Environnement
Publié le 07 déc 2023Lecture 11 min
Enfants, adolescents et éco-anxiété
Jérôme VALLETEAU DE MOULLIAC, Paris
Les enfants et adolescents vivent depuis plusieurs années dans un environnement anxiogène mais l’actualité récente surtout depuis 2020 a provoqué une très nette aggravation : à la pression sociale, scolaire et aux conflits familiaux, aux problèmes socio-économiques (crise des « gilets jaunes »), aux actes de terrorisme et de violence, etc. se sont ajoutées la crise migratoire avec ses naufrages et ses morts en série, la crise sanitaire (Covid-19) et ses conséquences, la crise politique et la guerre en Ukraine, la crise économique et l’inflation, la crise écologique et climatique, sujets auxquels nos jeunes sont devenus très sensibles et concernés. C’est ainsi qu’on parle d’éco-anxiété.
Éco-anxiété : définition ?
De fait, il n’y a aucun consensus. L’éco-anxiété est conceptualisée :
– comme une forme d’anxiété, d’appréhension et de stress liée au changement climatique et aux menaces constatées ou anticipées sur les écosystèmes (V. Lapaige, 1997) ;
– comme une forme de stress « prétraumatique » déclenchée par une projection vers l’avenir, en lien avec la prise de conscience écologique (Van Susteren, 2016).
Ce sont les chercheurs australiens et néo-zélandais(1), qui en donnent sûrement la définition la plus complète : « L’éco-anxiété est un terme qui rend compte des expériences d’anxiété liées aux crises environnementales. Il englobe « l’anxiété liée au changement climatique » (anxiété spécifiquement liée au changement climatique anthropique), tout comme l’anxiété suscitée par une multiplicité de catastrophes environnementales, notamment l’élimination d’écosystèmes entiers et d’espèces végétales et animales(6e extinction), l’augmentation de l’incidence des catastrophes naturelles et des phénomènes météorologiques extrêmes, la pollution de masse mondiale, la déforestation, l’élévation du niveau de la mer et le réchauffement de la planète. »
La nouveauté n’est pas le ressenti en lui-même mais la cause qui le génère (Schmerber, 2022) et qui réactive l’angoisse de finitude, pour soi et pour l’humanité (Sutter, 2020).
Toutes les définitions s’accordent généralement sur deux points : un sentiment de préoccupation, d’inquiétude, d’angoisse vécu par certains individus et causé par des bouleversements actuels ou bien par des menaces qui pèsent sur l’environnement, liés en particulier au dérèglement climatique.
• La solastalgie parfois confondue avec l’éco-anxiété est un néologisme créé par G. Albrecht en 2003 pour évoquer « la douleur ou la maladie causée par la perte ou le manque de réconfort et le sentiment d’isolement liés à l’état actuel de son lieu de vie (home) et de son territoire »(3). Ceci peut être lié à des catastrophes naturelles (sècheresse, incendies, inondations), à des conflits, à des exploitations minières mais aussi à la disparition ou à la transformation de son environnement naturel. La détresse solastalgique est considérée comme un malaise parfaitement normal : elle indique un lien puissant avec l’en vironnement et le souhait de le conserver(2) » (A. Desbiolles). La solastalgie est une réaction à une situation déjà vécue, tandis que l’éco-anxiété tend à être en grande partie une angoisse d’anticipation. On peut ainsi faire une analogie avec le stress post-traumatique et le stress prétraumatique.
Quoiqu’il en soit il est indiscutable que ces changements écologiques et climatiques font émerger de nouvelles émotions : émotions « climatiques » ou éco-émotions.
• Si l’éco-anxiété élargit l’éventail des émotions et des sentiments liés à la crise climatique : surprise, peur, impuissance, chagrin, culpabilité, honte, jalousie, indignation, dégout, mépris.
• Toutefois, la mobilisation de l’individu pour la défense de l’environnement peut générer autonomie, joie, fierté, gratitude, espoir, amour, empathie(4), etc.
