Publié le 06 mar 2022Lecture 8 min
Journées francophones de recherche en néonatalogie 2021 - Maltraitance infantile et précarité
Catherine LAMBERT, Paris
Dans le cadre de la session consacrée à la précarité lors des Journées francophones de recherche en néonatologie (SFN-JFRN), Élise Launay (pédiatre infectiologue au CHU de Nantes) a exploré les relations réelles ou biaisées entre précarité et maltraitance des enfants.
Elise Launay a d’emblée souligné qu’au regard de sa propre expérience toutes les catégories sociales semblaient représentées, notamment en ce qui concerne les bébés secoués. De plus, le lien entre maltraitance et précarité pourrait ressortir de préjugés ancrés chez les soignants recoupant des a priori sociétaux, ce qui semble se confirmer lors- que des jeux de rôles sont organisés avec les étudiants en médecine. Enfin, on peut souligner que la précarité est une forme de maltraitance sociale faite aux enfants. De ces impressions, émerge la question de savoir si la maltraitance n’est pas sous-diagnostiquée chez les personnes les plus aisées. Pour répondre plus précisément à ces interrogations, Élise Launay a ensuite passé en revue les évidences disponibles dans la littérature médicale.
Définitions et données épidémiologiques
L’OMS définit la maltraitance de l’enfant par toute forme de mauvais traitement, physique et/ou affectif, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligeant ou d’exploitation commerciale ou autre entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité dans le contexte d‘une relation de confiance ou de pouvoir.
On estime qu’entre 4 et 16 % des mineurs sont victimes de maltraitance physique chaque année, avec une incidence maximale chez les jeunes enfants avant 1 an. Selon les données du PMSI, la part des hospitalisations des moins d’1 an pour maltraitance physique « très probable » est de 0,04 % et de 0,11 % lorsque les critères retenus laissent place à plus de doutes. Quant à l’incidence du syndrome du bébé secoué, elle est évaluée entre 15 à 30/100 000 nourrissons de moins de 1 an, ce qui est supérieure à celle des méningococcies. En 2017, l’Observatoire national de la protection de l’enfance s’est intéressé aux besoins fondamentaux de l’enfant, notamment à ceux en rapport avec la sécurité, la protection, les besoins affectifs et relationnels. Il apparaît que la précarité peut mettre à mal l’accomplissement de ces besoins fondamentaux. D’ailleurs, la précarité est définie comme l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. On estime qu’un enfant sur 5 vivait en 2017 dans un foyer dont les revenus se situent en-dessous du seuil de pauvreté.
Si on se réfère à un modèle socio-écologique, on prend alors en considération les facteurs associés à la maltraitance, ceux qui sont propres à l’enfant, les facteurs interpersonnels, d’autres liés à la communauté (comme le lieu de résidence, l’école, etc.) et les facteurs sociétaux, tel que les normes sociales, les politiques de santé, etc. Ces éléments peuvent être évalués à l’échelle individuel, notamment par des indices de déprivation et/ou des indicateurs d’ascenseur social qui indiquent la probabilité de progression possible en termes de quintiles de revenus.
Évaluation de la maltraitance
Des études s’intéressent aux signalements faites aux autorités de protection de l’enfance, d’autres colligent les diagnostics de maltraitance retenus par ces autorités. Certains travaux retiennent les données d’hospitalisation pour ce motif et d’autres encore se basent sur les autodéclarations des parents. Les données disponibles viennent surtout d’Amérique du Nord et du Canada. Une revue récente(1) a cherché à évaluer l’impact de ces facteurs de risque. Elle confirme que les nourrissons de moins de 1 an sont plus à risque de maltraitance, surtout physique, en particulier ceux en situation de handicap ou atteints de comorbidités, ainsi que les prématurés. Pour ce qui concerne les facteurs interpersonnels, la maladie mentale de l’un ou des deux parents est associée à un risque plus grand de maltraitance, de même que l’addiction d’un des deux conjoints, les violences intrafamiliales et conjugales. Sur le plan socio-économique, les revenus du foyer, le non-accès à des assurances maladie et/ou des minimums sociaux, les difficultés à se loger et à se nourrir sont autant de facteurs de risque. Sur le plan communautaire, c’est surtout le taux de criminalité dans une population qui a été identifié comme facteur péjoratif, mais aussi le fait d’habiter des quartiers défavorisés. Enfin sur le plan sociétal, l’accroissement des inégalités semble être associé à un plus haut niveau de maltraitance, ainsi que la régression économique comme l’a montré une étude longitudinale à la suite de la crise économique.
