Environnement
Publié le 08 jan 2024Lecture 12 min
À l’écoute de la « génération climat »
Entretien avec Clémence SCHNEIDER, ambassadrice de l’Unicef, K. MAHERY RAKOTONIRINA et L. ANDRIANIRINA, deux Malgaches engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique
Chaque mois, Pédiatrie Pratique vous parle des enfants et des adolescents, mais nous devons reconnaître que nous ne leur avons jamais donné la parole. Pour ce numéro consacré au futur, à leur futur, puisque le nôtre est en partie derrière nous, nous avons voulu remédier à cet oubli. À Paris, nous avons rencontré Clémence Schneider qui, à l’âge de 19 ans, est en deuxième année de Sciences Po à Lille. Ambassadrice de l’Unicef depuis l’âge de 14 ans, elle veut faire entendre la voix des jeunes ici et ailleurs. À Antanarivo, Katia Mahery Rakotonirina (33 ans) et Lucky Andrianirina (26 ans), deux Malgaches engagés depuis plusieurs années dans la lutte contre le réchauffement climatique, portent la parole du Sud.
Pédiatrie Pratique - Depuis quand êtes-vous sensibilisée aux questions climatiques et environnementales ?
Clémence Schneider - J’ai commencé à m’intéresser à ces questions lorsque je suis devenue ambassadrice de l’Unicef à l’âge de 14 ans. À cette époque, en 2018-2019, il y avait beaucoup de manifestations de jeunes, le mouvement Friday for the future1 était à son zénith et la prise de conscience était générale dans ma génération. Ces années correspondent aussi à mon adolescence, au moment où je me suis ouverte sur le monde et aux grandes questions qui le traversent.
Pédiatrie Pratique - Avez-vous participé à ces manifestations et cela vous est-il arrivé de ne pas aller en cours le vendredi ?
C. Schneider - J’ai observé ce mouvement de loin, sans y participer, parce que j’habitais alors dans une petite ville en province. Je ne me sentais pas capable à cette époque de lancer seule des actions dans ma ré - gion. C’est grâce à mon rôle d’ambassadrice que j’ai acquis un statut d’actrice.
Pédiatrie Pratique - Comment voyez-vous la posture des adultes de la génération de vos parents face à ces problèmes ? Les pensez-vous responsables de la situation et trop peu volontaires pour y remédier ?
C. Schneider - Il est difficile de parler d’une façon générale car il y a des postures différentes au sein d’une même génération. Même s’il est vrai que les problèmes sont identifiés depuis longtemps, je ne les tiens pas pour responsables. En revanche, je les envie d’avoir vécu cette période, globalement les Trente Glorieuses, lorsqu’il n’y avait pas de limites à la consommation de masse, une époque qui paraît aujourd’hui très lointaine. Je ne peux donc pas leur en vouloir, surtout lorsque certains d’entre eux s’excusent en affirmant qu’ils ne savaient pas. Généralement ceux-là sont intéressés, essaient de comprendre nos engagements et nos inquiétudes pour l’avenir. À l’inverse, ceux qui ne veulent rien savoir, rien entendre et qui stigmatisent nos actions, ceux-là me mettent en colère.
Pédiatrie Pratique - Au-delà du réchauffement climatique, on sait que le problème est plus global, avec l’effondrement de la biodiversité, l’épuisement des réserves naturelles, etc. Êtes-vous sensibilisée à tous ces problèmes ?
C. Schneider - En tant qu’ambassadrice de l’Unicef c’est au regard des droits de l’enfant que j’ai abordé les problèmes climatiques. On ne peut pas revendiquer ces droits en ignorant qu’ils risquent d’être balayés par l’environnement dégradé dans lequel ils vivront. Mais je suis consciente du fait qu’il s’agit d’un problème plus global et je travaille aussi beaucoup sur l’effondrement de la biodiversité, ainsi que les problèmes connexes. Il me semble cependant que pour agir il faut commencer par une approche spécifique et, pour ce qui me concerne, c’est celle de la participation des jeunes : Comment les écoute-t-on ? Dans quelle mesure prend-on en compte leur parole ? Comment les associe-t-on à la construction du monde de demain ?
