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Pédiatrie générale

Publié le 03 mai 2022Lecture 9 min

La prévention du syndrome du bébé secoué : ça marche !

Entretien avec Thameur RAKZAR, Maternité Jeanne de Flandre, CHU de Lille

Sur le modèle du CHU Sainte-Justine de Montréal (Canada), une campagne de prévention du syndrome du bébé secoué a débutée au CHU de Lille en janvier 2022. Thameur Rakza (maternité Jeanne de Flandre) revient sur les méthodes mises en œuvre pour sensibiliser les parents et les raisons de leur succès.

Pédiatrie Pratique – Combien d’enfants sont concernés chaque année en France par le syndrome du bébé secoué (SBS) ? Thameur Rakza – Il est très difficile d’avoir des chiffres précis. Selon Santé publique France, on recense 1 700 à 1 800 cas tous les deux ans dans les établissements de santé sur l’ensemble du territoire. Il existe toutefois des données canadiennes obtenues par des études menées en population générale, ce qui est très important car tous les bébés secoués n’arrivent pas à l’hôpital. Ces travaux estiment qu’environ 5 % des parents ont secoué au moins une fois leur enfant dans la première année de vie et que 1,9 % d’entre eux déclarent l’avoir fait deux à trois fois. Si vous extrapolez ces statistiques aux 720 000 naissances par an en France en admettant que les populations et les sociétés de nos deux pays sont comparables, on arrive au chiffre d’environ 36 000 enfants qui en sont chaque année victimes. Au CHRU de Lille, nous avons un registre depuis 20 ans et nous enregistrons tous les enfants arrivant pour un SBS grave du bébé secoué (figure). Nous comptons entre 18 et 27 cas par an, dont 30 % vont décéder, tandis que les autres conserveront des séquelles majeures. Mais une fois encore, nous avons une vision partielle de la réalité car il faudrait des données en population générale. Pédiatrie Pratique – A-t-on des données permettant de dire, comme l’a affirmé Adrien Taquet, que leur nombre a augmenté durant le confinement(1) ? T. Rakza – On peut dire que la violence globale envers les enfants a augmenté pendant le confinement, mais à ma connaissance nous ne disposons pas de chiffres précis pour ce qui concerne le syndrome du bébé secoué. D’ailleurs, il n’existe pas de registre national colligeant les cas de SBSen France. On peut toutefois penser, par extrapolation, que les chiffres ont augmenté durant cette période(2). Pédiatrie Pratique – Quelle est la tranche d’âge la plus concernée par ce syndrome ? T. Rakza – La très grande majorité des cas surviennent avant un an. Mais on peut pousser plus loin l’analyse car les études épidémiologiques montrent qu’il existe une corrélation significative entre la courbe des pleurs et celle de l’incidence par âge du syndrome du bébé secoué(3), avec un pic maximal entre 2 et 3 mois. Passé cet âge, les pleurs diminuent et l’incidence du SBS suit cette évolution. Pédiatrie Pratique – La prévention du syndrome du bébé secoué est une notion qui ne s’impose pas d’elle-même, elle est presque contre-intuitive. Comment ce concept est-il apparu ? T. Rakza – De nombreuses campagnes d’informations ont été réalisées en France mais aussi Outre-Atlantique, sans jamais entraîner une baisse de l’incidence du SPS. Souvenez-vous des messages inscrits dans les carnets de santé, des affichages dans les salles d’attente et même de cette bande dessinée mettant en scène le Chat de Philippe Geluck dans un dépliant de 4 pages réalisé en 2006 à la demande du ministère de la Santé. Toutes ces initiatives sont restées sans effets et sur 20 ans nous n’avions pas constaté de baisse significative dans notre région. Tout a changé lorsque les Canadiens ont fondé leur action sur le lien majeur entre les pleurs du nourrisson et le SBS. Depuis, nous avons mis en place une prévention sur ce modèle et nous ne voyons plus que 6 à 8 cas de SBS par an. Il faudra bien sûr une étude correctement menée, si possible en population réelle, pour confirmer cette efficacité mais c’est la première fois que nous constatons une diminution aussi importante. Pédiatrie Pratique  – Quels sont les facteurs de risque identifiés ? T. Rakza – Dans 80 à 90 % des cas, ce sont les pères qui secouent leur enfant. On peut noter