Publié le 31 mai 2021Lecture 10 min
Le coronavirus : « le virus du lien social ? »
Georges PICHEROT, CHU de Nantes
Le développement rapide et inattendu de l’épidémie a très vite été associé à une perturbation aussi inattendue des liens sociaux. On a pu parler de « virus du lien social ». L’enfant a été le plus souvent préservé des risques directs. Il est cependant très concerné par les modifications des liens sociaux.
Ce qui peut modifier ou perturber le lien social
Le lien social, c’est l’ensemble des relations qui unissent les personnes ou les groupes sociaux. Pour se développer, l’enfant a besoin de multiples liens sociaux dont les plus importants sont tissés au sein de sa famille ou des collectivités éducatives.
Peu concerné directement par l’infection par la Covid-19, il l’est davantage par la maladie des adultes de son entourage : hospitalisation, décès, arrêt de travail, perte d’emploi. L’enfant ressent aussi les inquiétudes face aux incertitudes des informations très médiatisées.
Les conséquences des mesures prises au cours de cette pandémie sont moins connues. Des gestes barrières ont été mis en place : confinement, masques, distanciation physique (d’ailleurs appelé à tort, au début de l’épidémie, dis tanciation sociale). Tout ceci aboutit à des modifications rela tionnelles dans la vie familiale et la vie collective (crèche, école, lycée, université, activités culturelles, sport). Les adaptations sont différentes suivant les âges : nourrisson, enfant, adolescents. Nous proposons parmi tout cela quelques réflexions autour de vignettes : le confinement, les masques, l’école, la vulnérabilité et les particularités des adolescents.
Confinements et liens sociaux
Pendant l’épidémie, trois phases de confinement (ou de restriction !) ont été organisées. La première a été la plus complète associant à l’arrêt des circulations, un arrêt de l’école et des crèches. Pendant les deux autres confinements, la scolarité des enfants a été poursuivie ou aménagée (voir plus loin). Nous ne discuterons pas de l’intérêt scientifique et épidémiologique des mesures prises dans ces trois périodes. Il est cependant certain qu’elles ont eu un retentissement important sur le lien social. Des collègues pédopsychiatres les ont classés en 4 C(1) : Claustration, Compression temporospatiale, Contrainte, Contamination. Chaque C peut être mis en rapport avec des modifications des liens. La Claustration s’associe à l’isolement, le repli, la communication à distance avec une réduction des espaces de vie. On peut y associer l’augmentation de l’utilisation des outils numériques. La Compression temporo-spatiale entraîne une désorganisation des journées, du sommeil et surtout des lieux de vie (vie familiale exclusive pour le premier confinement). La Contrainte est associée à la limitation des sorties, des activités culturelles et sportives. Le C de contamination évoque les nouvelles attitudes liées aux risques et à la peur de contamination mais aussi à la culpabilité d’une possible transmission à des personnes fragiles (grands-parents par exemple).
Les conséquences des confinements ont fait déjà l’objet de travaux publiés ou en cours de publication(2). La dégradation de la santé mentale entraîne de nombreuses observations et mises en garde particulièrement par nos sociétés pédiatriques, « le mal-être des enfants submerge l’hôpital », a déclaré la présidente de la SFP le 22/03/2021. La dégradation touche plus particulièrement les enfants vulnérables, mais pas seulement(2). Les premières observations ont porté sur des enfants antérieurement porteurs de pathologie psychiatrique (autisme, par exemple). La désorganisation des soins liée aux confinements a provoqué de grandes modifications des prises en charge déstabilisantes pour les enfants et leurs familles. Plus à distance, beaucoup de collègues ont remarqué une explosion des demandes faites aux urgences pédiatriques concernant des pathologies non somatiques des adolescents, mais aussi d’enfants plus jeunes sans obligatoirement d’antécédents psychiatriques.
Masques et liens sociaux
Le port de masques est l’autre mesure spectaculaire prise au cours de cette pandémie. Tout d’abord limitée au plus de 11 ans, l’obligation s’est étendue à tous les enfants des écoles primaires, collèges et lycées. Autour d’eux, la plupart des adultes portent également un masque depuis plus d’un an. Seule la sphère familiale n’est pas concernée par cette mesure. Les conséquences pour les enfants sont peu (ou pas) évaluées pour le moment. David Le Breton, sociologue, nous dit que le port du masque « défigure le lien social », qu’il aboutit à un brouillage social gênant la reconnaissance et qu’il modifie la proximité avec les nourrissons. Des collectifs anti-masques se sont créés, évoquant « l’effet muselière et anxiogène ».