Pédiatrie Pratique - Pensez-vous que les jeunes, et vous-mêmes, êtes en proie à une éco-anxiété ?
C. Schneider - Le terme éco-anxiété, auquel je me suis intéressée, n’est pas très précis car on peut lui attribuer plusieurs définitions. L’une d’entre elles me dérange parce qu’elle revient à dire que les jeunes sont atteints d’une nouvelle maladie, une pathologie qu’il faudrait guérir. Selon moi, ce sentiment est normal, il est même très sain. Faudrait-il rester indifférent aux informations qui chaque jour confirment la gravité des menaces qui pèsent sur l’environnement et ignorer la réalité de leurs désastreuses conséquences ? Il est plutôt rassurant de constater que les jeunes s’en inquiètent. Je vais cependant revenir à ma précédente remarque, les générations sont hétérogènes et la mienne n’échappe pas à la règle. À Science Po Lille, je suis entourée de personnes très sensibilisées qui n’ont pas l’intention de tirer profit de leur formation élitiste pour devenir des cadres qui perpétueront le modèle existant. À l’image des étudiant d’AgroParisTech dont la remise des diplômes a été largement visionnée sur internet, je me dis que si nous sommes les décideurs de demain, cela me donne l’espoir de pouvoir changer les choses. J’ai cependant conscience que j’évolue dans un microcosme, que tout le monde n’a pas un accès privilégié à l’information, et je constate que certains jeunes de ma génération se désintéressent totalement de ces questions. Quoi qu’il en soit je pense que tout le monde a maintenant entendu parler du réchauffement climatique et que l’inquiétude sur ce sujet est largement partagée.
Pédiatrie Pratique - S’il est difficile de voir le monde de demain, comment vous situez-vous par rapport à l’avenir, et notamment avez-vous l’intention d’avoir des enfants ?
C. Schneider - Il est en effet très difficile d’envisager notre avenir à plus ou moins long terme. Je ressens une sorte de décalage entre mes désirs profonds et cette question climatique qui impacte l’ensemble de mes décisions. Par exemple, sur le plan professionnel, je suis intéressée par certains secteurs mais je ne veux pas m’y engager si c’est pour perpétuer un monde qui ne fonctionne pas. Sur un plan personnel, je souhaite fonder une famille, mais beaucoup de mes amis se posent la question d’être parent ou pas car, au-delà du fait qu’un enfant a un impact carbone conséquent, ils ne sont pas assez sûrs du monde dans lequel il vivra et ne veulent pas lui imposer de grandir dans de mauvaises conditions.
Pédiatrie Pratique - Vous vous posez donc la question de savoir si les dégâts causés à la planète sont encore réversibles ?
C. Schneider - Cela ne sert à rien de s’engager si l’on part vaincu d’avance, mais je mentirais si je disais que je suis optimiste. La sonnette d’alarme a été tirée depuis longtemps et il persiste un tel fossé entre, d’un côté, la jeunesse qui appelle à se mobiliser, le discours réaliste des scientifiques et, de l’autre, les politiques qui n’agissent pas alors que plus les jours passent plus la situation devient critique. Il existe déjà des phénomènes sur lesquels il est impossible de revenir en arrière, par exemple la fonte des glaces en Antarctique. En conséquence, même si nous finissons par prendre un grand virage écologique, il est évident que nous ne vivrons pas dans le même monde que nos parents et grands-parents.
Pédiatrie Pratique - Est-ce que vous avez l’impression que le réchauffement évolue plus vite que ce qui avait été prévu par les premières estimations ?
C. Schneider - J’ai conscience d’être privilégiée car je ne suis pas encore atteinte par les conséquences du réchauffement climatique, mais je sais qu’il y a beaucoup de jeunes dans le monde qui en subissent directement les effets. Pour beaucoup de gens, le réchauffement est un horizon, on parle de 2030, 2050, ce qui n’est en fait pas si loin, mais tend à donner l’impression de différer les échéances.
Pédiatrie Pratique - Pensez-vous que les pays à hauts revenus ont une responsabilité par rapport à ceux à faibles revenus ?