qu’en région parisienne ce sont, dans 30 % des cas, les assistantes maternelles qui sont impliquées. On peut également citer comme facteurs de risque : la précarité psycho-sociale, la prématurité, les parents isolés, le chômage. Toutefois, l’une des originalités de notre action est de donner l’information à l’ensemble des parents qui passent en maternité. Certes il existe des populations à risque, mais le SBS touche toutes les couches de la société, comme nous l’avons constaté au CHRU de Lille. Beaucoup de parents, lorsqu’ils secouent leurs enfants, n’ont pas conscience de l’avoir maltraité. Pédiatrie Pratique – L’expérience de la maternité de l’hôpital Sainte-Justine à Montréal a été la première a montré l’efficacité de la prévention. Où en êtes-vous à Lille et quels sont les points comparables avec l’action canadienne ? T. Rakza – Avec l’hôpital Sainte-Justine, nous sommes co-fondateurs du réseau mère-enfant de la francophonie (https://www.rme-francophonie.org/). En 2014, nous avons commencé à travailler à Lille sur les pleurs des nourrissons, en particulier en maternité, en recherchant une corrélation avec le mode d’alimentation (allaitement ou lait maternisé). Nous avons également réalisé une enquête nationale sur un panel de médecins généralistes pour évaluer différents paramètres : le nombre de consultations pour ce motif, ce qu’ils proposent aux parents, les éventuelles prescriptions, etc. À cette époque, nous n’avions pas fait le rapprochement entre le SBS et les pleurs de l’enfant. Nous avons découvert le travail de la maternité de l’hôpital Sainte-Justine lors d’un congrès du réseau mère-enfant et une équipe lilloise s’est rendu au Canada pour se former. Nous avons adapté leurs fiches pour modifier certaines expressions québécoises et nous avons passé avec eux une convention pour disposer de ces outils. Pédiatrie Pratique – Quels sont les outils utilisés à Sainte-Justine et auxquels vous avez aujourd’hui recours ? T. Rakza – Il y a trois fiches et un thermomètre de la colère. Une première fiche informe sur les pleurs du nourrisson, leurs causes, leur distribution sur le nycthémère, avec un pic entre 18 h et 23 h, l’âge où ils surviennent le plus souvent, avec un maximum entre 1 mois et 3 mois. Les parents y trouvent également une information sur ce que l’on peut faire en cas de pleurs, mais aussi quand il faut s’inquiéter, consulter. Dans la deuxième fiche, on leur parle d’eux-mêmes puisqu’il s’agit de comprendre l’engrenage de la colère : comment elle arrive lorsqu’on se sent frustré, inquiet, angoissé, impuissant devant les pleurs. On leur demande de décrire comment elle se manifeste chez eux : rougeur, accélération de la fréquence cardiaque, tremblements, etc. et de lui donner une couleur allant du vert au rouge en montant en intensité. Ils sont invités à écrire ces éléments qu’ils ont eux-mêmes livrés. La troisième et dernière fiche concerne le SBS qui leur explique qu’en cas d’exaspération il y a un risque de passage à l’acte. On leur précise ce qu’est le SBS et les terribles conséquences qu’il peut entraîner. Au terme de cette information délivrée par une puéricultrice formée à cette prévention, il leur est demandé de réfléchir à trois actions qu’ils pourraient mettre en œuvre pour éviter de passer à l’acte dans une telle situation, en plus des conseils que nous leur avons déjà prodigués : sortir de la chambre, prendre une douche, marcher, etc. Ils sont également invités à noter le numéro de téléphone d’une personne qu’ils pourraient appeler : un proche, un ami, un voisin, pour se calmer et éviter le pire. Pour finir, ils signent les fiches que nous leur remettons, afin de leur signifier qu’il s’agit d’un engagement vis-à-vis d’eux-mêmes. Pédiatrie Pratique – L’idéal ne serait-il pas de mettre en place un numéro de téléphone que les parents pourraient appeler en cas de détresse face aux pleurs de leur enfant ? T. Rakza – C’est ce que nous avons fait de notre propre initiative à l’hôpital Jeanne de Flandre. Les parents peuvent appeler de 18 h à minuit, les horaires où le risque est maximal. Nous sommes en contact avec l’ARS et le CHRU de Lille pour généraliser le service sur la région. Pédiatrie Pratique – Quelle est la réaction