• L’éco-rage, l’éco-colère, l’éco-tristesse, l’éco-résistance, l’éco-déni, l’éco-culpabilité, etc. seraient des réponses adaptées, mais parfois dysfonctionnelles chez des sujets fragilisés(5).
En France, on identifie à l’éco-anxiété toutes les souffrances émotionnelles liées à la crise écologique :
– l’anxiété ou les autres éco-émotions ressenties face au changement climatique et/ou aux bouleversements et/ou aux effondrements environnementaux et sociétaux ;
– en lien avec une expérience directe (ex. : vécu d’inondations ou d’incendies), ou indirecte (ex. : nouvelles entendues à la radio ou vues sur les écrans) ;
– dans un rapport au passé (ex. : perte de la biodiversité), au présent (ex. : abattage, incendie de forêts) ou au futur (ex. : projection vers un avenir invivable) ;
– avec différents degrés de ressenti (faible à sévère), liés aux ressources psychologiques individuelles, au tissu relationnel et au contexte politique, familial, culturel et social.
Éco-anxiété : maladie ou symptômes ?
• L’éco-anxiété n’est reconnue ni dans le DSMV (2013) ni dans le CIM-11 (2019).
• Mais l’American Psychology Association (APA) a présenté en 2017 un rapport sur conséquences des changements climatiques et la santé mentale.
• Une majorité d’auteurs et professionnels s’accordent pour dire que :
– l’inquiétude face à la menace du dérèglement climatique est une réaction normale, saine et non pathologique ;
– la plupart des éco-anxieux vont bien et sont capables de regarder la réalité en face sans établir des mécanismes de protection (évitement) ;
– les « éco-anxieux » sont une population majoritairement jeune, urbaine, féminisée et éduquée, mais sans trouble d’anxiété particulier ;
– « l’éco-anxiété n’est pas une maladie, mais elle peut rendre malade »(2) ;
– la prise en compte du terrain psychique individuel (et donc des capacités d’adaptation) sur lequel se pose l’éco-anxiété est donc primordiale et peut être à l’origine de perturbations notables dans la vie quotidienne ;
– Il est essentiel de ne pas « pathologiser » ni minimiser le vécu éco-anxieux, qui constitue avant tout une fonction adaptative face à l’intensification des menaces environnementales.
Impact sur les enfants et les adolescents(6,7) ?
Depuis 2019, le nombre d’articles publiés sur ce sujet dans la presse écrite augmente de façon exponentielle, de même que les recherches du terme « éco-anxiété » sur internet. Le dérèglement climatique rentre dans les sujets de préoccupation de prés de 20 % des Français en 2019 mais qu’en est-il chez nos jeunes ?
Certes, on trouve beaucoup de publications et d’enquêtes mais peu d’études épidémiologiques validées. Qui concernent surtout les enfants de plus de 12 ans, et plu tôt les adolescents et adultes jeunes.
En 2021, une remarquable enquête a été réalisée dans 10 pays très différents sur 10 000 jeunes de 16 à 25 ans (50 % entre 16 et 20 ans), publiée dans Le Lancet(6) (figure 1) :
– 50 % d’entre eux expriment de la tristesse, de l’anxiété et de la colère, se sentant sans pouvoir, sans aide et coupable devant la crise climatique ;
– 45 % manifestent un retentissement négatif sur la vie quotidienne et leur fonctionnement (endormissement, sommeil, loisirs, études) ;
– 58 % considèrent que l’humanité est condamnée ;
– 64 % des jeunes sondés estiment que les gouvernements mentent quant à l’impact des actions entreprises face aux changements climatiques ;
– 59 % se déclarent « très ou extrêmement inquiets » concernant le changement climatique ;
– 41 % hésitent à avoir des enfants ;
– les résultats divergent bien sûr selon les pays : les plus impactés étant les plus défavorisés avec un faible niveau socioéconomique donc avec peu de moyens d’intervention, ceux qui sont en surpopulation donc avec beaucoup de jeunes, ou les pays les plus soumis aux catastrophes climatiques comme les Philippines (figure 1) qui les cumulent.
Figure 1. Impact de l’éco-anxiété selon les pays sur les jeunes.
