valeur centrale : les amis se confient des secrets, se permettent d’être eux-mêmes entre eux. La solidarité, l’étayage, fait également partie de cette relation unique : on peut s’appuyer sur un ami sans pour cela qu’il pense que nous sommes trop lourds. Entre amis les conflits sont possibles, mais souvent rapidement dépassés : cela nous permet d’assouplir nos fonctionnements, de ne plus fonctionner en tout ou rien notamment, et ainsi, de vérifier que l’ambivalence est possible et non dangereuse dans le lien.   L’amitié chez l’enfant Comme le disait Montaigne à propos de son amitié avec la Boétie, elle existe « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Il n’y a pas de moyen de comprendre vraiment pourquoi un enfant se fait tel ou tel ami. L’alchimie propre du lien amical chez l’enfant est la même que celle de l’adulte. L’enfant a besoin pour se construire des liens extrafamiliaux, amicaux. Ces liens lui permettent de distinguer subtilement dans les relations, les copains, ceux qui changent – avec qui il fait des choses mais ne partage pas forcément ses soucis – des amis, avec qui les relations s’installent progressivement, dans une solidité de liens qui permettent notamment l’échange de secrets. Aujourd’hui, alors que beaucoup d’enfants sont soumis à des séparations dans leur vie (divorce des parents, etc.), les liens amicaux prennent encore plus d’importance pour eux. Dans l’enfance, les amis traversent également en même temps les mêmes conflits de développement et trouvent chacun des solutions différentes. Cette expérience « ensemble » de l’autonomisation permet vraisemblablement à l’enfant de prendre davantage confiance en lui, en échangeant avec un autre, la même problématique de développement. Qui a des amis ? Pour avoir des amis, il faut être capable de les apprivoiser, comme le Renard l’explique au petit Prince. Pour cela, il faut sans doute avoir une estime de soi assez confortable, c'est-à-dire un narcissisme primaire assez fort, un attachement assez sûr, pour pouvoir s’engager dans une relation, en prenant le risque qu’elle s’arrête. Si les craintes d’abandon restent trop fortes chez l’enfant, si sa confiance en lui n’est pas assez solide, il ne peut avoir accès à la curiosité de l’autre, ni avoir la souplesse d’engagement dans les liens qui lui permettent de conforter ses assises identitaires au lieu de les mettre en danger. Pour se faire des amis, l’estime de soi de l’enfant doit être suffisamment forte. Il faut aussi que l’enfant se sente autorisé par sa famille à fonctionner dans une certaine autonomie et une certaine intimité dans sa relation d’amitié. Si ses parents sont trop intrusifs, l’envahissent sans arrêt dans sa vie psychique, de crainte par exemple de le perdre, il ne pourra pas investir un « autre » dans une relation véritablement amicale. Pour se faire des amis, il faut aussi avoir envie d’expérimenter dans le monde extérieur, le monde des autres, hors de la famille, et cela provient souvent du fait que les parents ont su donner à l’enfant une vision de ce monde assez confortable et attirante, grâce à une fonction « d’object-presenting » décrite par Winnicott assez positive. Il faut vraisemblablement avoir une capacité à jouer suffisante, c'est-à-dire avoir suffisamment développé un espace transitionnel sécurisant, entre le monde intrafamilial, le monde extérieur et son monde psychique intérieur à soi, pour avoir envie d’y accueillir un autre (Jousselme, Delahaie, 2012). Pour avoir des amis, il faut aussi supporter qu’ils nous révèlent à nous même, comme le fait le révélateur du papier photographique. Nos parents nous regardent avec les yeux de l’amour mais aussi avec leur propre projection, avec l’envie que nous soyons comme ils le désirent. Les amis ont un autre regard, beaucoup plus objectif, nous révélant nos imperfections sans forcément les juger, alors que nous pouvons voir également les leurs. Si nous ne pouvons accepter cet allerretour entre notre idéal de fonctionnement et la réalité, il est difficile de nous faire des amis. Il faut aussi se sentir assez en sécurité en soi pour accéder dans la famille de l’autre, à d’autres règles, sans parcours fléché, et construire avec tout cet entourage de nouvelles relations qui nous font découvrir d’autres mondes que le nôtre. Pour cela, il faut aussi que nos parents nous autorisent à visualiser d’autres modes de fonctionnement sans les juger ou les rejeter.   Et ceux qui n’en ont pas ? Certains enfants ne parviennent pas à avoir d’amis. Trois situations semblent au centre de ces difficultés : – certains enfants restent trop fermés à l’autre, qu’ils soient pris dans des pathologies graves du développement (TED), qu’ils aient une timidité maladive ou liée à un manque de confiance en eux, ou qu’ils se sentent persécutés par le monde extérieur, en lien avec des sentiments de persécution de leurs propres parents ; – d’autres sont trop au centre, véritables tyrans domestiques ou faux leaders, n’acceptant aucune autonomie des amis, les voulant toujours à l’image de ce qu’ils souhaitent être ; – d’autres enfin sont ou restent des têtes de turc, qu’ils soient pris dans des circuits masochiques qui les poussent à toujours tenir le rôle de victime, souvent pour permettre à leur parent de venir « réparer » la situation, ou qu’ils soient tellement différents que les autres aient du mal à les accueillir dans une relation amicale (maladie chronique, etc.). L’enfant doit se sentir autorisé par sa famille à fonctionner dans une certaine autonomie.   