des parents lorsque vous leur délivrez cette information en maternité ? T. Rakza – Nous touchons l’ensemble des parents en maternité et ils témoignent tous d’une satisfaction majeure. Les familles qui ont d’autres enfants nous demandent pourquoi ils n’ont pas eu une séance comparable pour les précédentes naissances. Aucun parent n’a refusé l’information et lorsque nous leur demandons comment on pourrait aller plus loin, la plupart d’entre eux proposent une hot line, sans savoir que nous en avons mis une en place. Pédiatrie Pratique – Comment cette action sera-t-elle évaluée ? T. Rakza – Nous faisons un monitoring de cette action en maternité avec différents critères qui sont recueillis : le jour où l’information est délivrée, l’âge des parents, la parité, etc. Nous envisageons également de consulter une fois par semaine l’ensemble des services d’urgence de pédiatrie de la région pour recenser les cas de SBS. Nous souhaiterions également faire une enquête en population générale auprès d’un échantillon de 50 000 parents pour évaluer l’efficacité de la prévention au moins au cours de la première année. Un tel travail est très difficile à mettre en place et demande des moyens dont nous ne disposons pas actuellement. D’ailleurs, sur cette question de moyens, il faut mettre en perspective le coût de la prise en charge d’un SBS grave en réanimation et en neurochirurgie, qui a été évalué par les Canadiens à 850 000 euros. Or, nous estimons à environ 300 000 euros le budget nécessaire pour déployer le programme de prévention sur l’ensemble de notre région, qui est la deuxième de France en termes de natalité. Pédiatrie Pratique – Si ce programme s’avère positif, une généralisation est-elle prévue ? T. Rakza – Nous souhaiterions envoyer nos formateurs dans les maternités de la région pour former des personnels référents. Nous proposons également un e-learning qui permet de tester les connaissances, la qualité de la formation, nécessitant d’obtenir une note minimale. Nous avons recensé les maternités des Hauts-de-France et nous sommes prêts à lancer un programme de formation sur l’ensemble d’entre elles. Pédiatrie Pratique – Les maternités incluses dans le réseau mère-enfant de la francophonie sont-elles également intéressées par cette action ? T. Rakza – Oui, et d’ailleurs nous recevrons dans le courant du mois d’avril une équipe du CHU de Toulouse qui souhaite mettre en place cette action. D’autres CHU et quelques cliniques privées ont également manifesté leur intérêt pour cette expérimentation. De plus, et comme chaque année depuis 5 ans, nous avons organisé le 18 mars une journée thématique sur ce sujet, qui a réuni des professionnels de santé de diverses spécialités mais aussi des policiers, des juges et des avocats. Elle permet aux acteurs qui travaillent autour de la maltraitance, et plus particulièrement du SBS, de partager les expertises et les expériences et de couvrir l’ensemble des aspects du problème. Nous touchons un nombre croissant de professionnels de santé, ainsi qu’avec les EPU que nous organisons régulièrement. Pédiatrie Pratique – Que pensez-vous des débats sur les critères diagnostiques du SBS et les critiques concernant les recommandations de la HAS ? T. Rakza – D’une certaine manière, cela m’importe peu car mon objectif est de faire de la prévention, d’agir en amont, avant que le drame survienne. La polémique porte sur le diagnostic et le fait de poursuivre les parents alors qu’il peut exister des terrains entraînant des hémorragies intracrâniennes sans violences subies. Mais les enfants qui n’arrivent pas aux urgences, qui se comptent par centaines ou par milliers, vont être victimes d’épilepsies, de retard psychomoteur et se retrouveront en centre spécialisé. Maintenant sur le fond, je suis tout à fait favorable aux recommandations de la HAS. J’ai travaillé aux urgences, en réanimation et je connais la réalité du SBS. Quand vous recevez un enfant qui n’a ni fracture ni signes de traumatisme majeur et qui présente un hématome extra-ou sous-dural à un âge connu pour être un âge à risque, il est difficile de concevoir que la lésion est survenue spontanément pendant le sommeil...

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