Chez les plus jeunes, il n’y a quasiment pas de publications car il n’est pas aussi simple d’interroger les enfants sur leurs perceptions du phénomène. Laelia Benoit s’est intéressée à plus de 100 enfants à partir de 6 ans vivant aux États-Unis, en France et au Brésil(8).
• Si les enfants ne semblent pas être particulièrement anxieux, la problématique du changement climatique les préoccupe au travers de questions sur la fonte des glaces, l’élévation du niveau de la mer, les feux de forêt, la disparition des ours polaires, le risque alimentaire, etc. Leur intérêt est surtout écologique.
• Le rôle des parents surtout à cet âge est primordial dans leur attitude, leur exemplarité et les explications qu’ils se doivent de donner à leurs enfants.
Eco-anxiété et jeunesse : pourquoi un tel phénomène ?
Elisa Dageville(9) évoque pour expliquer cette anxiété croissante chez les jeunes la confrontation de trois composantes ainsi schématisées (figure 2).
Figure 2. Les impacts de l'éco-anxiété sur l'environnement, la jeunesse et l'anxiété de la population.
L’environnement
Le dérèglement climatique indéniable comme la multiplication des catastrophes naturelles, la pandémie de Covid-19 et la crise sanitaire induite ont entraîné chez eux une grande prise de conscience écologique.
La santé mentale
La crise du Covid-19 a révélé chez beaucoup d’adolescents et d’étudiants des problèmes psychologiques latents (dépression).
Les réseaux sociaux, les médias et un flot d’information continu ont modifié le mode de vie des jeunes générations et créé un environnement anxiogène propice au développement de problèmes de santé mentale.
L’éco-anxiété s’inscrit-elle alors dans un contexte anxieux plus global ?
La jeunesse
L’environnement est un souci très sensible de la jeunesse informée et avertie depuis l’enfance, mais pas pour la génération de leurs parents qui avaient et ont d’autres préoccupations : cela crée une fracture générationnelle et historique majorée par un sentiment ressenti par les jeunes de mépris, décrédibilisation ou d’incompréhension.
Il est vrai que leurs parents ont pour la plupart été élevés dans la consommation, le confort, une économie basée sur le sentiment que les ressources étaient inépuisables, ce qui les a rendus insensibles en la crédibilité de la parole des jeunes prise pour de l’infantilisme, voire du climato-scepticisme.
Ces parents sont souvent eux-mêmes en difficultés professionnelle, familiale, économique, ce qui peut les rendre peu réceptifs. C’est ainsi que la jeunesse actuelle a le sentiment d’être une génération à part, une génération « post-Covid » et anxieuse des problèmes liés au climat.
L’éco-anxiété peut être certes due à un stress post-traumatique (vécu d’inondations, de feux de forêt, etc.) mais aussi prétraumatique. Beaucoup de nos jeunes imaginent leur futur à l’aune du réchauffement climatique. Les migrations climatiques, la guerre de l’eau et l’augmentation de la famine dans les zones soumises à la sècheresse sont des expériences qui ne sont pas forcément vécues directement par les éco-anxieux mais alimentent un imaginaire vecteur d’anxiété.
S’y ajoute une fracture économique : l’anxiété climatique est inégalitaire, plus importante chez les jeunes favorisés, plus instruits et ayant accès plus facilement aux gestes écologiques individuels. Les jeunes vivant dans des pays défavorisés ou dans des conditions socio-économiques difficiles ont d’autres préoccupations et des moyens plus limités pour intervenir, ce qui peut accroître leur culpabilité et leur sentiment d’inefficacité.
L’éco-anxiété oblige donc les jeunes qui en souffrent à repenser leur vie entière à cause de contraintes qui ne pesaient pas ou moins sur les générations précédentes. Leurs études, leur travail, leurs projections professionnelles (entreprise) tiennent compte des enjeux environnementaux (éco-responsabilité et empreinte carbone) mais cela impacte aussi leurs choix familiaux et leur désir d’enfants. Un jeune Français sur 5 se dit prêt à mourir pour l’environnement plutôt que pour la France.