L’amitié reste en lien avec le monde familial Évidemment, tout enfant reste très lié à sa famille. Si la famille est véritablement « clanesque », rejetant toute ouverture, si elle est persécutée, vivant le monde extérieur comme toujours potentiellement dangereux, si elle est recomposée, avec déjà de multiples étages que l’enfant doit progressivement intégrer avant de pouvoir intégrer d’autres liens extérieurs à elle, la mise en place de liens amicaux est plus difficile. La situation d’enfant unique ou d’enfant de fratrie change vraisemblablement la vision du lien amical, mais n’anticipe pas forcément la possibilité d’en créer un. Certains enfants uniques ont beaucoup d’amis, d’autres pas. Pour les enfants qui ont une fratrie, le lien d’amitié peut être le lieu de projection des rivalités fraternelles, mais il peut également être un lien très positif dans l’ouverture qu’il propose aux enfants, pour sortir de cette rivalité. On choisit ses amis et pas sa famille… Beaucoup d’enfants qui ont une grande fratrie ont ainsi besoin de ces liens amicaux pour trouver leur propre place à la fois dans le monde extérieur et dans leur famille. Bien évidemment, l’amitié des enfants dépend aussi des événements de vie qu’ils traversent, et de la façon dont les parents leur transmettent eux-mêmes une vision de l’amitié.   Amitié d’adulte, amitié d’enfant ? Si l’amitié a des définitions très différentes chez les adultes, il en va de même chez les enfants. Cependant, il est clair que la définition des adultes ne peut être calquée sur celle des amitiés infantiles qui sont beaucoup plus labiles. Tout le monde n’a pas, par exemple, un ami d’enfance qu’il garde toute sa vie ; le facteur chance, les déménagements, sont autant de facteurs extérieurs qui peuvent ou non favoriser la continuité d’un lien amical long chez l’enfant. Selon l’âge, les amitiés diffèrent : – à la crèche, les enfants se regroupent souvent par affinité (les plus lents, les plus rapides) ou au contraire par complémentarité (relation d’étayage). Les amitiés de crèche sont rarement très persistantes, mais elles sont très fortes à certain moment et aident l’enfant à se construire ; – en maternelle, dans le grand groupe, avec la violence des échanges qui règne aujourd’hui, l’enfant a besoin pour faire sa place de construire des « accroches » avec des pairs de son âge. Il apprend peu à peu à mettre en mots ses émotions, et si les amitiés, là aussi, restent labiles, elles peuvent être très fortes et très positives à certains moments ; – en primaire, l’amitié se construit de façon plus solide, parfois plus continue. Même si l’enfant reste très dépendant de la vie familiale, et que ses amitiés restent liées à celles-ci, au gré des déménagements ou des séparations, il cherche à maintenir un lien privilégié avec quelques amis, qu’il commence à différencier des copains. Les amitiés entre les filles et les garçons sont rares, chaque groupe étant un peu séparé, ce qui rassure par rapport à l’émergence d’une sexualité possible ; – au collège, au lycée, les amis prennent une place très différente. Ils prennent beaucoup de temps à l’adolescent, envahissent même la vie familiale, et les parents ont souvent besoin de marquer des limites, en même temps qu’ils « craignent » pour les fréquentations des adolescents, cherchant à leur donner sans doute leur vision propre de l’amitié, alors qu’ils devraient leur faire confiance pour nouer leurs propres liens amicaux.   Que proposer ? Que conseiller ? Les parents, pour aider les enfants à avoir des amis, ne doivent sûrement pas ni imposer les amitiés ni les surveiller. Chez les petits-enfants, l’ouverture aux autres est essentielle. Les haltes-jeux, les crèches, liens autour de l’école, sont sûrement extrêmement importants à mettre en place, pour montrer aux enfants que cette ouverture vers l’autre est fondamentale et non pas culpabilisante, et que les parents l’acceptent. Il est par contre négatif de vouloir imposer des amis à ses enfants, en pensant par exemple que les enfants de nos amis seraient d’excellents amis pour eux… Il faut aussi ne pas trop projeter nos valeurs parentales sur les amitiés infantiles : la trahison chez les adultes n’a pas du tout le même poids que chez les enfants. Seules les expériences de nos enfants, partagées avec leurs pairs, leur permettront d’intégrer leur façon de voir l’amitié. L’essentiel est d’aider nos enfants à être à l’aise dans leurs amitiés, proposant par exemple qu’un copain vienne dormir à la maison ou que l’enfant aille dormir chez lui, que des anniversaires soient possibles, avec des moments à l’intérieur et à l’extérieur de la famille. L’essentiel est de vraiment garantir l’intimité de leurs relations amicales, ce qui les aide dans leur processus de séparationindividuation. Il faut par contre s’inquiéter si un enfant n’a pas du tout d’amis, ou si, au contraire, il est totalement dépendant d’une relation amicale qui semble le vampiriser.   Il faut s’inquiéter si un enfant n’a pas du tout d’amis, ou si il est totalement dépendant d’une relation amicale. Si des chagrins arrivent, les parents doivent consoler, écouter, dédramatiser, reconnaître, sans s’immiscer dans le conflit et essayer de le régler eux-mêmes. L’essentiel est donc de s’identifier, de partager, sans se projeter trop dans les liens de nos enfants. Leur parler en revanche de l’amitié en général, leur apprendre que le risque relationnel est celui de la vie, qu’il faut être prudent sans s’engouffrer trop vite et trop à fond, mais qu’il faut aussi prendre des risques pour lier vraiment des relations fortes, est sans doute le rôle, la mission des parents. L’amitié reste une richesse absolue de la vie. Certes nous devons fixer des limites dans le temps et le type de relation, et devons prévenir les enfants des jeux dangereux possibles. Il est sans doute essentiel de leur passer le relais de la confiance à propos des liens amicaux en leur expliquant que l’amitié fait gagner en humanité.

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