C. Schneider - C’est ce que nous reprochent les pays à faibles revenus en soulignant que le problème n’existait pas avant que nos nations s’industrialisent. Une coopération est nécessaire mais on assiste plutôt à une sorte de dialogue de sourds, les pays à hauts revenus affirmant qu’ils ont fait des efforts et ceux à faibles revenus demandant une aide pour faire face à la situation. Je pense que face à un problème planétaire nous devons avoir une action commune et aider les pays qui sont plus en difficulté que nous, tant sur un plan financier, qu’au regard des conséquences du réchauffement.
Pédiatrie Pratique - Avec l’UNICEF, votre action s’inscrit dans un cadre très institutionnel mais jusqu’où est-il légitime d’aller pour faire entendre sa voix ?
C. Schneider - Jusqu’à maintenant j’ai pris des formes d’engagement qui respectent le cadre légal mais j’admire les militants qui s’investissent corps et âme dans la défense de la cause. Je ne condamne pas la désobéissance civile, même lorsqu’elle sort du cadre légal, car les actions chocs, comme lancer de la soupe sur un tableau – protégé par une vitre –, sont celles qui rencontrent le plus large écho médiatique. On en parle malheureusement plus à ces moments que lorsque les ONG tentent d’informer et d’instaurer le débat, c’est pourquoi aujourd’hui il est parfois nécessaire de contourner le cadre légal pour se faire entendre.
Pédiatrie Pratique - Les questions écologiques se sont imposées dans le débat public, mais est-ce que pour autant elles disqualifient les problèmes socio-politiques plus « traditionnels » comme la pauvreté, les inégalités sociales, etc. ?
C. Schneider - Si on regarde la situation de près, on constate que les plus gros pollueurs sont les personnes les plus aisées. Il me semble qu’écologie et justice sociale vont de pair. Il existe de nombreuses solutions, comme l’impôt sur la fortune climatique, qui permettent de concilier ces objectifs. Et il est aussi possible d’envisager une transition climatique qui prenne en compte les combats contre le racisme, l’homophobie, la pauvreté, etc.
Pédiatrie Pratique - Pensez-vous que votre engagement à l’UNICEF peut un jour vous mener à l’action politique, vous qui étudiez les sciences politiques ?
C. Schneider - Il y a quelques mois, j’ai eu l’opportunité de rencontrer le président, Emmanuel Macron pour parler du réchauffement climatique et j’ai été extrêmement déçue. Il me semble qu’il y a beaucoup de postures, de discours, mais peu d’actions ensuite. Je n’avais pas d’attentes particulières avant cette rencontre, je savais qu’il y avait de fortes chances de ne pas être entendue. Mais cette entrevue m’a marqué parce qu’elle m’a confronté à un cynisme effrayant, j’ai eu l’impression de parler à un mur. J’ai compris très vite que cette réunion ne servait à rien et cela m’a conduit à une sorte de dégoût envers les pouvoirs publics et le gouvernement. C’est avec les associations et les ONG qu’il est possible de faire entendre sa voix et de mener des actions, même si je sais qu’il est important de changer les choses de l’intérieur.
Pédiatrie Pratique - On entend beaucoup parler de croissance dans les discours politiques. Pensez-vous que cette croissance continue est réaliste ?
C. Schneider - Je pense que c’est un raisonnement périmé, une logique d’un autre temps. La décroissance est un mot qui fait peur, mais il faut aller plus loin que les apparences. Décroissance ne veut pas dire que nous allons retourner à l’âge de pierre comme certains veulent le faire croire. Il existe beaucoup de projets d’avenir qui raisonnent en termes de décroissance et cela n’a rien de triste ni de régressif.
Pédiatrie Pratique - Au début de l’entretien, vous avez souligné que les générations précédentes avaient pu consommer sans limite. Est-ce un temps que vous regrettez ?
C. Schneider - Non, personnellement j’agis déjà de façon différente et je pense que nous pourrions gagner beaucoup en adoptant de nouveaux comportements. Paradoxalement, on continue à nous vendre un mode de vie encore plus luxueux et opulent que celui des années 1970. Il faut changer cet idéal, montrer que l’on peut con - sommer moins et mieux sans vivre moins bien. Sur ce plan, ma seule contradiction ce sont les voyages car je sais que les vols aériens ont une empreinte carbone non négligeable. Mais là encore, on peut réfléchir à d’autres manières de se déplacer.