Certains participent à des actions militantes pour renforcer leur estime de soi et générer un sentiment d’efficacité personnelle, d’utilité qui donne un sens à leur vie (Greta Thunberg « Youth for climate » 2018). Mais le militantisme obsessionnel et le sentiment d’être obligé de tout endosser et de ne rien voir changer peuvent aggraver leur anxiété et leur crainte d’une fin de l’humanité.
Éco-anxiété et véhicules d’information ?
Les médias télévisés, les chaînes d’information continues véhiculent une impression de catastrophisme en diffusant des images impressionnantes et anxiogènes (surtout depuis la crise du Covid) et affectent d’autant les plus jeunes si elles ne sont pas décodées par les parents et les enseignants entre autres.
Les réseaux sociaux font partie intégrante de l’environnement quotidien des enfants et des adolescents (majoritairement féminins) ; 89 % des enfants de 12 ans ont un smartphone en France, 87 % des enfants de 11-12 ans utilisent régulièrement au moins un réseau social en France (Heaven, 2022), 28 % des 7-10 ans déclarent les consulter et 30 % d’entre eux sont confrontés par cet usage à des images choquantes (Unicef, 2021).
Les réseaux sociaux et les médias en ligne participent au climat d’anxiété permanente (climatique ou autre). La surproduction d’images brouille tous les repères. Les réseaux sociaux sont plus sournois car incontrôlables par l’environnement éducatif et familial(10) en véhiculant l’impuissance et le manque de foi en l’avenir. Trois dimensions du bien-être dans les mèmes(1) sont particulièrement concernés par les problèmes écologiques : la maîtrise de l’environnement, le sens de la vie et les relations avec les autres. Certains mènes prônent que les individus n’ont pas d’objectifs à long terme, en raison des doutes et des incertitudes qu’ils ont sur l’avenir. La notion de finitude est très présente.
Les préoccupations environnementales apparaissent comme un élément important pour catégoriser les individus et définir l’identité sociale par rapport à la famille, les amis, les pairs mais ils permettent aux jeunes de s’exprimer.
Cependant parler de changement climatique de manière concrète dans les médias, en présentant des solutions qui peuvent être prises au niveau individuel et collectif, permet au contraire de lutter contre l’anxiété.
Que faire ?
Chez les enfants de moins de 10 ans
• Ils ne peuvent comprendre tous les enjeux environnementaux car ils n’ont pas encore de pensée abstraite.
• S’ils manifestent une inquiétude face à la crise environnementale, il est inutile de s’épuiser à tenter de leur expliquer tous les tenants et aboutissants, les causes, les conséquences et les solutions de manière poussée (selon Laelia Benoit).
• Il faut les rassurer, leur apprendre que la planète a besoin d’aide et les impliquer dans des gestes éco-responsables pour leur donner le sentiment d’agir comme planter un arbre, ramasser des déchets, éviter de gaspiller, de laisser allumer des lumières inutiles, etc. C’est un rôle majeur des parents, des enseignants et des pouvoirs publics.
Les adolescents et préadolescents
À l’angoisse caractéristique de l’éco-anxiété s’ajoute, chez eux, un puissant sentiment de colère. Ils comprennent les enjeux de la crise climatique et sont en mesure d’évaluer les dégâts présents et futurs, d’en identifier les causes et de constater le manque d’action.
Avec eux, il faut prendre l’initiative, ne pas éviter le sujet, partager et discuter les événements passés, présents et à venir.
Il faut les laisser exprimer leurs émotions, faire preuve d’écoute et de compréhension, d’empathie, sans stigmatiser les blocages générationnels et sans imposer ses vérités.
Savoir combler éventuellement le déficit d’information qu’ils peuvent ressentir.
Leur demander comment ils souhaitent participer, leur laisser choisir des actions.
Mais surtout ne pas leur transmettre nos propres anxiétés.
L’éco-anxiété n’est pas une maladie mais peut entraîner des troubles chez des adolescents fragilisés, mal informés et réceptifs.
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