Une étude faite par l’université de Grenoble, « Le masque en crèche, une gêne pour la socialisation des tout-petits ? », relate des réactions d’inquiétude, une gêne au développement du langage et des difficultés d’accompagnement relevées par les professionnels des crèches(3).
Dans un travail fait chez des enfants de 7 à 13 ans, A. L. Ruba est plus rassurant(4). L’analyse des transmissions à l’enfant de trois situations (colère, tristesse, peur) montre que « dans la vie de tous les jours, les enfants peuvent être capables d’utiliser des indices contextuels supplémentaires pour faire des inférences raisonnablement précises sur les signaux émotionnels variables, même si les adultes portent des masques »(4). Serge Tisseron va dans le même sens : « N’oublions pas que notre culture privilégie la lecture des émotions par une attention concentrée sur la bouche, tandis que d’autres cultures, notamment japonaise, privilégient plutôt le rôle des yeux dans l’expression et la communication des émotions. Plus l’enfant est petit, plus il est capable de réaliser ces deux déchiffrages en parallèle et de comparer les informations qui en résultent ». L’acceptabilité du port du masque est plutôt satisfaisante chez l’enfant et même chez l’adolescent à condition d’expliquer son intérêt. L’utilisation de masques inclusifs avec une partie transparente est sensée favoriser les liens mais il n’y a pas eu d’évaluation du bénéfice.
L’école, lieu de socialisation affirmé
L’interruption de l’école a été associée au premier confinement. Après une hésitation, les autorités françaises les ont maintenues ouvertes contre vent et marée ! Le troisième confinement d’avril 2021 a été accompagné d’une mesure intermédiaire entourant des vacances communes de deux semaines d’école à distance. Beaucoup de pays ont retenu leur fermeture comme mesure indispensable pour lutter contre l’épidémie. Mais la France n’est pas la seule à les avoir maintenues ouvertes. La Belgique, l’Espagne, l’Irlande et la Suède ont fait de même. Les conséquences des arrêts scolaires ont vite été remarquées amenant le CDC à observer que l’école n’était pas seulement le lieu d’apprentissage classique mais aussi « un lieu de développement des compétences sociales et émotionnelles, un espace de sécurité (en particulier dans la prévention des violences intrafamiliales). L’école contribue aux équilibres nutritionnels et au maintien des activités physiques. Les cours à distance remplacent uniquement les acquisitions classiques, et encore très partiellement ».
Le CDC et l’OMS ont aussi remarqué que l’absence de scolarisation développe les inégalités sociales et les inégalités de genre (diminution de la scolarisation des filles dans les pays à faible niveau de scolarisation). « Fermer les écoles, c’est accepter que des enfants subissent à nouveau des violences intrafamiliales, c’est creuser les inégalités sociales », affirme la SFP en mars 2021. Les conséquences sur le plan psychologique sont importantes entraînant ce cri d’alerte de Richard Delorme, pédopsychiatre à l’hôpital Robert-Debré à Paris : « Plus de 30 % (…) des enfants seraient atteints par la crise : violences intrafamiliales, anxiété, dépression, anorexie mentale avant 12 ans, hyperphagie, retard des acquisitions scolaires, troubles du sommeil, anomalies neurodéveloppementales précoces non diagnostiquées ».
Ces voix unanimes remarquent que l’école est un lieu essentiel pour les liens sociaux indispensables aux développement de l’enfant. Les sociétés françaises de pédiatrie se sont réengagées en avril sur l’école : « Garder les écoles ouvertes (…) et veiller à ce qu’elles restent ouvertes, est un défi social important posé par la Covid-19 ». Il est rappelé que le bon sens est bien sûr d’assurer la sécurité mais en discutant de la balance bé néfices/inconvénients des mesures(5).