Note
1 Mouvement international de protestation contre le réchauffement climatique lancé en 2018, notamment par Greta Thumberg - alors âgée de 14 ans. Parmi les moyens d’action, il était notamment proposé de faire l’école buissonnière tous les vendredis.
Madagascar dans l’œil du cyclone
Pédiatrie Pratique - Quels sont les conséquences du réchauffement climatique que vous observez à Madagascar ?
Katia Mahery Rakotonirina - La conséquence la plus tangible est l’augmentation des températures qui entraîne une raréfaction des précipitations depuis 5 à 6 ans, avec une nette baisse de leur abondance à la saison des pluies. En revanche, les épisodes pluvieux deviennent souvent torrentiels et nous ne sommes pas préparés à de telles intensités. Au cours des 2 à 3 dernières années, l’augmentation des cyclones a impacté l’ensemble de la population de Madagascar, et plus fortement encore les régions de l’est qui ne parviennent pas à s’en relever et où les stocks alimentaires sont épuisés. Auparavant, ces régions bénéficiaient de conditions favorables à l’agriculture, ils ne manquaient pas d’eau et n’en avaient pas trop à la saison des pluies. Cette époque est révolue.
Pédiatrie Pratique - Comment voyez-vous l’attitude des pays du Nord par rapport à ceux du Sud sur la question du réchauffement climatique ?
Katia Mahery Rakotonirina - Il existe une volonté affichée des pays du Nord lors des conférences, mais qui n’est pas honorée par la suite. Par exemple, il avait été dit à la Conférence des parties (COP) de Paris qu’il y aurait un transfert de technologie – hard ou soft – pour aider les pays en développement à faire face à leurs difficultés, mais en pratique nous ne l’avons pas vu. Il faudrait aussi donner les moyens financiers nécessaires aux pays à bas revenus pour qu’ils puissent s’adapter et être résilients face aux défis du changement climatique.
Lucky Andrianirina - Le Nord essaie de réduire ses émissions carbone alors que les pays du Sud sont plus sur l’adaptation. Les visions sont divergentes car en Afrique et à Madagascar, au regard de la pauvreté, nous avons besoin de croissance.
Pédiatrie Pratique - Au-delà du réchauffement climatique, on pourrait parler de l’effondrement de la biodiversité et d’autres phénomènes connexes ?
Katia Mahery Rakotonirina - Oui, c’est un problème global et important pour Madagascar qui abrite 95 % d’espèces endémiques, notamment les baobabs et les lémuriens, et fait face à un gros problème de gestion de cette biodiversité. Nous avons encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine mais au niveau des collectivités locales, il y a des organisations de jeunes de la société civile qui se mobilisent, entreprennent des actions, et qui mériteraient d’être plus visibles et plus soutenues.
Pédiatrie Pratique - La lutte contre la pauvreté à Madagascar est-elle compatible avec l’action écologique ?
L. Andrianirina - Oui, parce que les conséquences du réchauffement climatique ne font qu’aggraver les inégalités sociales. Les populations du Sud de la grande île, qui sont très vulnérables et qui vivent de l’agriculture et de l’élevage, ne peuvent plus planter et obtenir les mêmes résultats du fruit de leur travail. À ce moment-là, la cause environnementale devient une cause économique et sociale.
Katia Mahery Rakotonirina - Cela est d’autant plus vrai que dans notre pays pratiquement tous les secteurs de développement économique sont impactés par le réchauffement climatique.
Pédiatrie Pratique - Au regard des problèmes environnementaux, la croissance, cruciale pour Madagascar, peut-elle se poursuivre indéfiniment ?
L. Andrianirina - Pour des pays comme le nôtre, la croissance est nécessaire et elle permet une meilleure équité par la redistribution. Lorsque les communautés locales sont moins précaires économiquement, elles puisent moins leurs ressources dans la nature. Mais la croissance ne doit pas se faire à tout prix, elle doit respecter les équilibres sociaux et environnementaux.
Propos recueillis par G. L. (mi-novembre 2023)
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