Une enquête menée dans l’Ontario a mis en évidence une augmentation des investigations pour maltraitance chez des familles confrontées à des difficultés économiques. Parmi les autres travaux cités, on retiendra également l’effet plus marqué de la pauvreté des familles lorsque l’indice de déprivation global du quartier dans lequel elles habitent est plus élevé. Un autre étude ayant porté sur de l’investissement social des états américains, a mis en évidence une relation inverse entre les aides sociales et le taux de maltraitance.
En France, les données sont parcellaires et Élise Launay a présenté une enquête menée auprès de 880 enfants accueillis en établissement de protection de l’enfance en Loire-Atlantique (44). Il ressortait que 15 % de ces enfants étaient dans des logements dégradés ou sans logements et que dans 42 % des cas leur mère était au chômage. L’entourage social était peu présent, voire absent chez 18 % d’entre eux ou peu aidant dans 25 % des cas.
Des biais implicites dans le diagnostic ?
Comment expliquer ces associations entre précarité et maltraitance, qui persistent après ajustement pour certains facteurs confondants ? En gardant présent à l’esprit qu’une association n’est pas synonyme de lien de causalité. L’histoire personnelle des parents peut être un facteur de confusion dans la mesure où il a été montré que les personnes ayant été elles-mêmes victimes de maltraitance sont plus à risque de reproduire les comportements qu’elles ont subi ; on parle de « violences subies, violences agies ». Or, les histoires de maltraitance sont plus fréquentes dans les populations en situation de précarité.
Autre facteur de confusion possible, les biais implicites qui sont des biais cognitifs consistant à appliquer des préjugés automatiques et inconscients à un groupe social. Dans la cadre d’une démarche diagnostique hypothético-déductive, ces biais induisent rapidement des hypothèses tronquées ou en éliminent d’autres trop prématurément. Dans le cas présent, le raccourci qui pourrait s’établir lie facteurs de vulnérabilité et critères diagnostiques. Il existe des méthodes pour apprécier ces biais, notamment les tests d’évaluation implicite qui consistent, par exemple, à associer une image et un mot. En médecine, une autre méthode consiste à présenter des cas cliniques au praticien en ne faisant varier que le paramètre évalué, en l’occurrence les conditions socio-économiques. Enfin, certaines études ont comparé les taux de signalement entre différents centres en fonction de certains paramètres sociaux.
Le premier travail rapporté par Élise Launay a porté sur 342 pédiatres spécialistes de la protection de l’enfance auxquels étaient présentés des vignettes cliniques. Il n’a pas montré de différence de diagnostic en fonction des conditions socio-économiques de la famille. En revanche, une analyse secondaire d’une étude en vie réelle, l’étude Pedibirn(2), qui cherchait à établir une règle de décision clinique pour détecter un traumatisme crânien infligé parmi des enfants admis en réanimation pour TC sévère, a mis en évidence ce biais. Les auteurs ont en effet constaté que les Afro-américains et les Hispaniques étaient plus souvent signalés par les médecins, surtout dans les cas les plus douteux. Cette enquête menée sur 18 centres a également révélé une disparité importante entre les centres, deux d’entre eux étant principalement à l’origine de cette différence.
Dans une autre étude, les investigateurs ont demandé à des spécialistes de l’enfance de fournir des cas cliniques vrais. Ils ont ensuite modifié l’origine sociale des familles et soumis ces histoires aux cliniciens en évaluant leur perception du risque social et du risque de maltraitance. Ce travail a montré que la perception du risque social avait une influence sur le diagnostic, indépendamment du type de lésion et de l’histoire clinique.
Une carence de données
Au total, on peut retenir que la précarité est une forme de maltraitance sociale dans la mesure où elle fait obstacle à la réponse aux besoins fondamentaux des enfants. Et si l’on considère qu’une société est responsable de ses enfants, on peut parler d’une négligence sociétale. Il existe dans la littérature une association entre précarité et maltraitance indépendamment d’autres facteurs d’ajustement. Cette association pourrait être médiée par le stress engendré par la précarité et un défaut d’accès aux structures de soutien à la parentalité. Il existe cependant un biais implicite qui peut influencer le diagnostic individuel de maltraitance.
On relève par ailleurs que la plupart des études viennent d’Amérique du Nord et que les données manquent dans notre pays. Il existe également peu de données sur les violences psychiques plus difficiles à identifier et caractériser, ainsi que sur les violences sexuelles. Une meilleure connaissance des situations régionales permettrait d’adapter la prévention aux besoins des différentes populations. Malheureusement, ce sont les régions les plus défavorisées qui sont pénalisées par un manque de moyens, ce qui constitue une contradiction au regard des données de la littérature. Indépendamment des facteurs socio-économiques, une connaissance plus fine des facteurs de vulnérabilité personnels, comme les antécédents de violence subies, permettrait de mieux individualiser les cas et d’établir des protocoles standards de diagnostic face à des lésions sentinelles.
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