Liens sociaux et vulnérabilité
La perturbation des liens sociaux touche plus les enfants vulnérables et leurs familles. Le SNATED (Service national d’accueil téléphonique pour les enfants en danger : 119) rapporte une augmentation des appels de 50 % pendant la période du premier confinement correspon-dant aux constats unanimes des augmentations des violences intrafamiliales. Si les hospitalisations des enfants pour motif infectieux ont nettement diminué, les services de pédiatrie sont suroccupés par des enfants et des adolescents à problèmes psycho-sociaux. Le Réseau européen des Défenseurs des enfants (ENOC) note : « la crise de la Covid-19 a eu des effets désastreux sur la vie et les droits des enfants, et aura très probablement des conséquences considérables pour les enfants. Les résultats de L’enquête ENOC-UNICEF montrent que les plus vulnérables (enfants pauvres, enfants en institution, enfants handicapés, enfants migrants, etc.) ont été et continueront d’être les plus touchés par la crise de la Covid-19. Les vulnérabilités existantes ont été exacerbées et les inégalités sont devenues plus visibles, notamment en ce qui concerne l’éducation en ligne (…) ».
Des études coordonnées par l’ONPE (Observatoire nationale de la protection de l’enfance) ont concerné les enfants placés en situation de protection (onpe.gouv.fr). Un apaisement paradoxal a été constaté pour certains d’entre eux car la prise en charge est « devenue moins morcelée ». Il a été noté un réinvestissement de la fonction parentale pour certaines familles. Mais des fragilités du système de protection sont devenues évidentes avec des relations difficiles entre les services et des ambiguïtés des rapports avec les familles. ATD Quart Monde s’inquiète du « déni des droits des familles » dans les situations associant précarité et protection de l’enfance (avril 2021).
La prise en charge des enfants porteurs de handicap ou de maladie est difficile. Il en va de même pour la mise en place des logistiques dans les démarches de prévention, en particulier des gestes barrières : masques, distanciation physique complexe.
Adolescents, Covid et liens sociaux
Les adolescents n’échappent pas à la perturbation des liens sociaux. Ils sont probablement les plus touchés par la modification des liens accompagnant cette crise sanitaire. C’est le constat de B. Boudailliez et C. Mille (https://www.mpedia.fr/art-covid-adolescence/). La perte de contact liée aux fermetures des collèges et lycées n’a pas été compensée par l’organisation des cours à distance. Les privations de contacts et les déscolarisations ont été importantes. Le changement du fonctionnement familial a entraîné des difficultés de cohabitation. Le déficit de contacts sociaux avec les pairs a changé les repères de socialisation. Les troubles du sommeil ont découlé de l’absence de rythme scolaire (couchers tardifs).
Les changements d’activité des adolescents sont notés par l’ONAPS (Observatoire national de l’activité physique et des comportements sédentaires). Une étude récente montre que près de 60 % des adolescents ont diminué leur activité physique avec en corollaire une sédentarité plus élevée (http://www.onaps.fr/news/). Les impacts sont doubles : une augmentation probable des surpoids et une diminution des liens sociaux, sachant que le sport est le troisième lieu de socialisation des adolescents après la famille et l’école.
La consommation d’écrans est l’autre inquiétude pour les adolescents. En difficulté de liens sociaux directs, ils ont développé l’utili-sation des réseaux sociaux et plus globalement des écrans. Il y sont encouragés (comme les adultes) par les incitations liés aux mesures anti-Covid. La fermeture des écoles devait être compensée par des cours à distance, souvent en audio- ou visioconférence. Selon l’ONAPS, le temps d’écran a été augmenté pour 69 % des adolescents. Toutes les recomman-dations faites par les sociétés sa vantes de pédiatrie ont été bousculées. Beaucoup d’adoles-cents ont eu l’écran comme seul interlocuteur. La fracture numérique s’est accentuée entre les adolescents (et enfants) dotés familialement des équipements et les autres.
Paradoxalement et de manière très rassurante, beaucoup d’adolescents et d’étudiants ont (comme les pédiatres et les parents !) demandé la reprise des cours en présentiel insistant sur le rôle de lien social des espaces éducatifs.
Un accroissement des inégalités
On peut trouver que ces descriptions sont trop négatives et dramatisantes. On doit y associer quelques constats rassurants. Certaines familles ont développé des compétences importantes pour rééquilibrer ces modifications des liens sociaux. Mais comme dit précédemment, cela est associé à un développement majeur et dangereux des inégalités non compensées par les structures de socialisation extrafamiliales. Un autre élément rassurant est la prise de conscience de l’importance du maintien des contacts humains qui ne sont absolument pas compensés ni par les réseaux dits sociaux, ni par l’enseignement à distance. On peut souhaiter que l’attention des décideurs ne soit pas uniquement épidémiologique mais qu’elle cherche à protéger les enfants et les adolescents dans la préservation des liens sociaux indispensables à leur développement.
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